Texte d’Idries Shah in « Contes initiatiques des soufis »
Un groupe de « chercheurs » était venu rendre
visite à un grand maître qui connaissait la voie de la sagesse. Il trouvèrent
le maître dans la cour, festoyant avec les disciples.
« C’est odieux ! s’indignèrent les uns. Ce
n’est pas une façon de se conduire, quel que soit le prétexte ! »
Les autres, au contraire, d’approuver :
« Rien à redire à cela ! Ce type d’enseignement
nous plaît, nous voulons y participer. »
D’autres avouaient leur perplexité :
« Nous ne savons pas trop qu’en penser, nous
aimerions bien pouvoir éclaircir ce mystère. »
D’autres encore s’interrogeaient :
« Sans doute y a-t-il là-dessous quelques sagesse
cachée… Devons-nous chercher à savoir ce qu’il en est ? Ou faut-il en
rester-là ? »
Le maître les congédia tous. Ces gens répandirent leurs
opinions, en paroles et par écrit, concernant les festivités dont ils avaient
été témoins. Même ceux qui ne firent pas directement allusion à leur expérience
en furent marqués à un degré ou un autre, et les impressions qu’elle leur avait
laissée se reflétèrent dans leurs propos et même dans leurs actes.
Quelques temps après, certains membres de ce groupe, se
trouvant à proximité de la maison du maître, lui rendirent de nouveau visite.
Ils se tinrent un moment à l’entrée. Le maître et élèves étaient assis dans la
cour intérieure, hiératiques, abimés dans la contemplation.
« Voilà qui est mieux ! dirent les uns :
il a manifestement tenu compte de nos protestations.
- C’est parfait ! dirent les autres : la
dernière fois, il voulait nous mettre à l’épreuve, voilà tout !
- C’est sinistre ! estimèrent d’autres, des tristes
mines, on peut en voir partout. »
D’autres encore avaient d’autres opinions, qu’ils
exprimèrent ou non.
Le grand sage les renvoya tous.
Longtemps après, quelques-uns de ces
« chercheurs », désireux de savoir ce que le maître pensait de leurs
réactions et réflexions revinrent pour la troisième fois. Ils se présentèrent à
l’entrée, jetèrent un coup d’œil dans la cour. Le maître était là : il ne
festoyait pas, ne méditait pas, ses élèves avaient disparu.
« Je peux maintenant vous dire ce qu’il en est, leur
dit-il, car j’ai pu renvoyer mes disciples : le travail est achevé.
« La première fois que vous êtes venus ici, les
disciples prenaient les choses trop au sérieux. J’étais en train d’appliquer le
correctif.
« La deuxième fois que vous êtes venus, ils s’étaient
montrés trop désinvoltes, j’appliquais le correctif.
« Quand un homme travaille, il n’a pas toujours le
temps, ni le désir, de s’expliquer devant des visiteurs de passage, si
intéressés ceux-ci pensent-ils être. Quand une action est en cours, ce qui
compte, c’est son déroulement correct. L’appréciation des observateurs
extérieurs est en l’occurrence une affaire secondaire. Ce que les gens peuvent
penser d’une situation nous en apprend davantage sur eux que sur la situation
considérée. »
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