Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 mars 2014
Akram Belkaïd, Paris
On le sait ni la
bêtise, ni la veulerie ni même l’obséquiosité n’ont de limites. Chaque jour qui
passe en Algérie le prouve avec la masse de domestiques et de sycophantes qui
s’agitent dans tous les sens pour décrédibiliser la revendication démocratique et
l’appel au changement. On a ainsi pu entendre un âne expliquer le plus
sérieusement du monde à la télévision que c’est Allah qui a donné 15 ans de
règne à Bouteflika et non le peuple algérien. Sans blasphémer on aurait
répondre que ce n’est effectivement pas le choix du peuple mais que le Créateur
aussi n’a rien à voir avec cette affaire puisque le concerné s’est servi tout
seul avec l’aval de ceux que l’on appelle les (mauvais) décideurs…
Mais il y a mieux. Une journaliste « vedette » de la télévision publique algérienne, vous savez cette chaîne unique à bien des égards, a posé la question suivante en guise de conclusion à un débat entre quatre intervenants à propos de l’élection présidentielle et du quatrième mandat possible de kivoussavé : « Préférez-vous l’Algérie ou la démocratie ? » a donc interrogé la star des bas plateaux. Réponse unanime des participants, et cela n’étonnera personne : « L’Algérie, bien sûr ! ».
Attardons-nous un
instant sur cette interrogation qui m’a rappelé un jeu d’adolescents qui
consiste à poser des questions idiotes ou sans réponse possible. Un jeu que
l’animateur français Thierry Ardisson a repris à son compte en demandant à ses
invités, plus ou moins consternés ou complices, c’est selon, s’ils préféraient
leur mère ou leur père, Staline ou Hitler, perdre un œil ou un bras, etc… Bref,
dans l’émission de « l’unique » et, comme me l’a fait remarquer un
éminent linguiste de Ténès, il aurait été encourageant d’entendre l’un des
invités faire une réponse de ce genre : « Vous posez des questions
vraiment étranges mais je vais vous répondre : Je préfère l’Algérie ‘et’
la démocratie. Pas l’une sans l’autre ».
Il fut un temps où
la démocratie en Algérie était une perspective plus ou moins lointaine mais
souhaitable ou, du moins, reconnue comme un but à atteindre. En attendant, et
pour justifier un régime autoritaire pour ne pas dire dictatorial, il fallait,
nous expliquait-on, bâtir des institutions pérennes, former des cadres, éduquer
le peuple et équiper le pays. Cinquante ans après l’indépendance, certains
dirigeants et leurs courtisans tiennent encore ce discours. Trop tôt, pas assez
prêts les Algériens, immatures même... En clair, il leur faudrait reprendre
cinq décennies supplémentaires de bâton, de qallouze et d’entraves au droit
aux droits.
Mais il y a un
autre propos qui émerge. La démocratie, c’est le chaos, nous explique-t-on.
Regardez la Syrie, la Libye et même la Tunisie : est-ce cela que vous
souhaitez ? nous crie-t-on dans les oreilles pour mieux discréditer le
changement. Car c’est bien cela qui sous-tend la question de la nunuche de la
télévision publique. Démarche habile car elle actionne le levier du patriotisme
pour ne pas dire du nationalisme le plus chauvin. Cet incroyable attachement au
pays, ou pour être plus précis, à l’idée que l’on s’en fait puisqu’il y aurait
beaucoup à dire sur ce sujet, empêche trop souvent de se poser les bonnes
questions et d’entendre certaines vérités.
L’une d’elle est
simple à énoncer. Aucune dictature ne dure éternellement. Tôt ou tard, le
système en place tombe et c’est l’absence de démocratie qui aboutit à la
violence. Et, plus le temps passe et plus la facture qu’il faudra payer
s’alourdit. Si Bachar al-Assad était allé au bout du « Printemps de
Damas » esquissé au début des années 2000, son pays ne serait pas déchiré
aujourd’hui par cette atroce guerre civile dont on se demande comment et quand
elle va se terminer. Si Mouammar Kadhafi avait écouté les quelques
recommandations, certes timides, d’ouverture conseillées par des personnalités
comme Nelson Mandela, il n’aurait pas fini de la manière que l’on sait.
L’opposition
algérienne ainsi que celles et ceux qui ne veulent pas d’un quatrième mandat
d’Abdelaziz Bouteflika doivent défendre l’idéal démocratique y compris si cela
va à l’encontre de leurs réticences et appréhensions nationalistes.
« L’Algérie avant tout » est un très beau slogan mais il est trop
souvent exploité par les tenants de l’immobilisme. Opposons-leur l’affirmation
que l’Algérie que nous fantasmons, celle que nous espérons, ne peut exister
sans démocratie. Que, finalement, ce n’est pas « l’Algérie avant
tout » qui doit primer mais « la démocratie avant tout ». Et
c’est cette dernière affirmation qui n’est pas acceptée par tout le monde y
compris dans le cas de celles et ceux qui abhorrent le régime. La raison en est
simple : le souvenir de décembre 1991 et de la victoire électorale de
l’ex-Front islamique du salut (FIS) est encore dans les souvenirs. C’est le
gros éléphant dans cette pièce obscure que constitue la vie politique
algérienne. Entre démocrates, on parle, on parle, et on finit toujours par
revenir à cette question fondamentale : la démocratie d’accord, mais on
fait quoi si c’est les barbus qui gagnent de nouveau ? De cela, le régime
est conscient et il ne cessera d’exploiter cette ligne de fracture.
