Par Akram Belkaïd, Paris-Alger
Dans un avion du matin, au Nord, il y
a des femmes et des hommes qui sanglotent. Ils ne se connaissent pas mais ils
partagent la même douleur et la même angoisse. L’avion partira-t-il à l’heure ?
Arriveront-ils à temps ? Les minutes passent, l’embarquement se prolonge.
Les inévitables retardataires s’installent tranquillement, ne se doutant guère
du désarroi qui les entoure, de la colère étouffée qu’ils provoquent. La porte
de l’appareil se ferme enfin. Il n’y a plus qu’à prier pour que le vol soit le
plus rapide possible.
Dans un autre avion, toujours au Nord,
une femme pleure. Elle aussi n’est pas la seule à être déchirée par le chagrin.
Elle réalise ainsi que les vols du matin en direction du Sud, sont ceux du
départ en catastrophe, celui du retour forcé provoqué par un terrible et
redouté appel reçu la veille. Rentrer au pays, être avec les siens pour un
dernier au revoir à celui ou celle qui est parti... Au Nord, dans les avions du
matin, il y a des pleurs, des cris étouffés et même le ciel gorgé d’eau et
brisé par les éclairs, se met de la partie.
Dans une pièce, loin de là, au Sud,
des femmes pleurent. Assises sur des matelas posés à même le sol, elles
entourent un corps désormais sans vie après l’avoir veillé toute la nuit. Au
dehors, dans le jardin ou dans la rue, sous une pluie fine qui annonce des
heures éprouvantes, les hommes parlent au téléphone, s’interrogent, attendent
des nouvelles des uns, des informations des autres. Quelqu’un dit que les avions
ont enfin décollé. Cela soulage ceux qui s’inquiétaient. Mais, il faut s’affairer,
régler mille et un détails, penser à la veillée du soir. Des voisins
proposent leur aide, des amis apportent des chaises. D’autres de la nourriture.
La journée va être longue.
Dans les avions qui naviguent vers le
Sud, les pleurs n’ont pas cessé. Dans les têtes défilent des images, des
souvenirs heureux, des rires et des regrets aussi. Et voilà ce temps, passé
trop vite au cours de ces dernières années, qui s’écoule si lentement. Voici
enfin la mer. Plus qu’une heure sauf si le mauvais temps se met de la partie.
Des éclairs, la grêle, un mur noir qui se dresse dans la baie d’Alger, tout
cela aggrave la sensation de fin du monde que l’on sent flotter dans les
cabines. Mais, c’est fini. Les atterrissages ont eu lieu. Il faut maintenant
courir, convaincre les autres passagers de céder leur place au contrôle de
police. « Djanaza »
(funérailles) est le sésame qui fait s’écarter les plus réticents et s’incliner
les plus compatissants.
La voiture file le long de l’autoroute
du front de mer. Alger est plus que maussade. Elle pleure des hectolitres d’eau
glaciale. Le chauffeur a la délicatesse de se taire. Sa mission est d’arriver à
bon port avant midi, heure de la levée du corps. Cette dernière a lieu dans les
pleurs et la dignité. « Allah est grand », « Nous à sommes à
Dieu et à Lui nous revenons » crient les gorges serrées. Le cercueil,
enveloppé du drapeau vert, blanc et rouge, est porté par les proches. Fils,
gendres et neveux. Quelques mètres plus loin, des pompiers prennent le relais.
Le convoi funéraire s’éloigne dans un bruit de sirène. Les femmes, interdites
de cimetière (!), restent à la
maison. Seules... Instants terribles qui signifient pour elle la fin. La parenthèse
qui s’est vraiment refermée.
Dans la cour de la mosquée de Benomar,
amis et anonymes viennent d’accompli la prière du mort. Le convoi fait route
maintenant vers le proche cimetière. Une colline entourée d’oliviers. De l’herbe,
des fleurs. Les allées sont boueuses. Les pompiers avancent au pas lent, celui
qui sied à une telle occasion. Le corps dans son linceul est déposé dans la
même dernière demeure que celle de son épouse, rappelée à Dieu vingt-quatre ans
plus tôt. Instants de générosité et de dévouement où trois hommes se
déchaussent et entrent dans la tombe pour aider à placer le corps. La pluie
commence à tomber de plus en plus fort. C’est maintenant l’heure de la Fatiha
et, bientôt, de l’adieu final. Des mains se tendent, des condoléances sont
prononcées. La terre est tassée. C’est terminé. Dans le ciel, une « âme
rassérénée » revient à son « Seigneur, agréante, agréé » (*).
Ce texte est dédié à la mémoire de
Smaïl Kerdjoudj, rappelé à Dieu le 5 février 2013 et enterré à Alger, cimetière
de Benomar, le 6 février 2013.
(*) Sourate de L’Aube.
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