C’est un témoignage qui fait écho à une actualité
européenne presque quotidienne que livre la journaliste Prune Antoine (*).
Installée en Allemagne, elle se lie d’amitié à Djahar, un jeune migrant musulman
originaire du Caucase du nord. Elle vit à Berlin et a plutôt l’habitude de
vivre dans les milieux « schickimicki », autrement dit bobos. Lui, installé
dans une (triste) petite ville de l’ex-RDA
est à la fois boxeur, combinard, délinquant et chef de famille. Petit à petit,
il va s’ouvrir à elle, lui faire découvrir son quotidien heurté, interlope,
symbole d’un « multikulti »,
le modèle multiculturel allemand, qui ne fonctionne pas ou, plutôt, qui ne
semble plus adapté à la situation actuelle. Stages bidons, Integrationskurs (cours d’intégration) suivis uniquement
parce qu’il s’agit d’une obligation, Djahar rêve de devenir professionnel,
expliquant, signe d’une première fêlure, que sa passion pour les sports de
combats – domaine où il semble en imposer aux autres, s’explique par « son départ forcé » de son
pays et parce qu’il ne veut plus se « sentir
vulnérable ».
Au fil des discussions entre Slivka (prune
en russe, car c’est ainsi qu’il la surnomme) et Djahar, le discours de ce
dernier évolue peu à peu, passant d’un certain conservatisme machiste à un
propos ouvertement religieux, de plus en plus salafiste. C’est ainsi qu’un
jour, lui qui a eu des petites amies allemandes (ce qui exclut l’explication
trop facile de la radicalisation induite par la frustration sexuelle), il finit
par clamer qu’il veut « vivre selon
la charia » et qu’il reconnaît être de plus en plus connecté aux sites
djihadistes. Au point d’envisager de prendre le « one way ticket trip », autrement dit le voyage aller
pour la Turquie afin de rejoindre ensuite les djihadistes qui combattent le
régime de Bachar al-Assad.
Cette
inquiétante évolution est racontée de manière précise, sans jugement de
valeurs, et l’auteure a l’honnêteté d’avouer son incompréhension car, pour
elle, la dérive salafiste, on pourrait écrire pré-djihadiste, de Djahar,
demeure incompréhensible. « En
silence, écrit-elle en décrivant un moment où elle marche en compagnie de
Djahar, je réalise que je n’ai aucune
réponse, seulement des questions. Pourquoi la seule manière pour Djahar de
devenir un homme est-elle de partir à la guerre ? Pourquoi a-t-il tant besoin
de reconnaissance ? Comment quelqu’un qui a grandi dans la violence peut-il
retomber dans cette même violence ? Partir faire le djihad est-il le seul moyen
d’échapper à ses responsabilités ? De fuir son passé criminel ? De repartir à
zéro ? De masquer son impuissance à devenir un Européen comme les autres ? ».
Des questions fondamentales qui se posent aussi dans d’autres pays européens, à
commencer par la France confrontée aux départs de nombreux candidats au djihad
et issus de milieux différents.
On
terminera cette recension par deux remarques. La première concerne ce dialogue
entre la journaliste et Djahar qui mérite réflexion car il laisse entrevoir des
calculs sordides qui, il y a quelques années, peut-être moins aujourd’hui, ont facilité
l’afflux de djihadistes européens vers la Syrie :
« Ça m’étonnerait que tu puisses
voyager aussi facilement.
- Il n’y a pas autant de contrôles qu’ils
le disent dans les aéroports. Et puis, ça arrange les flics de laisser filer
des mecs de mon genre, ça leur fait moins de problèmes.
- Tu veux dire, parce que tu es un
délinquant ?
- Non, parce que je suis un
étranger. »
Quant
au second point, il s’agit d’un petit regret d’ordre sémantique, qui n’enlève
rien à la qualité et à l’intérêt du récit. En effet, il est dommage que Djahar
soit qualifié de « moudjahidine »,
abus d’emploi que l’on commet trop souvent en France, car ce terme, en langue
arabe, est un pluriel (un moudjahid,
des moudjahidine).
Akram
Belkaïd
(*) La fille et le moudjahidine, de Prune Antoine, carnetsnord, 125
pages, 12 euros.
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