Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 20 août 2013

Ce vote démocratique dont ne voudront plus les islamistes

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Nombre d'islamistes ont longtemps considéré que la démocratie et les processus électoraux qui en relèvent n'étaient pas licites. Pour eux, il était "haram" de voter puisque seule devait s'exprimer la loi divine à travers la Charia et les différents préceptes coraniques. Cette conviction n'a pas disparu et l'on peut d'ores et déjà parier qu'elle s'est même renforcée au regard des récents événements.

L'exemple des Frères musulmans d'Egypte est édifiant. A la chute de Moubarak, la Confrérie était divisée entre plusieurs tendances. La vieille garde, méfiante, assurait qu'il valait mieux se tenir à l'écart de ces troubles car, affirmait-elle de manière prémonitoire, cela retomberait fatalement sur elle. A l'inverse, et à quelques exceptions près, la jeune garde voulait prendre le train de la Révolution en marche et, au passage, faire oublier les hésitations des Frères à participer à la grande manifestation du 25 janvier 2011 réclamant le départ de Hosni Moubarak.

Plus de deux ans plus tard, l'actualité a donné raison aux sceptiques. Après un an à peine de mandat plus que controversé, le président Morsi a été débarqué et ses partisans sont allègrement massacrés. Pour nombre d'officiels égyptiens, le sort des dirigeants de la Confrérie ne peut se résumer qu'à deux options : la mort ou la prison. On est loin de l'euphorie de la victoire électorale de juin 2012...

L'une des conséquences de cette terrible tragédie égyptienne est que les mouvements islamistes savent aujourd'hui que la victoire électorale ne leur garantit rien et que tout peut être remis en cause. On imagine que ce raisonnement trotte dans la tête des militants et responsables d'Ennahdha en Tunisie. Si Morsi a été débarqué, si les Frères musulmans se font tirer comme des lapins sans que la communauté internationale ne réagisse autrement que par quelques larmes de crocodile, pourquoi le parti de Ghanouchi ne subirait-il pas le même sort ? On voit bien que cette hypothèse peut inciter les islamistes tunisiens à un durcissement de leur position. A une fuite en avant où toute concession, pourtant nécessaire pour apaiser le climat politique, serait vécue, par les militants d'Ennahdha mais aussi ses opposants, comme un aveu de faiblesse voire un signe de panique.

Il est encore trop tôt pour dire comment le monde arabe va évoluer mais une chose est certaine : il sera désormais difficile de convaincre les islamistes de participer pacifiquement à la vie politique. Pour eux, la démocratie électorale ne signifiera rien d'autre qu'un piège. Des sables mouvants destinés à les neutraliser avant des les éradiquer.

Cela va plaire aux "démocrates" qui conçoivent la vie politique de manière censitaire. Cela plaira à celles et ceux qui applaudissent sans vergogne aux tueries du Caire. Mieux, cela les rassure et leur offre quelques satisfactions dans leur manière égoïste et déshumanisée d'appréhender le monde et la vie de leur pays. Face à leur euphorie d'une rare obscénité, il est très difficile de leur expliquer que l'éradication par la force de l'islamisme est une chimère à laquelle ne peuvent croire que celles et ceux qui n'ont aucun sens politique, aucune connaissance de leur propre société. La bataille contre l'obscurantisme ne se gagne pas à coup de rafales d'armes automatiques. L'islamisme ne disparaîtra pas de nos sociétés et, tôt ou tard, il faudra revenir à la politique pour l'affronter. A moins que tout ce qui se passe aujourd'hui ne lui permette un jour de prendre le pouvoir. Par la force et, au nom de ses martyrs, sans volonté de le rendre un jour...
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6 commentaires:

Alina a dit…

Après les promesses, toujours les promesses... les menaces, toujours les menaces ? Croit-on que les islamistes ou qui que ce soit d'autre peut prendre le pouvoir par la force quand il le décide ? Les faits le démentent.

Alina a dit…

Après des promesses, toujours des promesses... des menaces, toujours des menaces ? Croit-on que les islamistes ou qui que ce soit d'autre peut s'emparer du pouvoir quand ils le décident ? Les faits le démentent.

Tahar Belhaffaf a dit…

C'est vrai jusqu'à présent les faits le démentent ... parce-que tout simplement ils l'ont à chaque fois pris par les urnes et la volonté populaire. Si vous en doutez, ben.. retentez le coup de la démocratie !

