Le Quotidien d'Oran, jeudi 5 décembre 2013
Akram Belkaïd, Paris
Il y a quelques mois, cette chronique moquait le vocabulaire d’autopromotion et quelque peu grandiloquent utilisé en toute occasion dans les pays du Golfe (*). « Vision, hub, heritage, human capital, billions, global, mall, sustainable devlopment,… », il est vrai qu’il est impossible d’échapper à ces termes omniprésents, ma préférence allant à « the vision » (the vijieune) dont seraient porteur les grands monarques éclairés et humanistes de la région… Mais si on a le droit de se moquer, il faut tout de même parfois reconnaître la réalité d’une dynamique économique.
La semaine dernière, l’émirat de Dubaï a obtenu l’organisation de l’Exposition universelle de 2020 (celle de 2015 aura lieu à Milan). Organisée tous les cinq ans, cette manifestation non-commerciale (c’est pour celle de 1889 que fut construite la tour Eiffel) est la troisième en termes d’impact culturel et économique après la Coupe du monde de football et les Jeux Olympiques. Réunis par le Bureau international des expositions (BIE), 160 pays ont eu à choisir entre la cité-État, Ekaterinbourg (Russie), Izmir (Turquie) et Sao Paulo (Brésil). Et c’est la première fois qu’un pays arabo-musulman va accueillir cette exposition qui se veut être une vitrine planétaire sur les savoirs et les technologies.
« Ils ont payé… » Que l’on soit à Alger, Oran ou Paris, c’est la réaction qui vient tout de suite à l’esprit. Bien sûr, le vote était secret mais la bataille entre les candidats a notamment porté sur les voix africaines jugées susceptibles d’aller au plus offrant. Il serait naïf de croire que Dubaï n’a pas eu recours à la diplomatie du chéquier. Mais cela a été aussi le cas des Turcs et, à un degré moindre, des Russes. En fait, dans ce genre de compétition, l’argent est absolument nécessaire mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi avoir d’autres arguments à commencer par celui de vendre du rêve et de susciter l’envie de se déplacer sur place.
Il faut reconnaître que les promoteurs de la candidature dubaïotes ont su y faire en promettant un site d’exposition (qui reste à construire) digne du XXIème siècle et dont le cœur thématique sera l’économie de la connaissance et la connexion. Futurisme assumé, glorification des sciences et de la technologie, promesse de dépaysement dans un environnement où le luxe occupe une grande place : tout cela a certainement joué lors du vote. A cela s’ajoutent des prévisions qui donnent le tournis en ces temps de crise et d’austérité mondiale : 300.000 emplois seront créés d’ici sept ans et 3 milliards de dollars investis en infrastructures diverses.
Là aussi, on peut ironiser sur la nature de ces futurs emplois, surtout quand on a en tête les drames qui endeuillent les chantiers de construction dans l’émirat voisin du Qatar et, de façon plus générale, la manière dont les migrants sont traités dans le Golfe (on notera au passage que la presse occidentale, si véhémente avec le Qatar, a été bien moins incisive quant aux expulsions massives de travailleurs étrangers en Arabie Saoudite). Mais il est évident que le projet Dubaï 2020 va constituer un nouvel appel d’air et attirer des compétences du monde entier. Il fut un temps où les pétrodollars étaient recyclés par les grandes banques d’affaires occidentales en prêts (pas toujours nécessaires) à destination des pays en développement. Aujourd’hui, et c’est tant mieux, une bonne partie de cette manne est utilisée sur place dans ces chantiers, certes faramineux, mais qui contribuent tout de même à moderniser le Golfe.
Par ailleurs, il est intéressant de relever l’intense ferveur populaire qui a précédé et suivi la désignation de Dubaï. Cet émirat, né dans les années soixante-dix comme d’autres micro-États de la région, a un vrai problème d’identité nationale. Ses ressortissants sont noyés dans la masse des expatriés étrangers, la langue arabe n’en finit pas d’être bousculée par l’anglais et le lien tribal continue de primer par rapport à la citoyenneté. Or, l’obtention de l’Expo 2020 a provoqué un vrai engouement, notamment sur les réseaux sociaux. A lire le déluge de commentaires euphoriques, on aurait même pu croire que Dubaï venait de remporter la Coupe du monde de football… Bien entendu, conclure que, quarante ans après les indépendances, une conscience nationale existe enfin serait hâtif. Il n’empêche, cette mobilisation est révélatrice d’une nouvelle identité qui se forge notamment grâce au regard extérieur.
« Londres a pu accueillir les Jeux Olympiques parce que la population le désirait » a récemment déclaré l’ancien athlète Sebastien Coe qui fut la cheville ouvrière de la candidature londonienne aux JO de 2012. Une petite pique à l’adresse des Parisiens qui, tout en étant persuadés que leur ville serait choisie (c’est Paris, tout de même !), voyaient d’un mauvais œil la perspective d’une compétition sportive susceptible de provoquer une augmentation des impôts locaux. Or, l’envie, les dubaïotes, y compris les étrangers qui y habitent, l’ont. Au-delà de nombre d’archaïsmes sociétaux et de contradictions entre la modernité technologique et le conservatisme des mœurs, cette envie féroce de « monde et de mouvement» est quelque chose qui saute aux yeux dès les premiers pas dans l’émirat. Loin de la morosité et des interrogations existentielles du « vieux monde », c’est cela qui symbolise le mieux l’obtention par Dubaï de l’Exposition universelle de 2020.
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