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2 commentaires:
La question démocratique en Algérie agitent depuis des lustres l'intelligentsia politique et culturelle sans pour autant faire des étincelles dans le reste de la population. Or l'un des paradoxes de ce combat (censé reposer sur la force du soutien de la majorité et mené assez souvent en solo depuis le confort des salons) se trouve être l'impression de vanité qu'il produit sur la population voire assez souvent son rejet.
Certes, le "système" ne permet pas aux porteurs de débat d'agiter les bonnes idées et les soumettre au jugement du bon sens du "citoyen moyen", mais c'est à se demander aussi, en plus du rôle de l'école, l'abandon du rôle de "passeurs" joué dans toute société par les élites et les détenteurs de tt savoir-vivre.
La clef pour vaincre les intégrismes religieux, mais aussi les extrémismes "laïcards" tt autant périlleux (au moment des élections libre si souhaitées par tous) réside à mon avis dans la remise d'une bonne dose de démocratie locale dans le pays (une démocratie de proximité) et la promotion d'une culture authentique algérienne, émanation du vécu des algériens et non des imaginaires théoriques en surchauffe. Cela réconcilierait les algériens avec eux même et leur épargnerait les emprunts les plus fous et les plus étranges aussi bien en Orient qu'en Occident.
Pourquoi le terme laïcard, discéditeur de la démarche et de l'aspiration démocratique. La laïcité quel beau principe de respect mutuel qui reprend celui de l'Islam "likoum dinoukoum oua liya dini". Pourquoi parler d'abandon du rôle de passeur des élites pour les stigmatiser encore alors qu'elles ont payé le tribut lourd, sanglant aux tenants de la lame aiguisée qui ne s'en tenait qu'à un seul, et unique savoir. Le savoir religieux et accessoirement des connaissances utilitaires techonologiques. Qu'on le veuille ou pas la question du religieux et de la démocratie, telle qu'elle s'est imposée par la violence et dont on paye gravement les conséquence, elle a plongé une nation entière dans la crainte de penser et de formuler la moindre critique relevant de la raison (ô cet ennemi de la foi !)afin de ne pas être désigné comme ennemi de la Loi divine par les clients de son coiffeur,de son boulanger, par ses étudiants à l'université, par ses enfants aussi... La démocratie, les élites en ont été privées dès l'aube de l'Algérie nouvelle, et déjà se fut la saignée. Combien de toubibs, de profs, déçus se sont arrachés à leur corps défendant de leur pays car ils étaient muselés, si mal payés, que pour s'acheter une voiture, ils auraient dû travailler 40 ans, consentir d'énormes privations pour y parvenir... Des petites réalités comme ça, elles ont configuré notre pays où il était de bon ton de paupériser toute les catégories sociales pendant que ces messieurs,socialisme en bandoulière, ventre gras désormais, se partageaient la rente, le pouvoir et les avancements de carrière dans las administrations (Ah l'article 121 que d'avancées non méritées a-t-il permis) On les a oubliées, ces petites réalités sordides et douloureuses qui ont déclenché les exodes, l'instauration de la terreur islamiste, l'emprise aujourd'hui d'un religieux qui gère les mentalités et les comportements, institué la corruption devenue quasi-réflexe dans toutes les couches sociales, etc., etc. Les élites, Monsieur, on les a empêchées de transmettre leur savoir souvent durement acquis, car ce savoir représentait un danger pour les tenants du pouvoir de la République démocratique et populaire arrivés par leurs armes, incultes si souvent, et de leurs héritiers logiques, les tenants et défenseurs d'une Algérie théocratique. Je passe sur les dérives sectaires, régionalistes... qui ont découlé de ces décennies de haine des élites, et de pénuries qui continuent à opposer les Algériens entre eux, à imaginer des partitions sur le critère de la langue et de la région... Une cata nationale, que les savoirs des élites basés sur des principes de démocratie et de laïcité (les croyants relèvenet chez nous de diverses obédiences musulmanes qui ne peuvent plus exister comme telles depuis Boumedienne, quel dommage-là ! de la chrétienneté, de l'agnostisme, de l'athéïsme...) Sommes-nous seulement capables de les reconnaître, de les tolérer ? Alors les élites, si laborieuses dans notre pays, Monsieur, elles étaient et demeurent écrasées par des forces agissantes qui n'ont que faire d'elles et instaurent un climat politique de terrain qui abuse par ses financements occultes, son pouvoir médiatique... qui abuse les abusés qui iront voter puis ne cesseront de jérémier au long du mandat à venir contre celui-là même pour qui ils iront voter. La démocratie, le respect de ses élites et du peuple en définitive auraient permis aux Algériens de débattre de façon éclairée, d'encourager des candidatures sérieuses et compétentes à la magistrature suprême... Les élites ? où les entend-on ? Salam Algérie
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