Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 août 2015
Akram Belkaïd, Paris
Bon, ils m’ont demandé de rester pour
regarder un film avec eux et leurs enfants. Au début, j’ai dit non. Un film en
famille, ce n’est plus possible. La honte, khô…
Maintenant, même dans les dessins animés, il y a des « scènes ». Les
gamins, ils savent tout du khichibichi
à dix ans ! Ils ont insisté en me disant que ce serait une histoire de
dauphins et là, j’ai tout de suite dit oui. Les films de dauphin, c’est un truc
spécial. Ça me parle. A toi aussi, non ? On a tous grandi avec Flipper. Tu
te souviens ? Ha ha ! Sandy, Bud et ses tâches de rousseurs, le
ponton, les espadrilles, les cordes et puis leur père qui passait son temps
dans sa vedette avec sa radio et son uniforme bien repassé. J’ai entendu parler
de Coral Key avant même de savoir ce qu’était la Floride ! Flipper, khô ! A la plage, on imitait tous sa
marche arrière et son drôle de cri. Creep-Creep-Creep !
Bon, donc le film commence. L’histoire d’un
endroit à la fois parc et hôpital pour animaux marins. Au début, ils te
montrent un grand bassin avec deux dauphins à l’intérieur. L’un d’eux n’a pas
de queue. Efface ce sourire s’il te plaît ! Il est handicapé, alors ils
lui mettent une prothèse. Des fois, il y a le public qui vient et donc le
dauphin nage avec deux ados et une athlète handicapée. Une superbe femme à qui
il manque un bras. Du coup, je commence à me dire que l’affaire va tourner autour
d’elle et du patron du parc. Rien du tout… Sur ce, tu as un cormoran fou qui
commence à faire des siennes. Là, je pense que c’est un clin d’œil à Hitchcock,
peut-être que les oiseaux vont attaquer et que les dauphins vont sauver l’humanité.
Bref, une qar3a, un navet habituel,
mais un gentil navet. Tu parles…
Tout de suite après, le dauphin qui n’a pas
de queue commence à se comporter bizarrement. Il manque même de blesser l’un des ados qui plonge avec lui et qui a
l’air d’être encore plus sérieux qu’un comptable suisse. Là, tu as le choix. Tu
te dis que le gamin va avoir des problèmes. Qu’en fait, c’est un délinquant qui
fait plein de bêtises dans le parc et que le dauphin l’a compris. Ou alors, tu espères
que l’animal est nerveux parce qu’une une grosse catastrophe menace. Un
tremblement de terre ou alors, mieux, comme dans Flipper, un ouragan avec un
superbe raz-de-marée. Grâce au dauphin, tout le monde est sauvé, même cet
abruti de cormoran qui vole leurs doudous aux enfants et qui veut ensuite manger
une tortue marine qui fait dix fois son poids ! Et bien, walou…
En fait, il faut attendre vingt bonnes minutes
pour avoir le premier choc du film. L’un des deux dauphins, pas celui qui n’a
pas de queue, meurt en restant au fond du bassin alors que le public est
présent. Terrible… Evacuation générale… Instants dramatiques… Tu penses… Même
les figurants n’ont pas l’air d’y croire. Tiens, ça me rappelle une histoire.