Zenobie a dit…

Excellente analyse qui aurait bien mérité de faire la première page d'un grand média français. Si peu de journalistes ont été capables de comprendre le message contreproductif envoyé aux islamistes par ce déni de démocratie que constituent la destitution de Morsi et l'emprisonnement des cadres des Frères Musulmans sans compter les massacres de manifestants.
Vous parlez très justement d'Ennahdha en Tunisie et de sa déstabilisation provoquée par les événements d'Egypte. Il devient plus que jamais urgent de les laisser aller aux prochaines élections, dont ils sont bien conscients qu'elles constitueront sans aucun doute une sanction pour leur gestion poussive de la situation économique en particulier. Encore faudrait-il que la contre révolution ne réussisse pas à briser le processus tunisien en cours. Ce n'est pas encore gagné et l'extrême gauche joue là un jeu bien dangereux...
Si l'on pouvait vous lire et vous entendre un peu plus souvent, ce serait un soutien en plus d'un plaisir.

Anonyme a dit…

Fathi B'CHIR
C’est, si on peut le dire, une équation inversée. Les islamistes divisés sur le recours aux urnes comme moyen d’accéder au pouvoir, y vont mais leur choix est contrarié par les « démocrates ». Surprenante présentation des faits. La charge est en quelque sorte renvoyée comme une balle de ping-pong et on sait pourtant que nul ne peut se prévaloir, pour sa défense, de ses propres turpitudes.
Ils n’ont hésité en fait que sur le moyen d’accéder à ce pouvoir - qu’ils considéreront toujours comme un don de Dieu (dixit le célèbre cheikh Nahnah dont la formule a été répétée sur différents tons à Tunis chez les adeptes d’Ennadha) – et non sur le maintien aux commandes par l’exercice de la démocratie. Prenons le cas de la Tunisie après celui de l’Egypte. Malgré la répulsion éprouvée, un crédit leur a été accordé. Il y a même su des alliances ponctuelles et durables entre eux et des laïques. Mais ils s’y sont cru, installés par le divin. Ils se sont comportés comme un armée d’occupation, faisant de l’acquis par les urnes une sorte de butin de guerre. Ils ont usé et abusé du pouvoir, favorisé le pouvoir parallèle par le biais de leurs réseaux occultes ou téléguidés, ils ont désorganisé l’économie et la production en favorisant notamment l’informel, ils ont mis la sécurité du pays dans une position dangereuse. Ils ont menacé les acquis de la femme, les évolutions de la société. Ils ont fini par démontrer qu’ils sont contre toute idée d’Etat organisé et, en dernière analyse, ils ont prouvé leur incompatibilité avec la démocratie. Une société quelle qu’elle soit a un droit de légitime défense. Le prix est parfois lourd mais ne pas perdre de vue l’essentiel qui est la préservation de la paix sociale et de la démocratie.
Et si j’étais une femme égyptienne et que je vois s’imposer dans les rues et dans les ministères un courant politique, qui ne croit ni en l’Etat ni dans les libertés individuelles, qui finira par m’imposer des lois rétrogrades (le voile, l’excision, etc.) et qui bénéficie de l’aide de puissances étrangères (politico-militaires et/ou financières peu réputées pour la modernité de leur conception du monde) qui bouche toutes les perspectives d’évolution sociétale pour moi et mes enfants, ...
Si j’étais une jeune fille égyptienne, que ferais-je face à un président et sa confrérie qui s’obstine à bloquer tout fonctionnement démocratique du pays, progressivement par une politique sournoise d’étouffement, qui en ruine l'économie.....
Si j’étais une ou un jeune égyptien que dirais-je à l’armée: bien fait ou salauds de massacreurs?
Je ne sais quelle réponse donner. Dois-je résister au réflexe de survie et pleurer devant tant de morts ou me dire, pas le choix, c'était eux ou nous ?
Si j’approuvais, serais-je complice ou n'étais-je somme toute qu'en état de légitime défense ? Comme dans l’Algérie des « années de plomb » dois-je laisser faire ou réprimer et risquer ma vie si je ne le fais pas. Quelle est la réponse ? Je ne sais pas. Le plus sûr, le plus confortable, serait sans doute de me joindre à la sensibilité générale convenue. Tant pis pour moi et ma peur, tant pis pour tous les morts, tant pis pour une Egypte en perdition... pourvu que je paraisse pas salaud. Si j'étais une jeune fille égyptienne, je pleurerais en même temps que les morts, mon propre destin... tant que mes larmes ne seront pas taries par le désespoir de vivre dans une société où règnera la loi du Divin. Je ne me divertirais plus qu'en regardant les télés afghanes et saoudiennes. Je voilerais ma face non pas pour que le monde ne me voit pas mais pour que je vois plus le monde.
Salauds de militaires.... mais ils ont peut être évité pire pour le pays.

Akram Belkaïd a dit…

A Zénobie,

merci pour votre message. Je pense que lucidité revendiquée de mon propos explique, entre autre, la rareté de ma présence médiatique. Dieu merci, internet existe :-)