Le Quotidien d'Oran, jeudi 8 mai 2014
Akram Belkaïd, Paris
1. Premier appel, mardi 29
avril :
- Bonjour madame. Je suis
journaliste et je viens de terminer une note de lecture sur l'ouvrage de Mr
B.
- Ah, c'est super ! Mais
c’est bizarre, je n’ai pas votre nom dans notre fichier presse. On vous l’avait
envoyé ? Vous aviez demandé un service de presse ?
- Non. Je l’ai eu autrement. On
va commencer à monter l’article en maquette. J’ai besoin de toute urgence d’une
photo de l’auteur et de la couverture du livre en fichiers numériques.
- Je vous envoie ça tout de
suite.
- Merci.
- Vous nous envoyez une copie
de l’article ?
- Oui. Quand il sera publié.
- Oui, oui, bien sûr.
2. Deuxième appel, trois
heures plus tard :
- Re-bonjour. Je viens de
recevoir votre courriel. On a eu du mal à ouvrir le fichier mais ça devrait
aller pour l'illustration de la couverture. Par contre, la photo de Mr B. est
très très mauvaise. Il en faudrait une de plus grande taille et en haute
définition.
- Ah, je ne sais pas... Franchement,
je ne pense pas que nous en ayons une. Ça ne vous convient vraiment pas ?
- Non. D'ailleurs, c'est la
seule qui circule sur internet. Elle est floue, on ne sait pas qui en est
l'auteur.
- Effectivement, on l’a pêchée
sur internet.
- Vous ne pouvez pas
l’appeler et lui demander s’il en a une plus récente ? A la limite, un
cliché pris avec un iphone suffirait. Il faut juste éviter que la photo ne soit
floue.
- Ecoutez, pour tout vous
dire, nous sommes un service de presse externalisé. Nous ne traitons pas en
direct avec Mr B. Il faudrait peut-être contacter sa maison d'édition.
- D’accord. Vous avez un
numéro à me donner ?
- Heu… En fait, ce n’est pas
moi qui discute avec eux. Je pense qu’ils ont site internet. Allô ?
-…
3. Troisième appel, mercredi
30 avril :
- Bonjour madame. Je vous
contacte en urgence parce que je suis journaliste et que je viens d'écrire une
note de lecture sur l'ouvrage de Mr B.
- Ah, non, désolée !
Vous êtes vraiment au mauvais endroit. Le numéro de téléphone du service de presse
est sur notre site internet.
- Attendez, ne raccrochez
pas ! J’ai eu votre service de presse hier.
- Ce n’est pas le nôtre.
C’est une structure externe.
- J’ai bien compris !
- Ah bon… Je vous disais ça
parce que vous êtes journaliste.
- (soupir) Le journaliste que
je suis est obligé de s’adresser à vous parce que votre service de presse,
pardon, le service de presse externalisé n’a pas pu répondre à une demande
concernant l’un de vos auteurs.
- Quelle demande ? S’il
s’agit d’une interview, c’est vraiment eux qu’ils font contacter. Au besoin,
insistez.
- Non, ce n’est pas une
interview ! Nous sommes en bouclage et j’ai besoin de la photo de Mr B. en
haute définition. Ce que votre sous-traitant ne semble pas être capable de me
fournir…
- C’est pour quand ?
- Pour hier…
- (petit silence) Je ne sais
pas quoi vous dire… Est-ce que vous pouvez rappeler dans une petite heure ou
deux. Mon collègue sera rentré de déjeuner. Je pense qu’il pourra vous
renseigner.
4. Quatrième appel. Deux
heures trente plus tard :
- Re-bonjour madame.
- Oui, c’est pour quoi ?
- Je vous rappelle pour la
photo de Mr B. Vous deviez me passer votre collègue.
- Ah, c’est vrai, je vous le
passe.
(petit extrait du Printemps
de Vivaldi)
- Allô ?
- Bonjour monsieur. On vous a
expliqué la raison de mon appel ?
- Pas vraiment non. C’est
pour un exemplaire presse, c’est ça ? On a un service extérieur qui s’en
occupe.
- (hésitation du présent
chroniqueur. Efforts surhumains pour stopper le cri et les blasphèmes venus du
plus profond de la poitrine). Non, ce n’est pas ça. J’ai juste besoin d’une
photo de Mr B. pour illustrer un article et votre boîte de com’ n’a pas été
capable de m’en fournir.
- Et les agences de
presse ?
- (hésitation puis soupir)
Idem pour les agences de presse. Leurs photos sont trop anciennes. Elles datent
de la fin des années 1980. De toutes les façons, je n’ai pas de budget pour
acheter des photos d’auteurs. C’est pour ça, qu’en règle générale, on s’adresse
à leurs éditeurs.
- Ah ouais… Bon, qu’est-ce que
je peux faire pour vous ?
- Vous débrouiller pour
trouver une photo en haute définition de votre auteur comme ça il sera bien
content, et vous aussi, de lire une note de lecture sur son essai publiée dans
un beau magazine !
- Ah ouaiais !
D’accord ! Oui, ça change tout. Le problème, c’est que son éditeur n’est
pas là en ce moment. Il n’y a que lui qui a son téléphone. On peut effectivement
essayer de l’attraper et de le photographier. Avec un Samsung Galaxy, c’est
bon, non ?
- Oui, à condition que le fichier
soit en haute définition. Il rentre quand ?
- Qui ?
- Votre collègue.
- Bah, après le 8 mai. Lundi
12 je pense ou mardi 13, je ne sais plus. Attendez, je vérifie.
(de nouveau Vivaldi, quelques
bips puis une sonnerie à l’autre bout du combiné)
- Allô ?
- Oui, pardon madame, j’étais
en communication avec quelqu’un de chez vous.
- Là, vous êtes au standard.
Allô ? Allô ?
- …
5. Première sonnerie
matinale, lundi 5 mai :
- Ça va ?
- Ça va…
- Dis donc, la page lecture
est toujours au montage.
- Oui, il manque la photo.
- Faut appeler l’éditeur,
non ?
- L’éditeur ou le service de
presse externalisé ?
- Hein ?
- Non, rien, on s’en occupe…
_
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