Tu savais que pour Flipper, on n’utilisait que des dauphins femelles parce
qu’elles sont plus calmes ? Si, si... Et donc, l’une d’elles, n’a pas
supporté de ne plus tourner après la fin de la série. Elle a déprimé et elle
s’est suicidée. En décidant de ne plus respirer et en allant, elle aussi, au
fond du bassin…
Bon, je reprends. Donc, l’un des deux
dauphins meurt et l’autre se met à faire un peu n’importe quoi. Il cogne, il
fait la tête, il déprime. Et là, tu te dis qu’en fait c’est lié à un poison
quelconque. Qu’on va découvrir qu’un méchant veut torpiller le parc ou alors
que c’est le patron – qui a une tête de pervers – qui est derrière tout ça
alors que sa fille adore les animaux et qu’elle a le béguin pour celui qui
plonge avec les dauphins. Tu me suis ? A un moment, t’as un inspecteur
envoyé par le ministère de l’agriculture pour vérifier le parc. Là, tu te dis, waow,
c’est ça un pays développé… Un inspecteur pour les dauphins… Donc, le type
n’est pas content parce qu’il y a un peu peinture qui s’écaille au bord du
bassin. Impossible de ne pas se dire que l’intrigue, c’est ça. Une peinture toxique,
le directeur du parc qui a rogné sur les dépenses et qui veut masquer
l’affaire, sa fille qui va s’en apercevoir et le dénoncer pour épouser le
premier prix d’allemand. Niet…
En fait, un autre dauphin est soigné et il
faut le relâcher alors que sa compagnie aurait pu faire du bien à son pote
déprimé. C’est le dilemme tragique… La remise à l’eau, c’est un truc façon
grande opération logistique. Des dizaines de gens et des talkies-walkies, en
pagaille. A peine lâché, le dauphin part vers le large. Mais là, il y a un écho
sur le radar d’une vedette censée le suivre. J’ai pensé, ça y est ! Les
requins attaquent. Un truc à la Sharknado. Comment, tu connais pas ? Za3ma journaliste… Sharknado, un, deux,
trois et il paraît qu’ils préparent le quatre. T’as un ouragan et une immense
tornade au large du Mexique. Ils aspirent les requins de l’océan qui retombent
ensuite sur Los Angeles. Imagine la scène : il pleut, t’es sur le perron
de ta maison, tu hésites à aller plus loin quand un requin tombe du ciel, t’avale
un bras et disparaît dans les égouts… C’est avec un ancien acteur de Beverley
Hills. C’est pas vrai, je ne te crois pas, tout le monde regardait ça pour mater
Brenda ! Enfin, Sharknado, c’est vraiment pas mal. La preuve, Mia Farrow
et Philip Roth sont fans. Si, si, je te jure que c’est vrai. Ils l’ont même
tweeté. Philip Roth…
Bref. C’était pas des requins mais d’autres
dauphins venus faire la fête à leur copain. Et là, on approche de la fin du
film. Un nouveau venu, tout petit, est mis avec le déprimé. Ça commence bien,
il y a du suspense, on se dit que le grand va cogner l’autre. Le manger. Bah
non, sauf que le petit se rend compte que l’autre est handicapé et il se met
soudain à tourner comme un fou dans le parc en poussant des hurlements. Là,
Mandela qui est présent fait une moue du style ce n’est pas normal. Oui,
Mandela, enfin, l’acteur qui joue son rôle. Ne me demande pas ce qu’il fait
dans le film. Il est là avec un nœud-pap et son chapeau et il dit des phrases
bizarres qui te font toujours croire qu’il se passe quelque chose de grave
alors que nada. Finalement, le petit dauphin s’habitue à celui qui n’a pas de
queue. Le patron du parc sourit et a l’air moins bizarre. Mandela est content
et l’ado trop sérieux s’en va faire des études alors que sa copine lui fait
plein de signes pour lui avouer qu’elle l’aime. Et même le cormoran refait son
apparition alors qu’on pensait que les figurants l’avaient mangé.
Et tu sais quoi ? Je suis allé sur
internet le soir même parce que c’est censé être une histoire vraie. Mais tout
ça, c’est du festi. La prothèse fait
mal au dauphin et lui a déformé la colonne vertébrale. Le petit qui lui tient
compagnie n’a jamais eu peur de lui et l’état des bassins est dégueulasse et ce
n’est pas que des éclats de peinture qui le salissent. Tu vois… Non seulement
c’était un navet mais c’était aussi de la propagande pour faire croire que les
parcs marins de Floride traitent bien les dauphins et qu’ils les relâchent alors
qu’ils les exploitent pour du flouss. Quoi ? Non, j’ai rien trouvé sur le
cormoran. Pourquoi ça t’intéresse ? Je peux regarder si tu veux.…
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