Le Quotidien d’Oran,
jeudi 8 janvier 2015
Akram Belkaïd,
Paris
C’est une
chronique écrite il y a plus de deux ans, quelques jours après les attentats
perpétrés par Mohamed Merah dans le sud de la France. Après réflexion, je n’ai pas
voulu la publier. Peut-être pour conjurer le mauvais sort, pour éviter d’avoir
à jouer le rôle d’oiseau de mauvais augure. Aujourd’hui, ce mercredi 7 janvier,
alors que, comme des milliers de personnes, je suis encore sous le choc de l’attaque
terroriste contre l’équipe de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, je la cherche dans mon ordinateur mais je ne la
trouve pas. Peut-être l’ai-je effacée. Pour ne pas avoir à la ressortir. Pour
ne pas avoir à vivre ces moments difficiles que nous sommes nombreux à avoir
pressenti. Mais il ne sert à rien de chercher à éviter l’inévitable. Il ne sert
à rien de s’opposer à des mécaniques infernales enclenchées par des
inconscients et des apprentis-sorciers.
Dans cette
chronique, j’évoquais cette peur récurrente que je ressens depuis des années,
parfois au détour d’une réflexion, d’une lecture, d’une rencontre, d’une
interview ou d’une simple prémonition. Cette peur était, elle est encore, celle
d’un attentat d’envergure qui viserait Paris ou un autre endroit de la France.
Un attentat qui serait perpétré par un groupe islamiste armé et qui stupéfierait
l’opinion publique avant qu’elle ne bascule dans la colère, l’amalgame et la
haine durable. Plusieurs de mes confrères partageaient – partagent encore -
cette appréhension. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, depuis ceux de
Madrid en 2004 et ceux de Londres en 2005, nous savions que cela était
possible. Que cela devait tôt ou tard arriver. Nous y sommes. Une grande vague
de merde déferle sur la France et il va falloir nager à contre-courant…
A chaque
incident, à chaque fait divers, nombre de maghrébins vivant en France (ou en
Europe) ont le même réflexe, la même pensée initiale, égoïste. Pourvu que
l’auteur ne soit pas un musulman. Pourvu que celui qui a tué n’ait pas prononcé
le nom du Créateur. Pourvu qu’il ne jette pas la honte et l’anathème sur des
communautés tétanisées à l’idée de faire et refaire la une des médias. Pourvu
qu’il s’agisse d’un extrémiste d’un autre camp. Je me souviens ainsi de ce que
m’avait avoué un confrère indonésien vivant aux Etats-Unis. En 1995, après
l’attentat d’Oklahoma City, en apprenant que l’auteur était un extrémiste
blanc, il avait soupiré de soulagement, oubliant que des dizaines de personnes
avaient péri dans cette attaque à la voiture piégée.
Ce qui vient de
se passer à Paris est effroyable. Pour les Algériens, cela va rappeler les 110
journalistes assassinés par les groupes armés durant la terrible décennie des
années 1990. Cela va réveiller de mauvais souvenirs, de vieilles angoisses que
l’on croyait oubliées. C’est une entrée dans l’inconnu d’autant plus
angoissante que personne ne sait, à l’heure où est écrite cette chronique, qui
est l’auteur de cette attaque (l’un des assaillants aurait lancé avoir
« vengé le Prophète »). Du coup, les vœux de bonne année, les bonnes
résolutions, tout cela devient tellement dérisoire. Dans les prochains jours,
nous allons vivre au rythme des nouvelles, des talk-shows, des péroraisons
permanentes des spécialistes en tous genre et, peut-être, au rythme d’autres
mauvaises nouvelles. Est-ce un acte isolé ? Est-ce le début d’une campagne
de terreur ? On le saura bien assez tôt…
Il ne faut pas
se voiler la face. Malgré le discours unitaire et raisonnable du président
François Hollande, il va y avoir des représailles. L’islamophobie si vive ces
derniers temps, va en être exacerbée. Des milliers de personnes vont payer pour
les actes d’extrémistes qui doivent savourer leur triomphe. Les lignes de
fractures étaient déjà béantes, elles vont s’aggraver. Les islamophobes, les
tenants de la théorie du « grand remplacement », les racistes de tous
poils vont pouvoir triompher et répandre leurs idées nauséabondes. Les
attentats du 11 septembre 2001 ont libéré la parole raciste et xénophobe. Il
est à craindre que ce qui vient de se passer à Paris en fasse de même.
Les musulmans
vont de nouveau être sommés de condamner cette atrocité. Qui saura reconnaître
(admettre ?) qu’eux-aussi sont indignés et écœurés ? Dans un tel
contexte, faire entendre une voix nuancée, qui condamnerait sans aucune
équivoque cette tuerie mais qui refuserait les amalgames, sera difficile. Il le
faudra pourtant. Il faudra dire et répéter que cet attentat est odieux, qu’il
n’a ni excuse ni justification. Et, dans le même temps, il faudra dire et
répéter que revendiquer cette condamnation ne signifie pas que l’on se joint
aux apprentis-sorciers qui sèment la haine entre communautés depuis des années.
Il est des
journées que l’on n’oublie pas. Celle du mercredi 7 janvier a commencé tôt dans
le froid glacial et dans la brume poisseuse qui enveloppait la capitale
française. Elle a commencé avec une émission de radio où le service public a
tendu un micro plutôt complaisant, ou tout du moins mal préparé, à un écrivain
islamophobe patenté. En somme, un début de journée plutôt banal. Et puis s’est
affichée sur mon écran la première dépêche annonçant la tuerie. C’est ainsi que
j’ai compris qu’il me faudrait ressortir cette chronique longtemps mise de
côté…
P.S. L’auteur
de cette chronique adresse ses condoléances les plus sincères aux familles des
victimes de l’attentat contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Il a aussi une
pensée pour tous les proches des journalistes et intellectuels algériens que
cette tuerie va brutalement renvoyer dans un passé de larmes et de douleurs.
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2 commentaires:
Bonjour,
Le pire est que les extrêmes-droites d'Allemagne, comme pediga, se servent de ce massacre pour crier leur islamophobie.
Et instrumentaliser ce massacre est pour moi, une très mauvaise chose...surtout si les différents chefs d'Etat sont invités! Une désagréable impression que cela va justifier une société de méfiance et de répression. Pas bon tout ça!
Gene
Pourquoi ne pas assumer tout simplement que la plupart des musulmans ne sont pas fanatiques, mais que l'Islam produit des fanatiques sans aucun sens de l'humour, sans aucune tolérance, sans aucun esprit critique ?
Bien sûr la plupart des musulmans de ce côté-ci de la planète condamne le terrorisme, mais le jour où on les verra faire une analyse critique du Coran, on les regardera d'une autre manière.
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