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Au lendemain de l’attentat de Sousse, il est regrettable de lire, ici et là, notamment sur les réseaux sociaux, des déclarations pour le moins pernicieuses, pour ne pas dire indécentes, à propos d’une supposée absence de solidarité des Tunisiens à l’égard des Algériens durant la décennie noire (1992-2002). Les auteurs de ces propos se drapent dans une posture qui consiste à dire qu’aujourd’hui, eux, sont bel et bien solidaires des Tunisiens mais qu’ils « n’oublient » pas. Mais oublier quoi ? Qu’on le veuille ou pas, durant les années 1990, la Tunisie a constitué une soupape pour les Algériens privés de visas pour l'Europe. Des milliers d’Algériens s’y sont installés, y ont travaillé, en attendant de meilleurs jours. Certes, le régime de Ben Ali les a souvent maltraités, refusant par exemple de leur accorder des titres de séjour à long terme, les soumettant à d’incessantes tracasseries policières (surtout quand ils avaient le bon goût de dire le mal ou le mépris qu’ils pensaient du régime de leur hôte...). Mais Ben Ali ne maltraitait-il pas toute la société tunisienne ? Et faut-il rappeler que l’Algérie et les Algériens ne doivent jamais oublier ce que le peuple tunisien a enduré pour ses voisins durant la guerre d’indépendance (1954-1962) ? Oui, le régime de Ben Ali a, par opportunisme, vendu la « stabilité » de la Tunisie par opposition au brasier algérien. Oui, certains officiels du RCD tunisien ne pouvaient s’empêcher de faire preuve d’une certaine mesquinerie. Mais ce n’est pas une raison pour en vouloir à tout un peuple qui, à l’époque, n’avait pas le droit d’émettre la moindre critique.
Cette propension à s’estimer les seuls dépositaires du malheur du monde n’est pas saine. Oui, les années 1990 ont été terribles, traumatisantes (comme elles le furent pour les Rwandais, les Bosniaques, les Somaliens ou les Irakiens). Oui, l’Algérie a été alors isolée. Mais est-ce la faute des autres peuples ? Comme si ces derniers n’avaient pas leurs fardeaux à endurer… L’auteur de ces lignes a été en reportage dans de nombreux pays arabes à cette époque. Partout, je dis bien partout, en Tunisie comme en Egypte (oui, en Egypte aussi !), en Jordanie ou en Syrie et même en Irak où les enfants mourraient par milliers en raison de l’embargo, le sentiment exprimé – celui des gens ordinaires – relevait de la tristesse désemparée et même de la sidération face à une violence, faut-il le rappeler, que des Algériens infligeaient à d’autres Algériens. « Comment pouvons-nous vous aider ? » était la question mainte fois entendue.
Non, les Algériens, pas plus que les Tunisiens n’ont le monopole de la douleur et de la souffrance face au terrorisme et à la violence armée. Sinon, quels mots devraient donc nous dire les Palestiniens ? Et, d’ailleurs, ceux qui disent ne pas oublier « l’égoïsme » des Tunisiens, que font-ils concrètement, là, maintenant, pour les Palestiniens ? Pour les Syriens ? Petite question : que faisaient donc les Algériens au mois de juin 1982, en pleine Coupe du monde de football, quand Palestiniens et Libanais se faisaient allègrement massacrer par l’armée israélienne ? Pendant les années 1990, quand la nuit est tombée sur notre pays, jamais aucun Palestinien, jamais aucun Libanais ne m’a dit qu’il n’avait pas « oublié »… Bien au contraire. L’Algérie, malgré tous ses récents errements, a toujours gardé une place à part y compris chez nos voisins.
Il est parfois nécessaire de s’interroger sur le poison que véhicule un certain chauvinisme.
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