Le Quotidien d’Oran,
jeudi 25 mai 2017
Akram Belkaïd, Paris
Personne ne sait
jusqu’où la barbarie peut aller. L’attentat de Manchester est une abomination
qui provoque répulsion et colère. Comment peut-on commettre un tel crime ?
Au nom de quelle cause ? Quelle logique mortifère peut guider de tels
actes ? On sait ce que cherche l’Organisation de l’Etat islamique (OEI –
souvent désigné par son acronyme arabe Daech). Son objectif n’est pas d’amener
les gouvernements européens à abdiquer ni de les vaincre militairement. Le but
est évident : provoquer des réactions et des violences en retour pour créer
et creuser la fracture entre la majorité de la population et les minorités
musulmanes.
Le rêve de Daech,
c’est qu’après un attentat, des représailles aveugles suivent. Des ratonnades,
des attaques de mosquées voire, ensuite, des tueries contre des personnalités
de confession ou de culture musulmane. Le piège est là, évident. Depuis les
attaques contre l’hebdomadaire Charlie
Hebdo puis celles du funeste 13 novembre 2015 (Bataclan, stade de France et
rues de Paris), c’est cette logique morbide qui est à
l’œuvre car elle relève de la vision eschatologique de cette organisation.
Pour l’heure, cette
stratégie est loin d’atteindre son but. Bien sûr, après chaque attentat, les
réseaux sociaux s’enflamment et des internautes, le plus souvent anonymes,
donnent libre cours à leur colère et à l’expression de leur haine à l’égard de
tout ce qui a trait à l’islam ou au monde arabe. Bien sûr, l’aubaine est aussi
exploitée par la fachosphère qui ne perd aucune occasion pour diffuser ses messages
xénophobes et islamophobes. Mais les réseaux sociaux sont ce qu’ils sont :
des défouloirs et des champs d’expression pour minorités bruyantes. Dans le
monde réel, dans la vie de tous les jours, la cohésion des sociétés demeure. Le
bon sens et le raison-garder des communautés nationales l’emportent sur les
velléités individuelles de répondre à la violence par la violence.
La question qui se
pose est évidemment de savoir si tout cela peut durer. Contrairement à ce que
pensent les nervis de l’OEI et ceux qui les défendent ou leur trouvent des
circonstances atténuantes, la capacité de résistance des sociétés européennes
est immense. Bien sûr, on pourrait croire que des décennies de consumérisme et
de paix ont ramolli ces populations. Ce serait se tromper. Les mémoires
collectives ne sont pas un concept fumeux. Une ville comme Manchester a connu les
bombardements de la Seconde Guerre mondiale. On y a gardé le souvenir du
« Christmas Blitz », d’avant le Noël de 1940 : Près de 500
tonnes d’explosifs et 37 000 bombes incendiaires déversées par l’aviation
allemande. Les gens de Manchester ne viennent pas de nulle part. Ils ont une
histoire, un vécu commun. Les recrues de Daech, comme les chefs de cette
organisation, sont des ignares qui pensent que leurs attentats sont suffisants
pour ébranler des peuples et des sociétés qui appartiennent à un continent qui
fut, jusqu’à il n’y a pas longtemps, celui des guerres perpétuelles.
On répliquera que
c’est bien l’Europe, et les Etats Unis, qui portent aujourd’hui ces guerres
ailleurs et notamment dans le monde musulman. Certes. Mais il ne s’agit pas ici
de revenir sur la responsabilité écrasante de l’Occident dans les dérèglements du
monde actuel. Disons simplement que les crimes commis par Daech altèrent et
souillent la supériorité morale des victimes (Irakiens, Libyens, Palestiniens,
la liste est longue…) des agissements des intérêts occidentaux. Tuer des
enfants… Des enfants ! Tuer des enfants, c’est tremper dans la même fange
que celles et ceux qui ont imposé et assumé un embargo meurtrier contre l’Irak
dans les années 1990. C’est se mettre au même niveau des colons israéliens qui
mettent le feu à maison d’une famille palestinienne pour y tuer ses occupants,
bébés compris. Quelle que soit la colère et défiance que l’on peut éprouver à
l’égard de l’Occident, rien ne justifie l’horreur de Manchester. Absolument
rien.
Mais revenons à la
question précédemment posée. Existe-t-il un risque pour que les attentats de
l’OEI, car il y en aura d’autres - c’est une certitude - créent
l’irréparable ? Assistera-t-on dans un futur plus ou moins proche ou
éloigné à une « grande expulsion » ? Il faut s’abstenir de
hausser les épaules en balayant une telle hypothèse. Nous savons que l’Histoire
est pleine de tragédies qui furent longtemps inenvisageables. En la matière, le
« tout est possible » n’est pas juste une manière pessimiste de voir
le monde. C’est une prudence nécessaire par les temps qui courent.
Autrement dit, il est
absolument fondamental de travailler à défendre la cohésion des sociétés visées
par le terrorisme. Dans les communautés de cultures musulmanes qui vivent en
Europe, il y a une évidente tentation de repli sur soi ou de détachement. Dire
« je n’ai rien à voir avec ces fous, je ne vois pas pourquoi je me
sentirai concerné » est fondé et il ne faut certainement pas éprouver une
culpabilité qui n’a pas lieu d’être. Néanmoins, l’heure est plus que jamais au
dialogue et à la démarche vers l’autre.
Il s’agit d’affirmer son appartenance à ces communautés nationales (et cela
même si un déni de cette appartenance est souvent enduré). Il ne s’agit pas non
plus de ramper à terre ou, comme le font certains intellectuels maghrébins, de s’agiter
en levant le doigt tout en hurlant « moi
m’ssieu, moi m’ssieu j’suis différent, n’ayez pas peur de moi ! »
Il faut juste avoir conscience qu’une communauté nationale, ça se construit et
consolide en permanence. Les sociétés européennes ont bien des défauts mais
elles montrent depuis plusieurs années leur discernement, leur tolérance, et
même leur intelligence. C’est la préservation de tout cela qui est en jeu.
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