Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 juin 2015
Akram
Belkaïd, Paris
C’est
la nuit, la journée a été longue et on est loin de chez soi, dans une belle
petite chambre d’hôtel, trop fatigué pour sortir. Mais le monde moderne offre
de nombreuses possibilités. Ainsi, est-il possible de commander une pizza.
N’importe quel type de pizza y compris une californienne avec des tranches
d’ananas sur la sauce tomate « bio ». Il y en a même une qui est sucrée
aux fraises, « bio » elles aussi. Par contre, et il est évident que
cela va faire de la peine à de nombreux habitants de Mascara (pourquoi
eux ? mystère…), impossible de trouver une pizza avec le duo kiwi-banane.
Mais passons et regardons la liste des autres plats disponibles à la réception.
Bon,
pas de chorba. Normal. Pour qu’elle s’impose ici et là dans l’Hexagone, il
faudra certainement bien plus de temps qu’il ne s’en est écoulé pour que le
couscous devienne le numéro un incontesté. Par contre, il est possible de
commander en entrée « les délicieuses soupes bio ». Premier choix
offert : « la savoureuse soupe de potiron » (7,90 euros). Là, on
éprouve quelques doutes quant à la combinaison entre les termes
« savoureuse » et « potiron » sauf à aimer les soupes (et
les pizzas) sucrées. Deuxième choix : « La fine crème de tomates
fraîches » (8,20 euros). Option posée car c’est ce qui se rapproche le
plus de la chorba. Cela d’autant que le « velouté de crustacés à notre
façon » (8,90 euros) n’inspire guère. Il y a déjà le « notre
façon » qui sonne comme une incitation à la prudence. Prudence d’autant
plus nécessaire que le voyageur, comme c’est souvent le cas, a oublié ses
antihistaminiques…
Après
la soupe, au tour de la « sélection de plats raffinés ». Ah, ce
raffinement qui cherche toujours à masquer le raffinage… Premier choix :
« les fameux tortellinis frais aux légumes de Méditerranée » (13,90
euros). Si vous n’avez jamais entendu parler de ces pâtes, c’est que quelque
chose manque à votre culture ! On peut néanmoins s’interroger sur le label
méditerranéen accolé aux légumes. D’habitude, cela vaut pour les fruits ou le
poisson… Et puis, il n’est pas précisé s’ils sont « bio » ou pas.
Méfiance. Deuxième choix : « Les savoureux tortellinis frais et leur
chorizo doux » (14,50 euros). On pourra relever le soin mis à éviter les
répétitions - les uns sont fameux, les autres sont savoureux – mais, hélas, le halouf (vous prononcez
« chorizo » ou « korizo » ?) impose de passer son
chemin… Même chose pour « l’authentique choucroute d’Alsace garnie »
(15,30 euros). Ceci étant, et ce n’est pas une blague, on trouve désormais des
choucroutes labellisées « halal » (les Québécois rétorqueront que
chez eux aussi, il existe des cabanes à sucre – d’érable – qui servent des
repas halal en lieu et place de l’habituelle charcuterie…).
Reprenons.
Quatrième choix : « l’incontestable chou farci au canard
confit » (15,90 euros). Et là, on se pose une question fondamentale. En
quoi consiste le fait de contester un chou farci ? Le goût ? La
cuisson ? La farce ? Poursuivons. Cinquième choix :
« L’excellent blanquette de veau et ses légumes glacés » (16,50
euros). Là, il n’y a pas le moindre doute. Ça sent l’arnaque car la seule
blanquette de veau qui fut excellente se cuisinait jadis à Lardy dans
l’Essonne. Enfin, c’est ce qu’affirment les guides spécialisés. Mention
spéciale aussi à propos des légumes. Pourquoi les glacer ? Surtout s’ils
sont méditerranéens, autrement dit peu enclins à apprécier les basses
températures... Sixième et dernier
choix : « l’incontournable bœuf bourguignon et ses pommes de
terre » (17,50 euros). Mouais… ça peut être bon, mais avec un prix pareil
on se dit que l’obstacle peut se contourner aisément.
Puisque
c’est ainsi, on se dit alors que l’on optera pour la combinaison entrée plus
dessert. Il est d’ailleurs recommandé de considérer cette option ou sa
variante, deux entrées et un dessert. C’est souvent plus appétissant et
nourrissant et cela évite le naufrage du plat principal. Les desserts donc.
Attribués à une certaine Manon dont on se demande quelques microsecondes qui
elle peut bien être. Premier choix : « la petite douceur chocolat
café » (5,10 euros)… Dénomination étrange qui fait passer son chemin.
Deuxième choix : « L’accord parfait baba et canelé » (5,50
euros). Ah, enfin quelque chose de tentant. Oui, je sais, qui dit baba dit
rhum… En une autre saison, peut-être. On garde ça en tête. Troisième
choix : « l’excellent Dom Tom d’ananas » (5,70 euros). Allez
savoir ce qu’est ce dessert. Un sabayon aux fruits exotiques ? Une mousse
de melon et d’ananas ? Le lecteur ayant la solution peut écrire au Quotidien d’Oran et recevra en retour un
kilogramme de zlabia de Koléa (bien meilleure que celle de Boufarik, ce secret
nécessitant désormais d’être éventé).
Reste enfin le quatrième et dernier
choix : « Le délice de crêpes Suzette » (5,90 euros). Là, aucune
hésitation. Niet, walou. Les meilleures crêpes de ce genre – l’alcool
étant flambé, donc matssakontiche
pour les récriminations bigotes – se mangeaient jadis au restaurant El Boustane avec vue unique sur la baie
d’Alger. Impossible donc d’insulter ce souvenir gustatif. Terminons enfin cette
revue par une précision sur le picrate proposé : un « 100%
Merlot » (4,90 euros les 18,7 cl) auquel la notice n’attribue hélas aucun
qualificatif. Pas de « le véritable nectar » ou autre
« l’insubmersible piquette »…
Tout
compte fait, le menu a produit l’effet escompté. S’obliger à sortir à pas
d’heure, en quête d’un « nourriture rapide à toute heure ». Bingo. Un
kébab classique avec son « vrai pita croustillant », sa « viande
excellemment grillée », ses « véritables oignons
méditerranéens », ses « irrésistibles tomates marocaines » et sa
« cosmique sauce algérienne » et, bien sûr, ses « frites craquantes
et aériennes ». Et, en dessert, le « flan divin aux pruneaux »
le tout arrosé par un « onctueux Ayran frappé ». Qu’est-ce que
l’estomac vide pourrait exiger de plus ? Je vous laisse, ne pouvant écrire
la bouche pleine…
_________
PS :
Bon ramadan à toutes et à tous. Et doucement sur le « véritable sucre enchanteur ».
1 commentaire:
une superbe liste à la Prévert, pardon, à la Akram, qui donne envie de déguster, avec modération, d'autres chroniques aussi belles que celle-là. Merci encore.
Pierre Ch.
Enregistrer un commentaire