Le Quotidien d’Oran, jeudi 11
mai 2017
Akram Belkaïd, Paris
Au demain de l’élection
d’Emmanuel Macron à la présidence de sa république, la France ressemble à un
étudiant très mal préparé à un examen à qui on vient d’annoncer à la fois le
report de l’épreuve – ce qui, on s’en doute, le soulage – et son durcissement,
ce qui, en théorie, devrait le pousser à mettre les bouchées doubles pour être
prêt. Autrement dit, le quinquennat qui démarre dimanche 15 mai n’est, pour le
moment, qu’un simple sursis et rien d’autre en attendant des jours plus
difficiles. Certains, ils ne sont guère nombreux, sont persuadés que Macron et
sa volonté de « corporate banker- start-uper and winner » feront des
miracles. Le présent chroniqueur en doute mais n’insultons pas l’avenir et ne
désespérons pas la jeunesse républicaine en marche.
On peut tirer de nombreuses
conclusions de cette élection mais examinons la plus inquiétante de toutes. Le
Front national, et sa candidate Marine Le Pen, ne l’ont pas emporté et c’est
tant mieux. Mais, tout de même… Ce parti d’extrême-droite, raciste, xénophobe,
islamophobe et antisémite – on ne le répétera jamais assez – totalise 10,6
millions de voix ! Un record absolu pour sa famille politique. On dira que
ce n’est que la moitié de ce qu’a obtenu Macron mais cela ne devrait rassurer
personne. En 1995, lors de la victoire de Jacques Chirac face à Lionel Jospin,
Jean-Marie Le Pen obtenait 4,75 millions de voix. Il faut relire les éditoriaux
et analyses de l’époque. Le choc fut rude et tous les discours convergeaient
vers la nécessité de limiter d’urgence l’influence du Front national dans la
vie politique française. « Réduire
la fracture sociale », le fameux slogan de la campagne chiraquienne
était alors brandi pour signifier cette urgence.
On connaît la suite. En 2002,
tout en se qualifiant pour le second tour, Le Pen père obtenait 5,52 millions
de voix. Lui succédant, sa fille réalisait un score de 6,41 millions de voix
lors de la présidentielle de 2012. Dans cette progression constante, il n’y a
guère que le scrutin présidentiel de 2007 qui fait exception, Jean-Marie Le Pen
n’obtenant « que » 3,83 millions de voix. Un recul qui s’expliquait alors
par la campagne ultra-droitière de Nicolas Sarkozy dont certains thèmes
électoraux (l’identité nationale) ont contribué à faire sauter les digues et à
renforcer la lepénisation des esprits. Résumons : en vingt-deux ans, le
Front national a plus que doublé ses voix. Pire, son score cette année aurait
pu être bien plus élevé sans la prestation « catastrophique » de sa
candidate lors du débat télévisé de l’entre-deux tours. Tout en étant prudent
sur ces estimations, cela signifie que Le Pen aurait pu enregistrer 11 à 12
millions de voix.
Nombre d’observateurs
attendent maintenant les élections législatives pour jauger de la dynamique du
FN même si ce dernier semble connaître une crise interne. Mais s’interroger sur
le nombre de députés que va obtenir ce parti, qui n’en compte que deux
actuellement, est certes important (on parle de cinquante à cent élus) mais ce
n’est pas tout. Les médias et les élites françaises, ceux-là même qui ont
appelé à voter Macron pour faire barrage à Le Pen, ont leur part de
responsabilité dans la propagation, et l’appropriation, des idées portées par
le Front national. Ne parlons pas ici d’économie (où le FN a allègrement puisé
– pour le dévoyer - dans l’argumentaire altermondialiste) mais de relation à l’autre, qu’il soit étranger,
minoritaire ou descendant d’immigrés. Et cela concerne d’abord les personnes de
confession ou de culture musulmane. Des internautes ne s’y sont pas trompés en
diffusant, par exemple, toutes ces unes mettant en cause l’islam à l’image de
ce fameux « cet islam sans gêne » (31 octobre 2012) de ce torchon
islamophobe qu’est devenu Le Point et
ne parlons des écrits nauséabonds récurrents de l’hebdomadaire Valeurs actuelles qui semble décider à
stigmatiser les musulmans.
La lepénisation des esprits
ne concerne pas que la détestation de ces derniers ou des migrants. Durant la
campagne électorale, Marine Le Pen a nié la responsabilité de l’Etat français
dans la rafle du vélodrome d’hiver (vel d’hiv) des 16 et 17 juillet 1942. En
d’autres temps, pareille sortie à propos de la plus grande rafle de Juifs en
France durant la Seconde Guerre mondiale aurait mobilisé les médias et engendré
des débats sans fin. Là, cette sortie est (presque) passée inaperçue. Quelques
éditoriaux, des prises de positions d’autres candidats et l’affaire s’est
tassée. Le tout dans un contexte où toute une jeune génération commence à s’intéresser
à la politique. Rappeler à cette dernière d’où vient le FN et ce qui constitue
son ADN aurait été bénéfique, non pas pour l’empêcher d’emporter la
présidentielle, mais pour éviter que ses idées et discours ne se normalisent.
En France, le combat contre
le racisme a deux adversaires. L’extrême-droite, bien sûr. Et tous ceux et
toutes celles qui lui empruntent certaines de ses idées tout en se défendant de
le faire. Cela fait des années que les digues sautent les unes après les
autres. Dans quelques temps, normalisation oblige, l’héritier du FN va se
confondre peu à peu avec le reste de l’échiquier politique. Il n’aura pas
besoin d’opérer de révision déchirante puisque ses thèmes sont captés, relayés
et admis partout : presse, intellectuels, partis dits républicains qu’ils
soient de droite comme de gauche. Le contexte sécuritaire et la menace
terroriste aident beaucoup à cette convergence annoncée.
Certains pensent qu’il suffit
que l’économie aille mieux et que le chômage baisse pour que le Front national
reflue. C’est une erreur. Avec ou sans croissance, les idées de Le Pen et
compagnie imprègnent la société française au plus profond d’elle-même. Le
reconnaître avant de commencer à réfléchir sur la meilleure manière de combattre
son courant politique serait un premier acte salvateur.
2 commentaires:
Je suis d'accord avec toi sur l'ambiance médiatique et donc l'ambiance du pays, favorable au lepénisme. Mais je ne crois pas du tout qu'il se crée des racistes par génération spontanée. Je crois que peut-être 8% du FN sont des racistes. Les autres votent ainsi par colère et désespoir. Il faut aller voir l'état du pays en région, quand tu sors un peu des grandes villes. Tout est mort. Or le seul parti qui semble (je souligne ce verbe) vouloir modifier cette putain de politique libérale qu'on nous inflige depuis 1983, c'est le FN. Et d'ailleurs, Mélenchon qui lui aussi propose une sortie politique a fait de bons scores parmi les jeunes et les classes populaires, justement et notamment en 'terres FN'.
Tout à fait d'accord avec vous. B Papleux.
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