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Le Quotidien d'Oran, jeudi 16 avril 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Pour
commencer, il y a, comme dans tout document d’importance, ce que l’on appelle
l’exposé des motifs. C’est-à-dire un texte liminaire qui annonce et justifie ce
qui va suivre. Découvrons donc le message avec, le présent chroniqueur insiste
là-dessus, une restitution fidèle de la syntaxe, de la grammaire et de la
ponctuation respectives de cette brochure trouvée dans la boîte aux lettres. On
y va : « Parce que nous sommes souvent vus avant d’être entendus
parce que les divers (sic) étapes d’une vie nécessite (re-sic) des images différentes
Amour, séduction, Mariage, Variation de poids , situation professionnel
(re-re-sic), confiance en soi. Révélez le meilleur de vous-même ». Autre
message fondamental : « Optimiser (sic) votre apparence faites
ressortir le potentiel qui est en vous ».
En
clair, si ton apparence te turlupine, cher lecteur, chère lectrice, et que tu
tiens absolument à révéler ton
« best inside » alors tu peux faire appel à un coach en image. Ce
dernier, ou plutôt cette dernière, va t’aider, contre finances bien sûr, à te looker,
te relooker (étrange, le dictionnaire refuse le verbe looker mais accepte
relooker, note du chroniqueur), à te transformer, à te révéler et, in fine, à pécho car telle est le fil
conducteur de ce genre d’envies. Et la palette des services proposés (et non
offerts) est assez impressionnante. Il y a ainsi ce qui est appelé une « étude
colorimétrie ». Ne me demandez pas ce que c’est, j’imagine que cela a à
voir avec les cheveux, le terme étude étant là pour nous dire que la chose est
sérieuse ce qui, par ailleurs, peut nous mener à conclure que Leila Trabelsi
épouse Ben Ali était spécialisée avant l’heure dans cette nouvelle discipline.
Mais poursuivons avec la liste des prestations : « maquillage »
(ça, on comprend) « et morphologie » (là, j’avoue que j’ai du mal). Le
reste est à l’encan : « Tri et analyses Garde robe (sans tiret, ndc) ».
Donc, la coach en question, vient chez toi, ouvre ton armoire, jette tout sur
le lit ou au sol, enfin on peut imaginer que cela se passe ainsi. Ensuite, elle
fait le tri, analyse tes vêtements et te dis ce qui est à garder et ce qu’il
faut jeter (ou donner). Un concept intéressant...
Dans
la foulée, la même coach va effectuer un « Audit de dressing ». Je ne
sais pas quelle est la différence avec le fameux « Tri et analyses Garde
Robe », mais bon…. Ah, la magie du terme « Audit ». On le
prononce et cela fait tout de suite professionnel, organisé, rigoureux. Cela me
rappelle un autre type de coach, celui qui vous propose de faire le point sur
votre vie sociale virtuelle notamment sur Facebook. Si, si, je vous jure que ça
existe. C’est un spécialiste qui vous aide à nettoyer votre liste
« d’amis », à repérer les vrais trolls, les faux profils, les
autocentrés, les égoïstes, les « fake », les « profiteurs
d’audience », les « aventuriers et aventurières », les
« affabulateurs et affabulatrices » et j’en passe. Waow, n’est-ce
pas ? Qui sait, cela pourrait aider plutôt que d’envisager de rencontrer
les dits amis et amies « in carne e ossa » (je viens de découvrir
cette expression…). Ah, ce monde où même le bon sens le plus élémentaire peut
désormais être sous-traité.
Cessons-là
et revenons à notre coach en stayle
et layfestayle (néobarbarismes
revendiqués par le chroniqueur). Qu’offre-t-elle de plus ? Une activité
fondamentale mais réservée aux dames. Il s’agit d’une « Party Girl Work
shop tour ». En clair, on regroupe ses meilleures copines (hiiiiiiiii !!!),
on monte dans une limousine (bah ouais, ce n’est pas à Mascara ou à Ferdjioua
que l’on verrait ça) et on écume les magasins en bonnes « fashion addict ».
Un concept, paraît-il, venu de Californie, cet Etat où tout est possible même
si celui du Maine, plus connu pour ses universités et sa neige de printemps, a
aussi ses « limos » (je vous raconterai ça un jour…).
Bon,
j’imagine que votre intérêt a été plus qu’éveillé et que vous désirez savoir ce
que tout ceci coûte. Bon, alors un « Relooking Complet » auquel on
ajoute un « Book Photo », ce qui en clair signifie la constitution
d’un « avant/après » iconographique vaudra 270 euros la journée
complète. Avec cela on peut aussi s’offrir un « Cours
Auto-Maquillage » à 74 euros. J’ouvre ici une parenthèse pour dire à quel
point le spectacle de dames s’auto-maquillant dans une rame de métro ou dans un
bus peut paraître, parfois si… incongru. Fin de la parenthèse. Continuons. Le
« Conseil en colorimétrie » coûtera quant à lui 74 euros tandis que
l’incontournable « Audit de Dressing » vous obligera à allonger 98
euros (astuce de « pricing » : toujours éviter les chiffres
ronds et celui des dizaines ou centaines supérieures à ce qui est annoncé).
Le
très recherché « Accompagnement Shopping » vaut 45 euros, ce qui le
met à la portée de n’importe quel ancien percussionniste devenu responsable de
parti en Algérie. Vient enfin le tarif que tout le monde attend, celui de la
« Party Girl » pour un minimum de quatre personnes dans une limousine
avec « Champagne et 10% dans les Boutiques » : 150 euros, mon
frère… Cela peut sembler bon marché mais attention, n’oublions pas qu’il s’agit
aussi de faire chauffer la carte de crédit dans les magasins. Enfin, bref, tous
ces prix sont la première étape pour commencer à réaliser son potentiel imagiel (là-aussi, c’est une invention
du chroniqueur). Et si tout cela ne vous convainc pas, vous pouvez demander
« un devis pour toutes prestations particulières » étant donné qu’il
« y a de nombreuses possibilités ». Allons messieurs, soyons
courageux, demandons, nous aussi, un cours d’auto-habillage et d’auto-choix de
cravate ou, c’est selon, de kamiss-savates. Remarquez, vu la place restreinte
qui nous est habituellement allouée dans les armoires, il est probable que
l’audit de dressing ne nous ruinera pas…
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