Le Quotidien d'Oran, jeudi 7 février 2013
Akram Belkaïd, Paris
Il y a quelques années, en visite à Casablanca, j’ai passé un long moment à regarder un match de football improvisé dans l’un des parcs de la ville. C’était un dimanche après-midi, les joueurs avaient entre dix et quinze ans et il se dégageait de leur partie une intensité qui m’a ramené bien des années en arrière, à l’époque où, les cours du collège terminés, nous jouions jusqu’à la nuit tombée et parfois bien plus tard… En 3-6 ou, plus souvent, en 6-12 (mi-temps au sixième but, victoire au douzième), nous trouvions toujours l’énergie pour prolonger le plaisir et remettre ça. Offrir une revanche, jouer la belle ou tout simplement refaire les équipes et entamer une nouvelle série pour permettre aux perdants de s’en revenir chez eux un peu moins vexés.
C’est ce que j’ai revécu en spectateur
à Casa. Certes, tout n’était pas parfait. Je ne parle pas du jeu en lui-même,
parfois chaotique et haché. Cela m’importait peu puisque c’est là aussi que
réside la beauté du foot : un désordre presque bestial, un ballon qui
semble emporté par des vents invisibles mais qui revient toujours en jeu. Des
tirs ratés, des passes vendangées. Et puis, au milieu, la feinte superbe.
L’éclair de vivacité, le passement de jambes ou le petit-pont meurtrier... Non,
ce qui me gênait, c’était l’attitude de certains des jeunes joueurs. J’avais en
face de moi des petits clones de vedettes du football européen. Leurs gestes,
leurs postures, tout cela empestait la télévision et ce qu’elle véhicule comme
conformisme et images faussement spontanées.
J’ai lu un jour que les centres de formations de football étaient des usines à formater les jeunes joueurs. Des endroits sans fantaisie où l’on tue la créativité et où les talents originaux sont condamnés d’avance. En clair, le genre de maison à fabriquer des Dessailly ou des Deschamps en pagaille sans jamais permettre l’éclosion du moindre Zidane. Le fait est que ce nivellement par le bas est facilité par la télévision et ce qu’elle diffuse comme attitudes standardisées. Terminée l’intuition, le caractère inné du jeu : les images imposent de tristes modèles et techniques à suivre et pas uniquement en terme de modes capillaires ou de tatouages vulgaires.
Malgré ces emprunts inutiles - soyez
vous-mêmes ! avais-je envie de crier -, j’ai apprécié le match. Les gamins
avaient la hargne, la chehna. Ils
voulaient gagner même si les uns cherchaient à singer Ronaldo, se tenant droits
comme un i y compris pendant leur course après le ballon. Surtout, personne ne
semblait tricher. Certes, il y avait l’inévitable épuisé, celui qui n’a plus de
forces et qui reste en défense, trop heureux de dégager le ballon fort et en
l’air sans avoir à fournir de nouveaux efforts. Mais, ce n’était que cela. Pas
de tricherie, pas de soupçons à l’égard des joueurs malheureux dans une relance
et un auto-arbitrage plutôt efficace.
Si je vous raconte tout cela, c’est
parce que l’actualité vient de nous prouver une nouvelle fois que le football
de haut niveau est pourri. Non, le mot n’est pas trop fort. C’est un secret de
polichinelle. Cela fait des années que l’on sait que des matchs sont truqués,
que des joueurs sont achetés. Certes, apprendre que près de 700 rencontres ont
été arrangées, y compris en Coupe d’Europe ainsi que lors des qualifications de
la Coupe du monde 2010, n’est pas chose anodine. Mais, à dire vrai, qui peut en
être étonné ?
Avec l’irruption des paris en ligne, la
triche, qui a toujours existé - souvenons-nous de l’Italie des années 1980 avec
le scandale du Totonero -, est passée à une ère industrielle. Toutes les
organisations criminelles du monde veulent leur part du gâteau grâce à la
formule magique suivante : un match arrangé, c’est la garantie de gagner
des paris et de blanchir son argent sale. Merci l’Union européenne qui a imposé
la libéralisation de cette activité... Merci les parlements nationaux qui n’ont
pas su mettre un frein à l’expansion des paris en ligne. L’argent s’est
engouffré dans la brèche et l’amateur de football sait aujourd’hui reconnaître
les matchs suspects. Ceux où « l’exploit » est attaché de grosse
ficelles et où tout le monde fait mine d’être dupe. Un peu comme les suiveurs
du Tour de France cycliste quand ils suivaient un Armstrong escaladant le
Galibier aussi vite qu’une motocyclette.
Oui, le néolibéralisme, la
mondialisation et le sport ne font pas bon ménage. Qui dit argent, dit triche à
grande échelle. Et, c’est une certitude, le public n’aura à sa connaissance que
la face apparente de l’iceberg. Et que dire de l’organisation de la Coupe du
monde 2022 attribuée au Qatar ? En publiant un dossier à charge, le
bi-hebdomadaire France Football a mis
en évidence toutes les complaisances et les conflits d’intérêts qui minent la
crédibilité et l’intégrité de la Fédération internationale de football (Fifa).
De l’avis de nombreux connaisseurs, les milieux interlopes qui grenouillent
autour du football ne lâcheront pas l’affaire de sitôt. Des centaines de
millions de dollars sont en jeu. Le foot est un business qui rapporte gros, il
n’est donc pas étonnant qu’il fasse l’objet de toutes les manipulations
possibles.
Alors oui, j’adore regarder le foot de
haut niveau. Mais, je ne suis pas dupe. J’ai toujours en tête un soupçon, une
réticence. La sensation que quelque chose de pas clair peut se jouer. Surtout,
les exploits du style petite équipe battant le favori ne m’impressionnent plus.
Au contraire, ils m’indisposent. Du coup, rien ne vaut le bon match de
quartier, celui où l’on rit et où l’on se moque. Celui où l’on oublie le score
à peine le match fini et où l’on ne pense qu’à la prochaine rencontre. Le vrai
football, en somme.
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