Le
Quotidien d’Oran, jeudi 6 août 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Faut-il
ou non utiliser la darja, autrement
dit l’arabe dialectal, ou mieux encore l’arabe algérien, à l’école ?
Faut-il l’enseigner ou doit-on même penser à en faire la langue d’enseignement
d’autres matières y compris l’arabe classique ou littéraire ? Depuis
quelques jours, ces interrogations ont engendré un vif débat national et diverses
passions sur les réseaux sociaux. Il faut dire que la question n’est pas neutre
car elle renvoie à l’histoire de l’Algérie, à sa quête identitaire tourmentée
ainsi qu’à des considérations d’ordre politique qu’il ne faut pas éluder.
Mais
commençons par insister sur le point suivant. Ce n’est pas la langue qui fait
la bonne qualité d’une pédagogie. Autrement dit, ce n’est pas en ayant recours
à la darja que des programmes
archaïques vont soudain se métamorphoser et permettre au pays de repêcher un
système éducatif en faillite. Cela fait
des années que le constat est connu. L’Algérie a du mal à moderniser son école
et à cesser de produire des légions de diplômes et de cursus qui ne servent à
rien et qui, au contraire, sont le gage d’une régression permanente. Une
régression qui se traduit, entre autres, par la mise à mal de la rationalité et
par la diabolisation de l’esprit critique dans un contexte de bigoterie endémique.
Alors oui, le secteur éducatif mérite un débat et donc d’inévitables
polémiques, mais il y a certainement plus urgent que de s’écharper à propos du
dialectal.
Ceci
étant précisé, il est évident que l’Algérie est l’un des rares pays à avoir un
vrai problème avec une langue qui est pourtant parlée par la majorité de sa
population. La darja, comme
d’ailleurs la langue berbère, a souffert de nombreux bannissements. Il fut un
temps, c’est moins le cas désormais, où elle était interdite d’antenne, à la
radio et surtout à la télévision. Interdite aussi d’emploi à l’école où des
professeurs de langue arabe à la pédagogie plus qu’approximative prenaient un
malin plaisir à humilier les élèves qui l’employaient dans leurs rédactions.
Avec le temps, une moindre crispation politique vis-à-vis des questions
linguistiques et l’essor des nouveaux médias ont changé la donne. C’est le cas notamment
avec internet qui permet la diffusion de vidéos en darja et qui a aussi
favorisé l’émergence de l’arabezi - ou arabizi - c’est à dire la langue arabe,
qu’elle soit dialectale ou classique, écrite avec des caractères latins et des
chiffres comme par exemple le terme 3arbiya.
La
langue que nous parlons tous les jours est tout sauf menacée. Elle n’a nul
besoin d’Académie, elle n’appartient à personne, elle a sa vigueur, elle
capture et refaçonne tout ce qui l’intéresse puisqu’aucune règle ne semble la
contraindre. Dans le fond, l’idée qu’elle fasse son entrée à l’école en tant
qu’outil ou vecteur pédagogique n’est pas idiote. Mais faut-il aussi l’enseigner ?
Une première réponse immédiate est de demander pourquoi faire puisqu’elle
s’apprend partout, dans la rue comme dans les familles. La question qui suit
est quant à elle plus essentielle. Enseigner la darja ? D’accord, mais laquelle ? Celle de la rue qui tend
à dériver de ce néo-algérois aux accents emphatiques et, trop souvent, d’une
insupportable vulgarité ? Ou alors celle que l’on pourrait adapter de l’arabish, cette langue arabe globalisée
(celle des médias satellitaires) que l’on appelle aussi arabe médian ? Ou enfin
cette « vraie » darja, du moins la plus ancienne, c’est à dire celle
qui a porté la culture populaire algérienne de la fin du dix-neuvième siècle
aux premiers temps de l’indépendance ? La darja des contes, de la boqala,
du chaabi, du hawzi ou même du vieux raï ?
Si
c’est de cette dernière qu’il s’agit, alors il faut admettre que l’on devra ressusciter
une langue perdue, peu à peu oubliée. Avant d’émettre tel ou tel avis définitif,
il faudrait ainsi faire preuve d’un peu de curiosité en lisant un vieux manuel
d’arabe algérien – élaboré pendant la période coloniale - ou en parcourant un
dictionnaire d’arabe algérien rédigé par quelques anciens fonctionnaires des
bureaux arabes. On s’apercevra alors que nombre de termes mentionnés ne sont
plus employés aujourd’hui ayant été notamment remplacés par des mots français.
On peut aussi prendre la peine de lire dans le texte les proverbes maghrébins
recueillis par Mohamed Bencheneb (1869-1929). La darja qui y est employée n’est
plus de mise aujourd’hui sauf dans certains cercles restreints de lettrés ou
d’artistes.
Plus
important encore, en redécouvrant cette darja,
l’on se rendra compte, contrairement aux élucubrations que l’on peut lire et
entendre actuellement, que cette dernière ne renie en rien son lien de parenté
avec la langue arabe classique. L’auteur de ces lignes – qui espère que le
distingué linguiste de Ténès ne froncera pas les sourcils en lisant ce texte -
peut en témoigner. Les proverbes recueillis par Bencheneb sont compris de
Casablanca à Mascate en passant par le Caire ou Amman. Nul besoin de les
traduire en langue littéraire sauf quand ils contiennent un mot turc ou
berbère. Voilà qui risque de déplaire à celles et ceux qui, à l’image de
l’administration coloniale jadis, pensent que la promotion de la darja permet
de couper les ponts avec le reste du monde arabe. En réalité, c’est bien au
résultat inverse que l’on risque d’aboutir.
Par
ailleurs, il serait peut-être temps de cesser de s’en prendre systématiquement
à l’arabe classique au nom du refus d’appartenir au monde arabe. Dans une
affirmation outrancière d’une identité qu’elles définissent avant tout par ce
qu’elles ne sont pas, ou ce qu’elles ne veulent pas être, certaines élites
francophones nous expliquent que cet arabe classique est une langue morte (ou
bien alors qu’elle alimente le terrorisme…). Outre le fait qu’elle nie
l’existence de millions d’Algériens qui maîtrisent cette langue (et cela malgré
les aléas d’une arabisation catastrophique du système éducatif), cette déclaration
traduit un abyssal manque de culture. Morte la langue de Fayrouz, de Mahmoud
Darwich, de Taha Hussein ou de Nizar Qabbani ? Soyons sérieux… On a le
droit de plaider pour une singularité maghrébine voire méditerranéenne. On a
même le droit, dans ce qui serait une sorte d’étrange revirement postcolonial,
de se dire plus proche du monde occidental que du reste du monde arabe. Mais ce
n’est pas en s’en prenant à la langue arabe classique que l’on trouvera la
bonne justification pour cela.
En
attendant, habbite nqoulelkoum belli
ellougha hadja sérieuse, machi tmasskhire. Lazem 3aliha tekhmima sans pitié,
dial les scientifiques ya chriki ! Rakoum dakkor, yakhi ?
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