Le Quotidien d'Oran, Jeudi
18 août 2016, Paris
Akram
Belkaïd, Paris
C’est
donc « le » sujet de cette fin de période estivale en France. Il ne
s’agit pas des Jeux Olympiques et de leurs breloques. Il ne s’agit pas non plus
de l’aggravation de la situation en Syrie, au Yémen, en Irak ou même en Turquie
où une (nouvelle) dictature est en train de naître. Il faudra revenir sur ces
sujets, mais, pour l’instant et vous l’aurez compris, le thème de la semaine
concerne le burkini, cet étrange habit nautique féminin dont le nom vient de la
contraction entre burqa et bikini. L’affaire est simple : quelques
municipalités ont interdit son port par des baigneuses et l’affaire a vite pris
une dimension nationale voire internationale.
Les
avis quant à cette interdiction sont nombreux et variés. Acte islamophobe,
raciste et électoraliste pour les uns, mesure préventive contre l’expansion de
l’intégrisme musulman et en défense de la laïcité pour les autres. Les réseaux
sociaux s’échauffent, les tribunes qui s’insurgent contre ce « maillot
intégral » succèdent à celles qui le défendent ou, du moins, qui ne se
font guère d’illusions sur les motivations réelles de ses contempteurs. Gageons
que ce vacarme est parti pour durer jusqu’à la fin du mois en attendant un
nouveau thème de délire général. Signe de l’inconfort intellectuel que cette
situation crée, de nombreux internautes préfèrent opter pour l’humour et le
présent chroniqueur a bien failli en faire autant en imaginant le scénario d’un
film qui serait tourné à Saint-Tropez et qui s’intitulerait « Le gendarme
et les burkinées ».
Depuis
la première affaire du voile en 1989, les polémiques liées à l’islam se suivent
avec une régularité de métronome. Cela fait plus de vingt-cinq ans que ces
« débats » sont marqués par l’absence de raison et par
l’impossibilité d’obtenir que les discussions, quand elles sont possibles, se
déroulent avec un minimum d’intelligence. Et ce manque de rationalité s’est
aggravé en raison de la succession d’attentats commis depuis janvier 2015 et de
la dégradation du climat sécuritaire dans l’Hexagone.
Pour
autant, la peur du terrorisme islamiste n’explique pas tout car la France a un
problème avec l’islam depuis très longtemps. La visibilité croissante de la
pratique de cette religion mais aussi la confusion, sciemment entretenue par
une partie de la classe politique et des élites médiatiques, entre la
visibilité (et la non-discrétion…) de certaines populations d’origine étrangère
et leur confession musulmane (réelle ou supposée) sont à l’origine d’un malaise
identitaire évident que l’extrême-droite sait très bien exploiter. La France
est-elle toujours la France alors que certains de ses citoyens sont des
musulmans ? A cette question, l’extrême-droite répond par la négative
tandis que les autres courants politiques majeurs – qui ne sont pas loin de
penser la même chose - bottent en touche en agitant le concept d’un
« islam de France » dont on se demande par qui et comment il sera
défini. C’est donc l’acceptation d’une présence musulmane définitive sur le sol
français qui est posée avec ce que cela sous-entend comme liens avec le passé
colonial.
Mais
il n’y a pas que cela. Au-delà des grands discours sur la défense des droits de
la femme (la nageuse en burkini est ainsi devenue le symbole de l’oppression
masculine dans un pays toujours incapable d’assurer l’égalité salariale entre
les deux sexes), ce que cette polémique révèle, c’est le refus que des
ressortissantes françaises de confession ou de cultures musulmanes puissent se
différencier d’avec le reste de leurs compatriotes. Qu’on le veuille ou non, on
en revient donc toujours à cette incontournable question de l’assimilation. Une
« bonne » française musulmane est-elle une française qui doit
absolument ne pas montrer qu’elle est musulmane ? Voire qui, in fine, ne doit plus être
musulmane ? Ces deux interrogations risquent de faire pousser des cris
d’orfraies mais que celles et ceux qui se mobilisent contre le burkini y
réfléchissent avec sincérité (de même, il convient aussi de se demander si c’est
le port du burkini qui fait la « vraie » musulmane…). Le burkini
provoque les crispations parce qu’il est vu comme une opposition à une
assimilation totale. Comme pour le voile ou la burqa, ce qu’une partie de
l’opinion publique française n’accepte pas – et cela les politiques l’ont très bien
compris – c’est que les femmes de confession ou de culture musulmane ne
s’assimilent pas ou, pour être plus précis, qu’elles ne s’assimilent pas comme
cette opinion publique le veut et l’exige.
Les
hommes, quant à eux, provoquent moins d’états d’âmes. Certes, il y a désormais
toutes ces craintes autour des risques de radicalisation mais il y a tout de
même moins de crispation et moins de polémiques à leur sujet. Que certains
d’entre eux continuent à porter la barbe, à nager avec de longs bermudas qui
cachent les genoux, qu’ils se baladent en qamis et savates, cela peut agacer
ici et là mais cela risque peu de déboucher sur une polémique comparable à
celles qui concernent les femmes. Cela vient de l’un des grands non-dits de la
société française. Il y a cette idée ambiante selon laquelle les hommes de
confession ou de cultures musulmanes sont « irrécupérables » car peu
susceptibles d’être totalement assimilés. Et comme on ne peut rien faire contre cela (un jugement qui se traduit,
entre autre, par le peu de cas que l’on fait des jeunes des cités) il est tout
de même possible de porter la bataille sur tout ce qui concerne leurs femmes, ces dernières étant
supposées être plus facilement assimilables (cette assimilation des femmes est
peut-être aussi vue comme le préalable pour convaincre les hommes de faire le
même chemin).
Dès
lors, on comprend pourquoi l’essor du port du voile provoque autant de passions.
La seule manière de les apaiser et d’aller
de l’avant, serait qu’un débat sérieux soit ouvert à propos de cette exigence,
implicite mais ô combien structurante, d’assimilation totale. Mais dans le
contexte que l’on sait et au vu de l’indigence de la classe politique française
(et de sa clientèle médiatique), il y a peu de chance pour que cela arrive.
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