Le Quotidien d’Oran, jeudi 13 août 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Une plage, au nord de Tunis (disons-le tout
de suite, la scène pourrait très bien se passer non loin d’Alger, de Béjaïa ou
d’Oran). Le ramadan est terminé, les jours bénis de l’aïd sont passés et avec
eux la tranquille solitude sur fond de sable blanc. La scène se passe en fin de
matinée. Il y a déjà du monde avec ses couffins, ses glacières, ses cornets
d’arachides ou de graines séchées et ses étoffes délavées destinées à transformer
les parasols en tentes médiévales mais le gros de la foule n’a pas encore
débarqué. Une heure auparavant, l’endroit était encore propre. Ou presque. Dans
la nuit, un tracteur a tracé ses sillons. Très tôt, des balayeurs ont nettoyé
la rue et le trottoir avoisinant. Tout cela pour rien. Maintenant, c’est un
dépotoir. Des bouteilles en plastique, des sachets multicolores, des emballages
de yaourts ou de jus, des mégots jaunis par le soleil, des briquets usagés et,
bien sûr, les incontournables quartiers de pastèques et de melons dûment grignotés.
Un homme, la quarantaine, ventre de buveur de bière et grosse montre de plongée
au poignet, jette la couche-culotte de son bébé dans l’eau. On lui demande les
raisons de ce geste alors qu’une poubelle, vide, se trouve à dix mètres de lui.
« De quoi tu te mêles, la plage t’appartient ? » telle est la
réponse belliqueuse du phoque.
Dès lors, on se trouve confronté à
plusieurs types de réaction possible. La scandinave (ou la suisse) qui
consisterait à ne rien dire et à aller repêcher le détritus pour le jeter
soi-même. Autrement dit le civisme et l’éducation, ou plutôt la rééducation,
par l’exemple silencieux. Si l’on est de nature optimiste et tenace, on peut y
croire. On peut se dire, qu’à terme cela peut payer. Autre possibilité, la
méthode Stasi, c’est à dire se mettre en quête d’un représentant de l’ordre
pour l’informer et l’amener à infliger une amende au pollueur indélicat. Autant
l’avouer, cette solution n’est pas la plus simple. La guérite de police est
très éloignée et on imagine la surprise du boulici
face à une telle démarche. Reste donc l’option algérienne qui consiste à
répondre en choisissant parmi l’une de ces variantes : « non, effectivement
cette plage ne m’appartient pas et je sais bien que c’est celle de ta
mère » ou bien « non, ce n’est pas ma plage. C’est celle de la femme
que tu crois être ta mère » ou encore, en se mettant avant cela bien sur
ses appuis, le mât du parasol prêt à être utilisé pour percer la bedaine :
« cette plage que tu salis n’est pas la mienne mais celle de tous les
types qui pourraient être ton père »…
Venu aux nouvelles, le jeune gérant de la
petite plage privée attenante se charge de la sale besogne et empêche donc
toute debza-demissile (bagarre – sang
qui coule). Il hoche la tête d’un air dégouté et raconte que ses clients font
la même chose sinon pire. Il dit remplir six sacs géants par jour. Qu’il a
renoncé à convaincre les gens d’utiliser les poubelles et de cesser de prendre
la mer et le sable pour des décharges. « Ils s’en moquent. Mais ce que je ne
comprends pas, c’est qu’ils reviennent le lendemain malgré tout ce qu’ils ont jeté »
conclut-il en se dirigeant vers d’autres détritus. On réalise alors que ce
qu’il vient de relever n’est pas inintéressant. Car, de deux choses l’une.
Soit, ces digoulasses, ces khamdjines qui souillent les plages de
Tunisie mais aussi d’Algérie – signalons que le Maroc est bien moins touché
( !) – sont convaincus que la Méditerranée possède un puissant pouvoir de
régénération et que, ma foi, la nature est donc suffisamment forte pour
éliminer en une nuit plastique, mégots, étrons et autres restes. Ou bien alors la
vérité dérangeante oblige à dire que ces gens n’ont pas d’éducation et absolument
aucune hygiène (la seule utilité qu’on pourrait leur trouver serait alors de
les envoyer à Paris pour « ambiancer » Tel-Aviv sur Seine…).
Il y a quelques semaines l’Algérie a connu
un profond engouement wanetoutriste à
propos d’une émission diffusée par l’émission Thalassa avec pour thème le
littoral de notre pays. Il est vrai que ce dernier, tout comme celui de la
Tunisie, recèle de merveilles extraordinaires, parfois peu connues (et
heureusement d’ailleurs). Certes, de rares voix discordantes ont vu dans ce
documentaire une sorte de publi-reportage passant sous silence une réalité plus
sordide comme cette pollution qui, courants marins portants, touche les
Baléares. Mais elles ont vite été rappelées à l’ordre. Pourtant, la saleté des
plages et, de façon générale, celle, insupportable, de l’espace public
mériterait une vraie médiatisation. Des campagnes de presse permanentes, des
mises en garde, des discours publics appelant au civisme et faisant honte aux
pollueurs. Au lieu de cela, la règle consiste à éluder la réalité, à balayer le
sujet d’un geste gêné ou irrité comme si le fait d’en parler attentait aux
dignités et fiertés nationales.
En Algérie comme en Tunisie on retrouve
donc la même situation. Hors des zones particulières (celles réservées à la
nomenklatura ou les hôtels pour touristes étrangers), de plus en plus de plages
publiques sont dévastées par la saleté née de l’incivilité. A cela s’ajoute le
spectacle de ces habits hétéroclites portés au nom d’une bigoterie qui
stupéfierait quelqu’un qui débarquerait directement des années 1970 ou 1980. Se
baigner complètement habillé, souvent avec des vêtements amples, n’est pas
simplement disgracieux – je conviens qu’il ne s’agit pas d’un argument
recevable – c’est surtout peu hygiénique (rien de mieux pour collecter tous les
microbes qui traînent) et dangereux (cela augmente les risques de noyade y
compris au bord de l’eau) cela d’autant que la couleur la plus fréquente,
autrement dit le noir, est la moins adaptée pour résister au soleil qui cogne.
On dira que tout ceci est bien secondaire.
Que l’été ne dure que deux mois et qu’il y a d’autres soucis bien plus
importants. Cela est certainement vrai. Mais, sans tomber dans des analyses de
bas étage, on ne peut s’empêcher de penser que l’état de ces plages en dit bien
plus qu’on ne le croit sur l’état de nos sociétés.
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