Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 23 juin 2015

La chronique du blédard : Un ramadan avec (les polars de) Camilleri

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 août 2009
Akram Belkaïd, Paris



  

Note : Une chronique du ramadan 2009. Jeûne et culture peuvent aller de pair...


Et voici le retour du duo été-ramadan, perspective que beaucoup redoutent en raison de la dure combinaison entre jeûne et canicule. On se dira qu’il y a au moins une satisfaction, celle de voir se confondre deux périodes habituellement dévastatrices pour l’économie et la productivité. Ces dernières années, une phrase du type « on verra ça après l’été » signifiait en réalité « on verra ça après le ramadan », c’est-à-dire, au mieux, vers le mois d’octobre. Tout cela est en train de changer et, d’ici deux ramadans, septembre redeviendra un vrai mois de rentrée. Mais là n’est pas l’objet de cette chronique.
 
J’aimerais vous parler de lecture. Soyez rassurés, il ne s’agit pas de sujets compliqués ou d’ouvrages savants. On verra ça à la rentrée. En fait, qui dit canicule dit polar ou roman policier (il y a une différence entre les deux, si, si, c’est une thésarde* qui me l’a expliqué). Cela vaut aussi pour le ramadan : quoi de mieux qu’un polar pour tromper faim et ennui ? Et si le livre en question présente l’avantage d’aiguiser l’appétit et d’offrir une préparation mentale aux bombances nocturnes, que demander de plus ? Il faut donc lire un polar ya chriki !
 
Mais pas n’importe lequel. Pour ce qui reste de cet été, je vous propose de plonger dans l’univers de l’Italien Andrea Camilleri, lequel est devenu à près de 80 ans et grâce aux aventures de son commissaire Montalbano, l’un des auteurs cultes du moment. C’est simple, il n’y a guère d’écrivains italiens qui peuvent se prévaloir d’un succès aussi énorme que le sien. Commençons par l’une des principales raisons de la popularité de Camilleri. Comme l’explique sa notice biographique, cet ancien metteur en scène, poète et nouvelliste, s’est mis sur le tard à écrire des romans en italien « sicilianisé », une langue drôle qui ravit ses fans. 
 
Emploi incongru du passé simple (« qu’est-ce qu’il fut ? » au lieu de « que se passe-t-il ? », néologismes en pagaille, recours aux dialectes et parlés régionaux, profusion de proverbes imagés, la prose de Camilleri est d’autant plus savoureuse pour le lecteur francophone que son œuvre est mise en valeur par la traduction riche et créative de Serge Quadruppani, lui-même écrivain et journaliste, aidé par Maruzza Loria. Extrait d’un dialogue, pour vous donner l’eau à la bouche : « - Allo ? – Alli ? - Qu’est-ce qu’il fut ? – On a tiré. – A qui ? – A un type. – Il mourut ? – Il a mouru. » (1)
 
Parlons maintenant du personnage principal. Salvo Montalbano est commissaire à Vigàta, petite ville imaginaire de Sicile qui correspondrait dans la réalité à Porto Empedode. Solitaire, humaniste (ce qui ne l’empêche pas de succomber à des accès fréquents de misanthropie), grand lecteur et fin psychologue, sa manière de résoudre les affaires, au centre desquelles se trouve presque toujours un catafero – un cadavre -, est faire tourner une pagaille de pinsées dans sa coucourde et de laisser son inconscient le guider. L’homme n’est pas un Rambo mais ce n’est pas non plus Maigret puisqu’il lui arrive d’user du revolver et, au besoin, de dessouder du malfrat.
 
