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Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 juin 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Il
est parfois des informations matinales qui laissent pantois, qui influent
négativement sur le reste de la journée et qui renforcent le sentiment de
malaise par rapport à l’air du temps hexagonal. Lors de son passage dans la
matinale de France Inter, le 23 juin, l’historien Patrick Weil est revenu sur
un épisode historique bien peu glorieux qu’il mentionne dans son dernier ouvrage (*). Il y raconte que Valery
Giscard d’Estaing, alors président de la république, avait décidé une expulsion
massive de travailleurs immigrés algériens afin de lutter contre le chômage. Une
décision qui aurait nécessité la dénonciation des accords d’Evian (1962) dont
une partie des dispositions concerne cette main d’œuvre. Pour mémoire, Giscard
avait remporté l’élection présidentielle de 1974 face à François Mitterrand et
son mandat a été marqué, dès son commencement, par l’essor du chômage,
conséquence notamment du choc pétrolier de 1975.
Le
présent chroniqueur n’a pas encore pris connaissance du livre de Weil mais
voici ce qu’il a expliqué à l’antenne. « Valéry Giscard d’Estaing donne un
ordre à ses négociateurs avec l’Algérie : ‘’Veuillez négocier 35 000
adultes’’. Et puis, il va rajouter à la main : ‘’Evitez d’évoquer des
quotas d’enfants’’ ». Glaçant… Au milieu des années 1970, soit trente ans à
peine après la fin de la seconde Guerre Mondiale, un président de la Vème
république envisageait donc une « déportation » - c’est le terme
qu’emploie, et assume, Patrick Weil – d’une population minoritaire résidant
légalement sur le sol français. On a de la peine à imaginer comment ce genre
d’opération aurait pu se dérouler car c’est une chose d’expulser quelques dizaines
de pauvres clandestins, c’en est une autre de regrouper (par la force ?)
35 000 âmes pour les obliger à rentrer chez elles.
On
peut se demander aussi quelle position aurait adopté l’Algérie. Le projet,
avorté, de Giscard a germé dans une période de grande tension entre les deux
pays notamment en raison de la multiplication d’actes racistes contre des
ressortissants algériens mais aussi d’attentats contre des représentations
consulaires et communautaires. Mais il y avait effectivement des négociations
en cours à propos des norias de travailleurs. Officiellement, c’est le
gouvernement algérien qui a décidé, en 1973, d’interdire l’émigration
économique à destination de la France. La partie française souhaitait quant à
elle l’aide des autorités d’Alger pour organiser et faciliter les retours de
travailleurs dont elle souhaitait qu’ils cèdent la place à des Français (un peu
à l’image de ce qui est exigé aujourd’hui des pays subsahariens en ce qui concerne
le renvoi des clandestins).
La
mention relative aux « quotas d’enfants » est, quant à elle, loin
d’être neutre. Nombre d’entre eux étant nés en France, ils avaient donc la
nationalité française de par le droit du sol. Qu’aurait fait Giscard ?
Expulser les pères et garder les fils et les filles ? Renvoyer aussi les
enfants au mépris du droit ? Réfléchir à cet épisode bien peu glorieux de
l’unique mandat giscardien ne consiste pas simplement à faire de la politique fiction.
Cela démontre que cette idée de grande expulsion s’est concrétisée dans la tête
d’un haut responsable politique. A l’heure où l’extrême-droite impose son
discours, à l’heure où le Premier ministre Manuel Valls annonce que
« l’islam sera un enjeu électoral » en 2017, à l’heure où islam,
immigration et terrorisme se mélangent dans un flot continu
d’informations alarmistes, on est en droit de s’interroger sur l’avenir.
Ce
qui a été, sera ? Cette question divise. Elle est souvent abordée, dans
tous les milieux sociaux issus de l’immigration, quelle que soit la forme et
l’antériorité de cette dernière. Si Giscard a voulu le faire, qui dit que
d’autres n’auront pas la même tentation ? L’intégration et l’ancrage dans
le sol français, réels quoiqu’en disent les sceptiques et les fauteurs de
troubles, sont-ils aussi irréversibles qu’on ne le pense ? On peut se
laisser aller et écouter d’une oreille trop attentive les Cassandres. Mais on
peut aussi faire confiance à ce que la France recèle de meilleur, de bon et de
respectable. Car si Giscard a dû renoncer à son projet, c’est parce que des
voix au sein même de son gouvernement s’y sont fermement opposées à l’image de
Simone Veil, alors ministre de la santé. De hauts fonctionnaires ont tiré la sonnette
d’alarme et le Conseil d’Etat a fait connaître son hostilité à une telle
opération.
Par
ailleurs, Patrick Weil est persuadé que si elle était lancée aujourd’hui, elle
déclencherait une vive réaction d’une partie de la population et de la classe politique.
Il n’a pas tort. Ce pays, ce vieux pays, a encore des ressorts humanistes et
progressistes. Certes, et on le voit bien avec la question du traitement des
migrants ou des clandestins, certains de ces ressorts semblent parfois
rouillés. Mais tout de même, la France n’est pas (encore ?) ce genre de
pays où l’on peut décider, comme c’est le cas par exemple dans les monarchies
du Golfe, d’expulser du jour ou lendemain des dizaines de milliers d’étrangers.
Cela doit conforter l’optimisme volontariste qui sied aux temps actuels. Mais
cela ne doit pas faire baisser la vigilance car les nouveaux Giscard ne
manquent pas dans l’échiquier politique français.
Enfin,
et puisque l’on évoque les pays qui expulsent en masse des étrangers au mépris
de la justice et des droits de la personne humaine, il est peut être temps que
l’Algérie fasse amende honorable sur un épisode bien peu glorieux. Dans les
années 1970, à l’heure où Giscard ourdissait son projet, le pouvoir de Houari
Boumediene décidait d’expulser des dizaines de milliers de ressortissants
marocains dont certains vivaient sur notre sol depuis plusieurs générations.
Rien, pas même la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc ou la
question du Sahara occidental, ne pouvait, ne peut toujours pas, excuser un tel
déni d’humanité.
(*)
Le sens de la République, Grasset.
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