Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 août 2009
Akram
Belkaïd, Paris
Note : Une chronique du ramadan 2009. Jeûne et culture peuvent aller de pair...
Et voici le retour du duo été-ramadan,
perspective que beaucoup redoutent en raison de la dure combinaison entre jeûne
et canicule. On se dira qu’il y a au moins une satisfaction, celle de voir se confondre
deux périodes habituellement dévastatrices pour l’économie et la productivité.
Ces dernières années, une phrase du type « on verra ça après l’été »
signifiait en réalité « on verra ça après le ramadan », c’est-à-dire,
au mieux, vers le mois d’octobre. Tout cela est en train de changer et, d’ici
deux ramadans, septembre redeviendra un vrai mois de rentrée. Mais là n’est pas
l’objet de cette chronique.
J’aimerais vous parler de lecture. Soyez
rassurés, il ne s’agit pas de sujets compliqués ou d’ouvrages savants. On verra
ça à la rentrée. En fait, qui dit canicule dit polar ou roman policier (il y a
une différence entre les deux, si, si, c’est une thésarde* qui me l’a expliqué).
Cela vaut aussi pour le ramadan : quoi de mieux qu’un polar pour tromper
faim et ennui ? Et si le livre en question présente l’avantage d’aiguiser
l’appétit et d’offrir une préparation mentale aux bombances nocturnes, que demander
de plus ? Il faut donc lire un polar ya chriki !
Mais pas n’importe lequel. Pour ce qui
reste de cet été, je vous propose de plonger dans l’univers de l’Italien Andrea
Camilleri, lequel est devenu à près de 80 ans et grâce aux aventures de son commissaire
Montalbano, l’un des auteurs cultes du moment. C’est simple, il n’y a guère d’écrivains
italiens qui peuvent se prévaloir d’un succès aussi énorme que le sien.
Commençons par l’une des principales raisons de la popularité de Camilleri.
Comme l’explique sa notice biographique, cet ancien metteur en scène, poète et
nouvelliste, s’est mis sur le tard à écrire des romans en italien « sicilianisé »,
une langue drôle qui ravit ses fans.
Emploi incongru du passé simple
(« qu’est-ce qu’il fut ? » au lieu de « que se
passe-t-il ? », néologismes en pagaille, recours aux dialectes et
parlés régionaux, profusion de proverbes imagés, la prose de Camilleri est
d’autant plus savoureuse pour le lecteur francophone que son œuvre est mise en
valeur par la traduction riche et créative de Serge Quadruppani, lui-même
écrivain et journaliste, aidé par Maruzza Loria. Extrait d’un dialogue, pour
vous donner l’eau à la bouche : « - Allo ? – Alli ? -
Qu’est-ce qu’il fut ? – On a tiré. – A qui ? – A un type. – Il
mourut ? – Il a mouru. » (1)
Parlons maintenant du personnage principal.
Salvo Montalbano est commissaire à Vigàta, petite ville imaginaire de Sicile
qui correspondrait dans la réalité à Porto Empedode. Solitaire, humaniste (ce
qui ne l’empêche pas de succomber à des accès fréquents de misanthropie), grand
lecteur et fin psychologue, sa manière de résoudre les affaires, au centre
desquelles se trouve presque toujours un catafero – un cadavre -, est
faire tourner une pagaille de pinsées dans sa coucourde et de laisser
son inconscient le guider. L’homme n’est pas un Rambo mais ce n’est pas non
plus Maigret puisqu’il lui arrive d’user du revolver et, au besoin, de
dessouder du malfrat.
En toile de fond, même lointaine, des
enquêtes de Montalbano, il y a, outre la mer, l’Italie d’aujourd’hui : classe
politique minée par les scandales, la corruption et le populisme ;
vulgarité des médias ; emprise de la mafia, désarroi des plus démunis et
immigration clandestine (2). Au détour d’une phrase, d’un dialogue, c’est bien
entendu Camilleri qui laisse parfois transpirer sa colère pour ne pas dire son
dégoût mais c’est bel et bien le ressort comique qui lie l’auteur à son public.
