Le Quotidien d’Oran, jeudi 4 juin 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Le
méchant, très méchant, Joseph « Sepp » Blatter a donc démissionné de
la présidence de la Fédération internationale de football association (Fifa)…
Un départ en forme de fuite forcée quelques jours à peine après qu’il a été
réélu pour un cinquième mandat. Autant le dire, la nouvelle a décontenancé la majorité
des observateurs. On pensait que le haut-Valaisan (il est né à Viège ou Visp en
suisse allemand) ne quitterait pas son poste et cela malgré les scandales à
répétition qui secouent actuellement la multinationale du football. Cette
« remise de mandat », selon le communiqué officiel de l’organisation,
laisse donc entrevoir que les péripéties du feuilleton judiciaire sont loin
d’être terminées. Selon la presse américaine, Blatter, ainsi que d’autres
personnalités du football mondial, sont dans le collimateur du Federal bureau
of investigation américain (FBI).
Que
dire de cette piteuse affaire qui, toutes proportions gardées, rappelle les
turpitudes ayant entouré une autre grande organisation sportive, à savoir le
Comité international olympique (CI0) ? Le fait est que personne n’est
vraiment surpris. Cela fait très longtemps que Fifa rime avec mafia. Rien de
surprenant à cela. Plus il y a de l’argent, et plus les trafics sont nombreux.
Sur le plan administratif, ce regroupement de fédérations internationales est
une « association », c’est à dire qu’elle échappe à la majorité des
contraintes en matière de transparence auxquelles sont soumises les grandes
transnationales, notamment celles qui sont cotées en Bourse. Or, la Fifa, n’est
pas une petite structure de quartiers avec ses bénévoles. Elle emploie 1400
personnes et dispose de près de 2 milliards de dollars de réserves avec un
chiffre d’affaires annuel de 1,5 milliards de dollars. En clair, en l’absence
d’un organisme de régulation et de contrôle, les dérives étaient impossibles à
éviter. On notera d’ailleurs que les Platini et Cie, c’est-à-dire ceux qui ont
exigé le départ de Blatter (et qui pensent déjà à le remplacer d’ici décembre
ou janvier prochains) n’abordent jamais cette question du contrôle extérieur de
la Fifa…
Il
a donc fallu que la justice étasunienne se mêle de cette affaire pour que les
choses s’accélèrent. Officiellement, la procédure est partie du redressement
fiscal de Chuck Blazer, un ancien haut-cadre de la Fifa. C’est en tirant les
fils du sac de nœuds que les très puissants et peu connus services de
l’Internal Revenue Service (IRS, organisme américain qui collecte l’impôt) ainsi
que ceux du FBI se seraient intéressés aux magouilles et combines au sein de la
Fifa, notamment lors des processus d’attribution de l’organisation de la Coupe
du monde. Bien entendu, on est en droit de se demander si la Fifa de Blatter
n’a pas commis une erreur majeure en préférant attribuer les épreuves de 2018
et 2022 à la Russie et au Qatar plutôt qu’aux Etats-Unis et à l’Angleterre…
On
peut aussi se dire que Michael Garcia, l’ancien procureur fédéral américain qui
a enquêté, à la demande de la Fifa ( !), sur les conditions d’octroi de
ces deux compétitions, a peut-être rencardé ses amis de la justice. Faute de
n’avoir pu pousser en avant ses investigations et ulcéré par la mise au tiroir
de son rapport, l’homme a démissionné en décembre 2014 de son poste de
président de la chambre d’enquête de la commission d’éthique de l’organisation.
A ce sujet, on attend maintenant que les contempteurs de Blatter, parmi
lesquels Michel Platini, s’engagent à ce que ce rapport soit publié au plus
vite et dans son intégralité. S’il reste caché, alors cela signifiera que rien
n’a changé et que l’opacité reste de règle au sein de la Fifa.
Mais,
au-delà des véritables motivations de la justice américaine, ce qu’il y a
d’important c’est de noter que cette dernière peut désormais agir n’importe où
dans le monde. En effet, ce qui lui permet d’agir dans ce scandale c’est, entre
autre, le fait que les « conjurés » ont utilisé des moyens informatiques
– en gros, les messageries internet – mis à disposition par des entreprises
américaines. Pour simplifier, le seul fait d’utiliser une adresse internet d’un
fournisseur d’accès américain expose à des poursuites venues d’outre-Atlantique
et cela même si l’on n’a jamais mis les pieds aux Etats-Unis. En ce sens,
l’affaire de la Fifa risque de constituer un précédent important : personne
n’est à l’abri de la justice de l’Empire…
Mais
revenons à la Fifa. Cette organisation est à l’image de ce que sont devenus les
sports populaires. De l’argent, encore de l’argent, toujours plus d’argent. Le foot, celui que l’on aime,
n’est plus qu’un prétexte pour que les milliards de dollars s’ajoutent aux
milliards de dollars. La Fifa, comme d’ailleurs
l’Uefa (l’union des fédérations européennes), peuvent bien clamer qu’elles
contribuent au développement ou qu’elles luttent contre la pauvreté ou le
racisme. La réalité est qu’elles sont obnubilées par l’argent. Cela engendre un
gigantisme croissant (à quoi rime vraiment une Coupe du monde avec 32
équipes ?) qui finira tôt ou tard par lasser les gens. Si cela continue
ainsi, qui peut jurer que le football sera encore le sport-roi dans vingt
ans ?
En
attendant les prochaines révélations qui ne vont sûrement pas manquer de tomber
(on guettera avec attention celles qui concerneront les fédérations africaines,
véritables repères de canailles notoires…), on peut toujours réécouter « La
vida es una tombola » (la vie est une tombola), une chanson de Manu Chao
dédiée à Diego Maradona. Dans l’un des couplets, le chanteur au bonnet andin a
ces paroles : « Si yo fuera Maradona saldría en mondovision para
gritarle a la FIFA ¡Que ellos son el gran ladrón! » autrement dit
(traduction simplifiée) : « si j’étais Maradona, j’affirmerais en
mondovision que la Fifa est une grande voleuse ». Comme l’avait fait feu
le grand joueur brésilien Socrates en 1986 avant d’être (fermement) rappelé à
l’ordre et comme le dit aujourd’hui le brésilien Romario, devenu député. L’affaire
est entendue : Fifa rime toujours avec mafia.
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