Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 22 août 2015

La chronique du blédard : Monologue de celui qui a regardé un film de dauphins

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 août 2015
Akram Belkaïd, Paris

Bon, ils m’ont demandé de rester pour regarder un film avec eux et leurs enfants. Au début, j’ai dit non. Un film en famille, ce n’est plus possible. La honte, khô… Maintenant, même dans les dessins animés, il y a des « scènes ». Les gamins, ils savent tout du khichibichi à dix ans ! Ils ont insisté en me disant que ce serait une histoire de dauphins et là, j’ai tout de suite dit oui. Les films de dauphin, c’est un truc spécial. Ça me parle. A toi aussi, non ? On a tous grandi avec Flipper. Tu te souviens ? Ha ha ! Sandy, Bud et ses tâches de rousseurs, le ponton, les espadrilles, les cordes et puis leur père qui passait son temps dans sa vedette avec sa radio et son uniforme bien repassé. J’ai entendu parler de Coral Key avant même de savoir ce qu’était la Floride ! Flipper, khô ! A la plage, on imitait tous sa marche arrière et son drôle de cri. Creep-Creep-Creep !
 
Bon, donc le film commence. L’histoire d’un endroit à la fois parc et hôpital pour animaux marins. Au début, ils te montrent un grand bassin avec deux dauphins à l’intérieur. L’un d’eux n’a pas de queue. Efface ce sourire s’il te plaît ! Il est handicapé, alors ils lui mettent une prothèse. Des fois, il y a le public qui vient et donc le dauphin nage avec deux ados et une athlète handicapée. Une superbe femme à qui il manque un bras. Du coup, je commence à me dire que l’affaire va tourner autour d’elle et du patron du parc. Rien du tout… Sur ce, tu as un cormoran fou qui commence à faire des siennes. Là, je pense que c’est un clin d’œil à Hitchcock, peut-être que les oiseaux vont attaquer et que les dauphins vont sauver l’humanité. Bref, une qar3a, un navet habituel, mais un gentil navet. Tu parles…
 
Tout de suite après, le dauphin qui n’a pas de queue commence à se comporter bizarrement. Il manque même de blesser  l’un des ados qui plonge avec lui et qui a l’air d’être encore plus sérieux qu’un comptable suisse. Là, tu as le choix. Tu te dis que le gamin va avoir des problèmes. Qu’en fait, c’est un délinquant qui fait plein de bêtises dans le parc et que le dauphin l’a compris. Ou alors, tu espères que l’animal est nerveux parce qu’une une grosse catastrophe menace. Un tremblement de terre ou alors, mieux, comme dans Flipper, un ouragan avec un superbe raz-de-marée. Grâce au dauphin, tout le monde est sauvé, même cet abruti de cormoran qui vole leurs doudous aux enfants et qui veut ensuite manger une tortue marine qui fait dix fois son poids ! Et bien, walou
 
En fait, il faut attendre vingt bonnes minutes pour avoir le premier choc du film. L’un des deux dauphins, pas celui qui n’a pas de queue, meurt en restant au fond du bassin alors que le public est présent. Terrible… Evacuation générale… Instants dramatiques… Tu penses… Même les figurants n’ont pas l’air d’y croire. Tiens, ça me rappelle une histoire. Tu savais que pour Flipper, on n’utilisait que des dauphins femelles parce qu’elles sont plus calmes ? Si, si... Et donc, l’une d’elles, n’a pas supporté de ne plus tourner après la fin de la série. Elle a déprimé et elle s’est suicidée. En décidant de ne plus respirer et en allant, elle aussi, au fond du bassin…
 