Pour tout dire, Montalbano n’est pas vraiment un marrant. Il peut être
ironique, mordant, verser dans l’autodérision mais, mission habituelle du
second rôle, c’est l’un des policiers de son commissariat qui déclenche le fou
rire du lecteur.
L’agent Catarella, un colosse un peu simplet
mais as de l’informatique (ceci expliquant peut-être cela…), ne sait pas ouvrir
une porte sans la fracasser et semble incapable de transmettre le moindre
message. Second extrait : « - Allô, dottori ? C’est vous,
pirsonnellement en pirsonne qui êtes au l’appareil ? – Je t’a reconnus,
Catarè. Qu’est-ce que tu veux ? – Rien, je veux, dottori. – Et alors,
pourquoi tu m’appelles ? – Maintenant, je vais m’expliquer, dottori. Moi,
pirsonnellement en pirsonne, je ne veux rien de vous, mais il y a le dottori
Augello qui voudrait vous dire quelque chose. » (1)
Outre le fait d’être un bon flic, la grande
qualité de Montalbano est qu’il aime manger. Dans toutes ses enquêtes, le passage
par une excellente trattoria est incontournable. Plus important encore –
et j’assume le sous-entendu destiné à mon entourage – il adore baffrer
en silence, sans avoir à parler ni à se perdre en vaines palabres. On mange
d’abord, on « se » discute ensuite : voilà le onzième commandement !
Respect pour la nourriture surtout s’il s’agit de plats cuits comme « u
Signiruzzu », le petit Seigneur, commande. Des anchois assaisonnés à
l’huile, au vinaigre et à l’origan accompagnés d’une tranche de caciocavallo, un fromage au lait de
vache. Ou encore des pâtes aux sardines ou des spaghettis à l’encre de seiche.
Autre possibilité, un plat de ditalini (petites pâtes en forme d’anneau)
accompagnées d’une ricotta fraîche et salée à point avec ce qu’il faut de
poivre noir.
Quand Mantalbano mange, il lui arrive d’avoir
les larmes aux yeux. Friture de poissons, soupe de suppions, salade de poulpe,
dorade au four, la liste des pêchés commis par le commissaire est longue mais
il en est un, suprême, qu’il faut citer : la pasta ‘ncasciata. Un
dôme de pâtes, le plus souvent des macaronis, enveloppé par des tranches
d’aubergines et cuit au four. Un plat sicilien par excellence dont la recette
varie selon les familles et qui témoignerait du passé arabe de l’île tout comme
la petrafennula, gâteau au miel, aux amandes, à l’écorce de citron et
d’orange et à la cannelle (3). Quand il s’avale des pâtes ‘ncasciata,
Montalbano ne trouve jamais les mots pour les décrire. Il lui arrive de les
qualifier de « tendres et malicieuses » mais ce n’est jamais assez
pour leur rendre hommage. Et je vous promet qu’en lisant la description de ses
festins, vous aurez tout plein de pinsées pétissantes qui vous tournoieront
dans la coucourde en attendant le grand moment du f’tour.
En
attendant, saha ramdanekoum et doucement sur le sucre.
(*)
Désormais douktoura (note du 23 juin 2015).
(1)
« Jour de fièvre », La peur de Montalbano, Pocket, février 2008.
(2)
Sur le sort des harragas mineurs en Italie, il faut absolument lire « Le
tour de la bouée », Pocket, février 2006.
(3)
« Yasmina, sept récits et cinquante recettes de Sicile au parfum
d’Arabie », par Maruzza Loria et Serge Quadruppani, Agnès Viénot Editions,
2003. A lire aussi de Camilleri, le roman « Chien de faïence » qui
fait référence à la légende des Sept dormants ou Gens de la Caverne (Ahl
Al-Kahf).
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