Le Quotidien d'Oran, mercredi 30 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris
En Europe, et bien plus qu’aux Etats-Unis, c’est la grande
affaire du moment. La négociation, tenue secrète, du traité de libre-échange
transatlantique alimente les rumeurs les plus folles et fait renaître, chez les
Européens, un fort sentiment antiaméricain. Il faut dire que la portée de cet
accord, dont les promoteurs espèrent qu’il sera adopté en 2015, risque d’être
immense. En effet, cela peut conduire au bouleversement des équilibres
commerciaux et financiers dont la matrice a été forgée au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale.
Baisse des barrières
douanières
Cela fait au moins dix ans que ce traité est en négociation
et, à chaque fois, le processus a été interrompu du fait des Européens, plus
exactement du fait d’un Parlement alerté par la société civile ou, plus
rarement, de la Commission après la pression d’Etats membres. Cette fois-ci, et
pour parer à toute contestation lors des discussions, la Commission de
Bruxelles qui négocie au nom des Vingt-huit préfère garder le secret.
Officiellement, il s’agit de ne pas dévoiler ses cartes à la partie adverse
mais, on le devinera aisément, c’est surtout pour éviter que telle ONG ou tel
parti europhobe ne s’empare d’un point particulier des négociations pour faire
capoter le projet.
Cette absence de transparence – bien plus importante que
lors des différents rounds de l’Organisation du commerce mondiale (OMC) – avive
la colère de nombreux citoyens européens qui y voient une offense à la
démocratie. Il faut dire aussi que le comportement quelque peu arrogant de
certains négociateurs de la Commission n’arrange pas les choses, ces derniers
oubliant parfois qu’ils sont au service des peuples de l’Union et non pas les
représentants d’une entité autonome.
Dans le détail, le futur Partenariat transatlantique de
commerce et d’investissement (PTCI ou Transatlantic trade and investment
partnership, ou TTIP, en anglais) devrait respectivement contribuer à abolir
les barrières douanières entre les deux zones, à faire converger les
législations et à harmoniser les normes. Pour ses défenseurs, les gains
seraient immenses : un marché de 820 millions de consommateurs, des gains
de 100 milliards de dollars pour les deux économies et la création de 2
millions d’emplois. A vrai dire, il est encore trop tôt pour vérifier ces
arguments promotionnels. En effet, il faudra attendre le détail de l’accord et faire
tourner les modèles de simulation pour évaluer l’impact réel du PTCI.
Mais une chose est certaine. En l’absence d’un contrôle
parlementaire rigoureux, le risque est grand de voir « l’harmonisation des
normes » se transformer en suppression des barrières sociales et
sanitaires qui existent en Europe. Interdiction des OGM et de la viande aux
hormones, principe de précaution, exception culturelle, tout cela est
susceptible d’être remis en cause, de manière directe ou indirecte, même si les
négociateurs de la Commission affirment que l’accord respectera l’acquis
européen et les législations nationales. Des promesses qui ne rassurent pas
grand-monde et cette défiance risque fort d’influencer le résultat des
élections européennes du 25 mai prochain. Ayant déjà le vent en poupe, les
mouvements eurosceptiques et xénophobes pourraient ainsi en tirer un gain
électoral important.
Mise au pas de
l’Europe ?
Sur le plan géopolitique, cet accord, s’il est adopté, aura
une autre signification. Pour nombre d’experts, peu suspects d’antiaméricanisme
primaire, il signifiera que l’Europe rentre dans le rang et abandonne toute
idée d’autonomie économique vis-à-vis des Etats-Unis. Cela voudra dire aussi
que le vieux Continent se range derrière la bannière étoilée dans le bras de
fer actuel entre l’Amérique et la Chine. Reste une question fondamentale à
laquelle les eurosceptiques et adversaires du PTCI n’ont pas de réponse :
dans le grand match annoncé de la globalisation du XXIème siècle, l’Europe
peut-elle vraiment s’en sortir seule
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