Bon, je reprends. Donc, l’un des deux dauphins meurt et l’autre se met à faire un peu n’importe quoi. Il cogne, il fait la tête, il déprime. Et là, tu te dis qu’en fait c’est lié à un poison quelconque. Qu’on va découvrir qu’un méchant veut torpiller le parc ou alors que c’est le patron – qui a une tête de pervers – qui est derrière tout ça alors que sa fille adore les animaux et qu’elle a le béguin pour celui qui plonge avec les dauphins. Tu me suis ? A un moment, t’as un inspecteur envoyé par le ministère de l’agriculture pour vérifier le parc. Là, tu te dis, waow, c’est ça un pays développé… Un inspecteur pour les dauphins… Donc, le type n’est pas content parce qu’il y a un peu peinture qui s’écaille au bord du bassin. Impossible de ne pas se dire que l’intrigue, c’est ça. Une peinture toxique, le directeur du parc qui a rogné sur les dépenses et qui veut masquer l’affaire, sa fille qui va s’en apercevoir et le dénoncer pour épouser le premier prix d’allemand. Niet…
 
En fait, un autre dauphin est soigné et il faut le relâcher alors que sa compagnie aurait pu faire du bien à son pote déprimé. C’est le dilemme tragique… La remise à l’eau, c’est un truc façon grande opération logistique. Des dizaines de gens et des talkies-walkies, en pagaille. A peine lâché, le dauphin part vers le large. Mais là, il y a un écho sur le radar d’une vedette censée le suivre. J’ai pensé, ça y est ! Les requins attaquent. Un truc à la Sharknado. Comment, tu connais pas ? Za3ma journaliste… Sharknado, un, deux, trois et il paraît qu’ils préparent le quatre. T’as un ouragan et une immense tornade au large du Mexique. Ils aspirent les requins de l’océan qui retombent ensuite sur Los Angeles. Imagine la scène : il pleut, t’es sur le perron de ta maison, tu hésites à aller plus loin quand un requin tombe du ciel, t’avale un bras et disparaît dans les égouts… C’est avec un ancien acteur de Beverley Hills. C’est pas vrai, je ne te crois pas, tout le monde regardait ça pour mater Brenda ! Enfin, Sharknado, c’est vraiment pas mal. La preuve, Mia Farrow et Philip Roth sont fans. Si, si, je te jure que c’est vrai. Ils l’ont même tweeté. Philip Roth…
 
Bref. C’était pas des requins mais d’autres dauphins venus faire la fête à leur copain. Et là, on approche de la fin du film. Un nouveau venu, tout petit, est mis avec le déprimé. Ça commence bien, il y a du suspense, on se dit que le grand va cogner l’autre. Le manger. Bah non, sauf que le petit se rend compte que l’autre est handicapé et il se met soudain à tourner comme un fou dans le parc en poussant des hurlements. Là, Mandela qui est présent fait une moue du style ce n’est pas normal. Oui, Mandela, enfin, l’acteur qui joue son rôle. Ne me demande pas ce qu’il fait dans le film. Il est là avec un nœud-pap et son chapeau et il dit des phrases bizarres qui te font toujours croire qu’il se passe quelque chose de grave alors que nada. Finalement, le petit dauphin s’habitue à celui qui n’a pas de queue. Le patron du parc sourit et a l’air moins bizarre. Mandela est content et l’ado trop sérieux s’en va faire des études alors que sa copine lui fait plein de signes pour lui avouer qu’elle l’aime. Et même le cormoran refait son apparition alors qu’on pensait que les figurants l’avaient mangé.
 
Et tu sais quoi ? Je suis allé sur internet le soir même parce que c’est censé être une histoire vraie. Mais tout ça, c’est du festi. La prothèse fait mal au dauphin et lui a déformé la colonne vertébrale. Le petit qui lui tient compagnie n’a jamais eu peur de lui et l’état des bassins est dégueulasse et ce n’est pas que des éclats de peinture qui le salissent. Tu vois… Non seulement c’était un navet mais c’était aussi de la propagande pour faire croire que les parcs marins de Floride traitent bien les dauphins et qu’ils les relâchent alors qu’ils les exploitent pour du flouss. Quoi ? Non, j’ai rien trouvé sur le cormoran. Pourquoi ça t’intéresse ? Je peux regarder si tu veux.…
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