Le Quotidien d’Oran, jeudi 29 mai 2014
Akram Belkaïd, Paris
Le Front national (FN) vainqueur des élections : à qui la faute ? Même si le pire n’est jamais certain, il va falloir s’habituer à se poser cette question après chaque échéance électorale française. Dimanche 25 mai, ce n’était « qu’un » scrutin européen. Mais si rien ne change, si la France ne réagit pas, Marine Le Pen sera certainement présente au second tour de la présidentielle de 2017 et le FN réalisera un score d’importance aux législatives qui suivront (en supposant que ces deux élections auront bien lieu à la date prévue et qu’elles n’auront pas été avancées pour cause de crise majeure…).
Alors,
la faute à qui ? D’abord, et avant tout à la classe politique dite
républicaine. Une classe politique en dessous de tout et qui, en ne se montrant
pas exemplaire, ne cesse de donner les meilleurs arguments à l’extrême-droite.
Une classe politique qui refuse de reconnaître que la situation est des plus
graves et qu’il est temps pour elle de se remettre en cause. Arrêtons-nous un
instant et faisons le compte de tous les scandales et emballements médiatiques
qui ont secoué la France depuis trois ou quatre ans, c’est-à-dire depuis
l’aggravation de la crise économique et la multiplication des difficultés
sociales auxquelles s’ajoute la peur, parfois irrationnelle mais bien réelle,
du déclassement. Affaire DSK, affaire Tapie, affaire Cahuzac, affaire
Copé-UMP-Bygmalion… Contrairement à une idée très répandue chez les politiciens
mais aussi à l’intérieur des rédactions, ces scandales ne s’effacent pas et
l’actualité sans cesse mouvante ne chasse pas leurs fumets pestilentiels.
L’électeur a de la mémoire. Il n’oublie rien. Il emmagasine et quand vient
l’heure du vote, il a enfin la possibilité de libérer ses ressentiments
cumulés.
Les
politiciens et leurs grosses affaires, donc… Des sommes astronomiques, des
avantages indus, des passe-droits, des comportements moralement répréhensibles
quand ils ne sont pas délictueux, des mensonges « les yeux dans les yeux », une
morgue, un cynisme et des dénégations suivies, quand la vérité finit par
éclater, par des repentirs savamment concoctés par les as de la com’. Questions
: qui peut croire que tout cela ne pouvait avoir de fâcheuses conséquences
? Qui peut croire qu’un smicard, un
retraité ou un cadre moyen, apprenant que des millions d’euros sont distribués
aux copains-coquins ou bien encore soustraits au fisc – ce fisc si impitoyable
à l’égard du contribuable anonyme - ne seraient pas tentés de voter pour le
seul parti qui promet un grand ménage ?
On
parle beaucoup des excès des jeunes de banlieues mais, le bon sens populaire
sait bien au fond de lui-même qui sont les vraies racailles et qui sont les
vraies crapules. C’est celles qui pensent qu’un mandat électoral leur ouvre la
voie à tous les privilèges et les exempte du moindre devoir et de la première
des obligations qui est celle de respecter la loi. Question : que pense
aujourd’hui un électeur, plutôt très droitier de l’UMP, et dont on a sollicité
la générosité pour combler le trou financier de son parti ? Qui veut parier
contre le fait que l’idée de voter Front national est en train de s’imposer à
lui.
Poursuivons.
A qui la faute ? A François Hollande, bien évidemment. Deux ans à peine après
son élection – applaudie à l’époque par le présent chroniqueur – son théâtre
des opérations est totalement dévasté. Ça devait régler son compte à la
finance, ça devait redonner espoirs aux ouvriers, aux chômeurs, aux jeunes, aux
classes moyennes en quête de pouvoir d’achat. Au final, de dérobades en
atermoiements, ça a fait tchoufa… Le
moi-président a fait son coming-out en tant que social-démocrate, regardant la
pointe de ses chaussures quand il se fait tancer par la Commission européenne
et les chantres de l’austérité. A la question « la faute à qui ? » nombre de
personnes horrifiées par la victoire du Front national répondent d’emblée « aux
abstentionnistes ». Mauvaise réponse. L’abstention, dans ce cas précis, n’est
rien d’autre que l’expression d’une perte totale de confiance surtout chez les
électeurs de gauche. Ils ont élu quelqu’un qu’ils pensaient être socialiste,
ils se retrouvent avec un président plutôt centriste et un Premier ministre que
la droite, dite modérée, ne renierait pas. Belle embrouille n’est-ce pas ?
Certes,
il y a eu les fameuses réformes sociétales. Une victoire à la Pyrrhus que le
politiquement correct interdit de critiquer mais qui mériterait au moins d’être
jugée à l’aune de l’opportunité stratégique. Dis-moi quelles sont les lois que
tu fais passer au cours de la première partie de ton mandat – c’est à dire
celle où les choses sont encore possibles car on est encore loin des prochaines
échéances électorales - et je te dirai qui tu es. A ce sujet, ce n’est pas un
hasard si le vote des étrangers aux élections locales a été repoussé aux
calendes grecques car jugé non prioritaire et, surtout, dangereux sur le plan
électoral. Finalement, ce n’était qu’une promesse gobée par nombre d’électeurs
d’origine étrangère qui, dimanche 25 mai, ont décidé de rester chez eux…
Revenons
à la première question. A qui la faute ? Aux médias, bien sûr. Pas tous.
Certains, à l’image des radios du service public, ont fait un vrai effort pour
mettre en perspective les enjeux du scrutin européen. D’autres, comme les
télévisions, qu’elles soient publiques ou privées, ont préféré la chasse à
l’audimat en ne cessant d’offrir des tribunes de choix à Marine Le Pen.
Complicité. Quand on organise des débats construits pour n’être en réalité que
des pugilats susceptibles de mobiliser du temps de cerveau utile, il ne faut
pas prétendre que l’on ignore que c’est à celle qui criera le plus que
reviendra la victoire et cela quels que soient ses arguments.
La
faute à qui ? On ne peut, bien sûr, oublier la manière dont l’Europe se
construit et évolue. Une chronique n’y suffirait pas mais il y a un élément
important à retenir. La victoire du Front national aux élections européennes
est aussi une conséquence directe de la manière dont a été géré le « non »
français au référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel. Au terme d’une
période passionnante faite de débats et de prises de paroles multiples, des
électeurs de gauche comme de droite avaient alors signifié leur refus d’une
Europe qui ne serait qu’une vaste zone de libre-échange façonnée par les
lobbies et le dogme de la concurrence. Leur message n’a pas été écouté. Ce
mépris et ce manque de respect s’est, comme on dit, payé cash et il est à
craindre qu’il reste encore des traites à honorer.
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