Le Quotidien d’Oran, jeudi 2 juin 2016
Akram Belkaïd, Paris
Dans quelques jours, va débuter le
championnat d’Europe des nations, appelé souvent « euro de
football ». Pour la France, pays organisateur, l’enjeu est de taille.
Depuis seize ans, et sa victoire dans l’euro 2000 face à l’Italie, les
« Bleus » n’ont plus rien gagné et leurs supporters vivent avec la
nostalgie de cette fameuse passe de deux (Coupe du monde en 1998 et Euro en
2000). Pour l’heure, la « famille » du football hexagonal refuse
d’accepter l’idée que la France n’est pas un grand pays de football. Une vérité
que confirment pourtant les piètres performances de ses clubs dans les
compétitions européennes. Qu’on en juge, à peine deux victoires (Marseille en
1993 pour la Ligue des Champions et Paris Saint-Germain en 1996 pour la Coupe
des vainqueurs de coupe) en soixante ans !
Ces chiffres méritent d’être rappelés à
nombre de confrères français qui ont tendance à commenter l’actualité
footballistique comme si leur pays était la référence absolue. Pour eux, il ne devrait
même pas s’agir d’être modeste mais simplement de faire preuve d’humilité et,
plus important encore, de s’interroger sur les raisons des défaites
systématiques de leurs équipes en Ligue des champions ou en Ligue Europa. Cela
malgré les centaines de millions d’euros que déverse le Qatar au profit du
Paris Saint-Germain (une générosité qui ne lui rapporte rien en terme d’image
mais ceci est une autre histoire).
Ouvrons ici une parenthèse à l’adresse des
wanetoutristes qui viennent de se délecter des lignes qui précèdent. Disons
leur donc que le même constat vaut pour l’Algérie. On a beau dire, on a beau
faire, notre pays est un nain footballistique sur le plan des résultats. Qu’ils
soient internationaux ou même continentaux. Le bilan tient sur une ligne :
une Coupe d’Afrique des Nations (à domicile en 1990). Certes, plusieurs de nos
clubs ont remporté des trophées africains mais, pour reprendre un langage de
technocrate, on dira que le football algérien est loin d’avoir réalisé son
potentiel. Ses responsables peuvent bien jouer les matamores et tenter de faire
croire qu’une qualification en Coupe du monde équivaut à une victoire finale,
les chiffres sont implacables. Les Verts ne seront de vrais géants africains
(commençons par cela) que lorsqu’ils auront remporté une Coupe d’Afrique des
nations à l’extérieur de nos frontières. C’est d’ailleurs une règle générale
qui s’applique aussi à la Coupe du monde. Un « vrai » champion du monde
est celui qui gagne le trophée hors de chez lui. Fin de la parenthèse.
Revenons donc aux bleus. Une victoire à
domicile de l’équipe à Deschamps permettrait de recréer une dynamique et de
redonner quelques couleurs à un palmarès qui reste maigre malgré le « un,
deux et trois zéro » de 1998. Mais l’affaire ne sera pas simple. Depuis la
création de l’Euro en 1960, seuls trois pays organisateurs ont pu s’imposer
chez eux : l’Espagne (1964), l’Italie (1968) et la France (1984) pour qui
ce fut alors le premier titre international. Diminuée par plusieurs blessures,
l’équipe de France doit aussi assumer les choix de son sélectionneur de ne pas
avoir fait appel à deux joueurs d’origine maghrébine : Karim Benzema et
Hatem Ben Arfa.
Ces deux absences ont déclenché nombre de polémiques.
Eric Cantona, figure iconoclaste du foot français, a estimé qu’il s’agissait là
d’un choix « raciste ». Même son, en moins abrupt, chez le comédien
Jamel Debbouze qui nous avait habitué à plus de prudence et qui, du coup, doit
subir les foudres de l’ineffable Malek Boutih, désormais préposé au rôle de
franco-maghrébin réac. Enfin, et en attendant la suite de ce feuilleton, c’est
Karim Benzema qui accuse le sélectionneur d’avoir cédé à une partie raciste de
l’opinion publique. Avant d’aller plus loin, il convient de noter que, dès le
départ, la sélection de Deschamps était exclusivement « Black-Blanc »
et que si le franco-marocain Adil Rami a finalement été appelé, ce n’est
qu’après la blessure de plusieurs joueurs (relevons d’ailleurs au passage que
la présence de ce joueur n’a rien de rassurant pour la défense française…).
Alors, raciste Deschamps ? L’accusation
ne tient pas la route. L’homme est à la fois un gagneur, un pragmatique et un
créateur d’esprit de groupe. Ne pas sélectionner un joueur, aussi doué soit-il,
pour ne pas mettre en péril l’équilibre interne de l’équipe, fait partie de ses
habitudes. Cela peut expliquer pourquoi Ben Arfa n’est pas présent à l’euro.
Par contre, l’affaire Benzema est plus emblématique de l’air du temps et le principal
concerné l’a bien compris en pointant du doigt l’influence de l’opinion
publique. Deschamps voulait absolument Benzema mais il a cédé. A qui ? D’abord,
à la pression des politiques, le premier ministre, menton-toujours-haussé,
Manuel Valls et quelques uns de ses ministres dont on ne cessera jamais de dire
que leur exigence d’exemplarité (à propos de l’implication de Benzema dans la
sordide affaire de « sex-tape » de Valbuena) est à géométrie variable
(Platini, englué dans les scandales scabreux de la Fifa, garde encore toute leur
« confiance »…).
Ensuite, il y a effectivement l’influence
d’une partie de l’opinion publique qui se crispe dès lors qu’il s’agit de
franco-maghrébins. Il ne faut pas nier cette réalité. Dans un contexte politique
et social délétère, les amalgames sont nombreux et l’islamophobie, qu’elle soit
assumée ou non, conditionne nombre de comportements. Les commentateurs beaufs
et néoconservateurs, mais ô combien influents, notamment ceux qui sévissent sur
RMC ou canalplus (vous savez, le fatso-falso), voulaient la tête de Benzema. Ils
l’ont obtenue. Demain, en cas de victoire finale de la France, ils pourront
clamer que la page de 1998 et 2000 est définitivement tournée, et que le sport
hexagonal, et donc la France, peuvent très bien se passer des Beurs qui ne
fileraient pas droit. D’une manière ou d’une autre, le foot dit toujours ce qui
traverse une société…
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