Le Quotidien d’Oran, jeudi 11 juin 2015
Akram Belkaïd, Paris
Roissy. Départ à destination d'une grande ville de
l'Empire. Cela commence par un enregistrement tranquille. Un peu long, un peu
tatillon. Est-ce que l'on a fait ses bagages soi-même ? Bah ouais... Est-ce
qu'on a toujours gardé l'œil sur ses bagages ? Alors-là, tout le monde ment car
ces valises ont bien été placées dans la malle de la voiture ou du taxi ou
encore dans le coffre du Roissybus, non ? Et si un méchant terro s'y était
caché dans cette malle ? Bon, pour reprendre une expression à la mode et
employée à tort et à travers, c'est abuser
que d'imaginer ce genre de scénario mais c'est comme pour les maths, tous les
cas de figure doivent être abordés.
Le Boeing 757 d'United a décollé et l'hôtesse qui
s'occupe du bétail placé à l'arrière de l'appareil ne semble pas heureuse de
faire son métier ou d'être ce qu'elle est, ou les deux à la fois. Bref, elle
rudoie une passagère qui veut son repas spécial tout de suite. Elle fait mine
de ne pas entendre celui qui lui demande un verre d'eau. On pourrait lui
trouver facilement un poste dans une compagnie maghrébine ou bien encore chez
Air Canada ce qui l'arrangerait certainement question linguistique. Mais son
jeu préféré est de passer à toute vitesse en poussant son chariot afin de
démettre les épaules ou de broyer les coudes de celles et ceux dont le siège
est attenant (joli mot, n'est-ce pas) au couloir. Ni sorry ni regrets et on
s'attend presque à l'entendre lancer : « ouèche kayene ? » (ya quoi
?).
Le pire vient après la première collation. A peine
servie, il faut vite débarrasser ce qui en reste. Et là, c'est un grand moment.
Un modèle de comportement, digne des plus grands traités en matière de
service-client. La revêche passe et repasse, les bras bien tendus avec au bout
des mains un sac en plastique blanc. Elle regarde les uns et les autres d'un
air de défi et ne cesse de répéter « trash ! trash ! trash !... » Ce
qui revient à dire et redire « déchets ! déchets ! déchets ! » ou
encore, le terme avait fait fureur à une époque chez les gens du service
Marchés financiers de La Tribune Desfossés,
« zoubia ! zoubia ! zoubia ! ». Et l'on se pose alors la question.
Qui est le trash ? Le gobelet encore
humide de son jus de pomme trop glacé ou le passager lui-même ainsi insulté ?
On devrait demander à la dame mais, attention, danger. Le personnel naviguant
des compagnies aériennes, surtout ricaines, sait qu'il a désormais tous les
droits. T'as vu ce que t'as fait Oussama ? Rappelons à ce niveau qu'United est
la compagnie dont un PN (personnel naviguant) vient de refuser de servir une
canette de soda non ouverte à une passagère musulmane estimant qu'elle pouvait
s'en servir comme une arme... Oui, c'est ça : WTF ! (je n'ai pas le droit de
traduire, des gens de ma famille lisent cette chronique).
Le vol se passe ensuite normalement. Plateau
repas-punition, films inintéressants, séquences régulières de « trash-trash-trash »
auxquelles on ne prête même plus attention. Cela sans oublier les turbulences récurrentes
qui empêchent de dormir - de toutes les façons, il y a toujours un voisin ou
une voisine qui veut aller aux water-closet ou qui, tout simplement, parle bien
fort parce que tout le monde se doit d'entendre le détail de ses dernières
vacances en Martinique. Et à propos de turbulences, à une bonne heure de
l'arrivée en vue de la côte est, commence le grand cirque. Ça secoue, ça
tangue, ça chute, ça turbule. Les quatre-cinquièmes des passagers regrettent
leur erreur, celle d'avoir avalé un sandwich crémeux - et absolument insipide -
dont le premier pressage stomacal entend revenir à l'air libre. Avant le
décollage, toujours vérifier qu'il y a bien un sac en papier dans le dossier du
siège de devant...
Bon, épargnons les détails. Atterrissage secoué,
très secoué mais atterrissage quand même. Formalité de police (« pourquoi
allez-vous si souvent dans le monde arabe ? »...), de douane (« no
sir, j'te jure, j'ai pas de nourriture dans mes bagages », sauf des
gâteaux tunisiens mais ça, je l’ai pas dit…) puis cavalcade car correspondance
à ne pas louper. Course inutile car tous les appareils sont désormais « groundés », c’est-à-dire cloués au
sol à cause du vent féroce. Décision des autorités fédérales. Ce qui signifie
que la compagnie n'est pas responsable. Va donc, ô voyageur épuisé, te trouver
un hôtel à tes frais... Le service client, toujours et encore ! Le lendemain,
plus de vent mais vols complet. On enregistre tout de même en liste d'attente
en espérant un miracle. Premier vol no. Deuxième walou, troisième yes. A
l'arrivée, petite frayeur. Pas de valise sur le carrousel. Renseignement pris,
elle est sagement partie avec le premier vol (celui qui était complet…) et
attendait son propriétaire depuis quelques heures déjà. Sécurité avez-vous dit
?
Et ce n'est pas fini. Passons sur les retards
entre telle et telle étape. Les billets annulés sans aucune raison et qu'un
américano-palestinien charitable fait renaître des limbes de l'informatique.
Les correspondances ratées. L'unique bagage dont l'enregistrement coûte
désormais 25 dollars (voyageurs européens ne riez pas, cela va bientôt arriver
chez vous), les six heures de vol entre l'est et l'ouest où toute prestation
est payante. Nous voici donc au moment du retour. Vols avec correspondance bien
sûr. Washington, Portland (dans le Maine pas l'Oregon, sinon ça fait long le
détour) et Barize qui rime avec valise, le poids de la deuxième étant facturé à
100 dollars...
Bref, salle d'embarquement à Dulles. Un appel au
micro. Raphaël, (« hi, call me Rapha ! »), séchoir façon années
quatre-vingts, propose un vol direct sur Roissy. Bonne nouvelle ! Plus de
stress donc pour la correspondance. Mais, une petite voix incite à demander ce
qui risque d'advenir des bagages déjà enregistrés pour Portland. No problème,
assure Rapha. Je vais descendre moi-même sur la piste changer leurs étiquettes.
Soyez pas worry, on fait ça tous les jours. On acquiesce et l'on s'en va vers
une autre salle où ça parle déjà français. Huit heures plus tard, arrivée
matinale et glauque à Charles-De-Gaulle airport, terminal 1. Vous l'avez
deviné. De valises, point. Raphaël n'a rien fait ou fait ce qu'il ne fallait
pas faire (je sais, série de répétitions mais c'est la fatigue du décalage
horaire). « Il avait besoin de libérer votre siège dans l'avion pour Portland,
c'est tout ! » avoue une employée bien embêtée à qui l'ordinateur ne donne
aucune information sur les précieuses valoches. Et là, dans le petit matin
gris, on se met soudain à psalmodier la prière du voyageur ivre de fatigue et
de digouttâge : Rapha-trash !
Rapha-trash ! Rapha-trash !
Prochain épisode : mes aventures avec (la) SNCF...
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