Ce polar, bien particulier et quelque peu tendancieux, revient
sur les événements de mai 1945 en présentant une thèse qui fera bondir plus d’un
Algérien (*). L’intrigue est simple : Maurice Fabre, ancien sous-préfet français
de Guelma dans les années 1940 est arrêté lors d’une escale en Algérie et
inculpé de génocide et crimes contre l’humanité. Face à la justice algérienne
qui lui reproche son rôle dans les massacres de mai 1945, l’accusé entend
dévoiler sa « vérité ».
Selon Fabre, les manifestations nationalistes de 1945 – et les
massacres qui ont suivi en représailles – étaient, non pas une révolte des
Algériens, mais le résultat d’un complot – tiens, encore un… - ourdi par la
CIA. L’objectif ? Provoquer le désordre et obliger les Européens à
utiliser la violence afin d’achever d’installer leur domination définitive sur
l’Algérie en massacrant le plus possible de musulmans. Autrement dit, faire
subir à ces derniers le sort des Premières Nations d’Amérique (les Indiens).
Ouvrons ici une parenthèse. Les Algériens qui liront ce livre et éprouveront
certainement de la colère devant le fait qu’un événement historique et aussi
symbolique – les manifestations algériennes de 1945 et les sanglantes
représailles qui les ont suivies – est ramené à un simple complot extérieur.
Cela leur permettra, peut-être, de comprendre pourquoi nombre de Syriens
éprouvent le même sentiment quand on leur affirme que leur révolution de 2011 n’est
qu’une simple histoire d’interventions extérieures et manœuvres autour de
gazoducs concurrents. Fin de la parenthèse et revenons au polar en question.
Ce livre du journaliste et romancier Francis Zamponi (né en
1947 à Constantine) se réfugie bien sûr derrière la fiction et l’habituel « je
est un autre » permet toutes les libertés. Au fil des pages, on découvre
donc la pensée raciste de Maurice Fabre et son propos révisionniste. C’est le
cas quand, par exemple, il s’adresse par la pensée, au psychiatre venu l’expertiser
avant le procès.
Extrait :
« Après de
nombreuses discussions, observations et lectures, j’ai [Maurice Fabre] conclu que, pour augmenter le nombre des
Européens, il fallait leur réinsuffler l’esprit des pionniers et que, pour
diminuer celui des Arabes, il fallait cesser de fournir la sécurité sanitaire
et psychologique qui les incitait à croître et se multiplier (…) quels que
soient les motifs de leur attitude, les Européens, dans leur grande majorité,
avaient abandonné l’esprit combattif de leurs ancêtres. Ils avaient perdu les
réflexes salutaires de ces colons qui fondaient des familles nombreuses et,
suivant la recommandation du maréchal Bugeaud, le vainqueur d’Abd el-Kader,
tenaient la charrue dans une main et le fusil dans l’autre. S’ils voulaient
survivre, leurs descendants devaient réapprendre très vite que le fusil ne sert
pas qu’à la chasse. En mai 1945, tous ces naïfs et ces idéalistes ont compris,
certains au prix de leur vie, la profondeur de leur aveuglement.
« Je suis sûr de
ne pas me tromper, ô réputé docteur Bensalah [le psychiatre], en pensant que ta connaissance des
évènements de cette époque se limite hélas à la légende des 45 000 morts
musulmans assassinés par l’armée coloniale. Si tu avais eu l’esprit un peu plus
ouvert à l’égard du personnage orgueilleux et rigide que tu as cru expertiser,
il t’aurait démontré que, si la paix relative qui régnait en Algérie depuis une
quarantaine d’année avait émoussé la pugnacité des Européens, elle n’avait en
rien fait évoluer tes coreligionnaires, dont la plupart, malgré le vernis
civilisateur dont les avions recouverts, avaient conservé intacte leur
sauvagerie intrinsèque. (sic) »
On termine la lecture de ce polar avec un vrai malaise. On
se dit que l’auteur a voulu faire connaître la pensée de « l’autre camp »
- celui qui continue d’affirmer que l’Algérie se devait de rester française. Néanmoins,
on s’interroge sur les motivations de l’auteur. Ainsi, le personnage central du
sous-préfet, qui ne concède rien et assume tout son passé, ce tueur de
populations civiles qui ne se laisse pas influencer par les exigences de la
raison d’Etat (son cas met en danger les relations franco-algériennes), ce
personnage donc est bel et bien celui qui tient le beau rôle. Rien dans le
roman ne vient contredire ou contrebalancer son propos et les Algériens qui
peuplent cette fiction n’échappent à aucun cliché en matière de veulerie, d’arrièration
ou d’insignifiance (le seul personnage porteur de valeurs positives est
français et il se suicide en 1945…). Non averti, un lecteur lamda en conclura
que Maurice Fabre n’a fait que ce que son devoir lui commandait de faire. En
cela, Le Boucher de Guelma, est un polar
des plus ambigus.
(*) Francis Zamponi, Le
Boucher de Guelma, Seuil, 2007 (Folio Policier, Gallimard, 2011, pour la
version en poche).
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