En toile de fond, même lointaine, des enquêtes de Montalbano, il y a, outre la mer, l’Italie d’aujourd’hui : classe politique minée par les scandales, la corruption et le populisme ; vulgarité des médias ; emprise de la mafia, désarroi des plus démunis et immigration clandestine (2). Au détour d’une phrase, d’un dialogue, c’est bien entendu Camilleri qui laisse parfois transpirer sa colère pour ne pas dire son dégoût mais c’est bel et bien le ressort comique qui lie l’auteur à son public. Pour tout dire, Montalbano n’est pas vraiment un marrant. Il peut être ironique, mordant, verser dans l’autodérision mais, mission habituelle du second rôle, c’est l’un des policiers de son commissariat qui déclenche le fou rire du lecteur. 
 
L’agent Catarella, un colosse un peu simplet mais as de l’informatique (ceci expliquant peut-être cela…), ne sait pas ouvrir une porte sans la fracasser et semble incapable de transmettre le moindre message. Second extrait : « - Allô, dottori ? C’est vous, pirsonnellement en pirsonne qui êtes au l’appareil ? – Je t’a reconnus, Catarè. Qu’est-ce que tu veux ? – Rien, je veux, dottori. – Et alors, pourquoi tu m’appelles ? – Maintenant, je vais m’expliquer, dottori. Moi, pirsonnellement en pirsonne, je ne veux rien de vous, mais il y a le dottori Augello qui voudrait vous dire quelque chose. » (1)
 
Outre le fait d’être un bon flic, la grande qualité de Montalbano est qu’il aime manger. Dans toutes ses enquêtes, le passage par une excellente trattoria est incontournable. Plus important encore – et j’assume le sous-entendu destiné à mon entourage – il adore baffrer en silence, sans avoir à parler ni à se perdre en vaines palabres. On mange d’abord, on « se » discute ensuite : voilà le onzième commandement ! Respect pour la nourriture surtout s’il s’agit de plats cuits comme « u Signiruzzu », le petit Seigneur, commande. Des anchois assaisonnés à l’huile, au vinaigre et à l’origan accompagnés d’une tranche de caciocavallo, un fromage au lait de vache. Ou encore des pâtes aux sardines ou des spaghettis à l’encre de seiche. Autre possibilité, un plat de ditalini (petites pâtes en forme d’anneau) accompagnées d’une ricotta fraîche et salée à point avec ce qu’il faut de poivre noir.
 
Quand Mantalbano mange, il lui arrive d’avoir les larmes aux yeux. Friture de poissons, soupe de suppions, salade de poulpe, dorade au four, la liste des pêchés commis par le commissaire est longue mais il en est un, suprême, qu’il faut citer : la pasta ‘ncasciata. Un dôme de pâtes, le plus souvent des macaronis, enveloppé par des tranches d’aubergines et cuit au four. Un plat sicilien par excellence dont la recette varie selon les familles et qui témoignerait du passé arabe de l’île tout comme la petrafennula, gâteau au miel, aux amandes, à l’écorce de citron et d’orange et à la cannelle (3). Quand il s’avale des pâtes ‘ncasciata, Montalbano ne trouve jamais les mots pour les décrire. Il lui arrive de les qualifier de « tendres et malicieuses » mais ce n’est jamais assez pour leur rendre hommage. Et je vous promet qu’en lisant la description de ses festins, vous aurez tout plein de pinsées pétissantes qui vous tournoieront dans la coucourde en attendant le grand moment du f’tour


En attendant, saha ramdanekoum et doucement sur le sucre.

 


(*) Désormais douktoura (note du 23 juin 2015).
(1) « Jour de fièvre », La peur de Montalbano, Pocket, février 2008.
(2) Sur le sort des harragas mineurs en Italie, il faut absolument lire « Le tour de la bouée », Pocket, février 2006.
(3) « Yasmina, sept récits et cinquante recettes de Sicile au parfum d’Arabie », par Maruzza Loria et Serge Quadruppani, Agnès Viénot Editions, 2003. A lire aussi de Camilleri, le roman « Chien de faïence » qui fait référence à la légende des Sept dormants ou Gens de la Caverne (Ahl Al-Kahf).
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