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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 1 juin 2018

La chronique du blédard : Société civile et politique (dans le monde arabe...)

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 24 mai 2018
Akram Belkaïd, Paris


C’est un article particulièrement intéressant que vient de livrer le chercheur Nicolas Dot-Pouillard au site OrientXXI (*). Il s’agit d’une analyse tirant les diverses leçons des récentes élections législatives qui ont eu lieu au Liban. On sait que, vu d’Occident, le principal commentaire a été de relever avec insistance que le Hezbollah et ses alliés ont remporté le scrutin (25 sièges). De quoi sérieusement agacer les États Unis, Israël, l’Arabie Saoudite, Bahreïn et les Émirats arabes unis (écrire les monarchies du Golfe aurait été erroné car les trois autres – Koweït, Qatar et Oman - demeurent plus ou moins en retrait) qui n’ont de cesse de fustiger ce parti. Et de quoi alimenter aussi les spéculations sur de prochaines tentatives de déstabilisation menées par Washington contre cette formation alliée de l’Iran, mais ceci est une autre histoire.

L’article en question ne se contente pas d’aborder la victoire du Hezbollah. Il pointe aussi la montée en puissance des Forces libanaises de Samir Geagea au sein de la communauté chrétienne. Certes, le Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun reste « la première formation chrétienne » mais les FL passent de 8 à 16 sièges quand les Kataeb (Phalanges) n’en détiennent plus que 3 (contre 5 auparavant). Les lignes bougent un peu entre les grandes formations politiques du pays du Cèdre comme en témoigne la percée du Hezbollah au sein de l’électorat sunnite, mais, là aussi, c’est une autre histoire.

Au-delà de ça, l’article relève que les listes électorales se revendiquant de la « société civile » ont eue du mal à s’imposer même si elles ont eu le mérite de poser des jalons pour l’avenir. L’auteur note ainsi qu’il n’y a pas eu de « percée significative de listes opposées au système confessionnel libanais ». Depuis plusieurs années, le Liban a pourtant vu naître de nombreux mouvements citoyens alimentés par la colère contre le système communautariste et l’inefficacité de l’État. On a d’ailleurs pensé que la crise des ordures de l’été 2015 allait être le catalyseur provoquant une dynamique d’envergure susceptible de « déconfessionnaliser » la vie politique locale. Il n’en a rien été.

Au Liban, comme dans bon nombre de pays arabes, le concept de « société civile » reste encore flou et à du mal à se traduire en tendances partisanes. C’est un fait, ici et là, des initiatives émergent, destinées à suppléer des appareils étatiques inopérants, corrompus ou autoritaristes. D’ailleurs, les grands donateurs internationaux, Banque mondiale en tête mais aussi les fondations américaines ou européennes, sont sans cesse en quête de cette société civile qui pourrait constituer un facteur de changement. On l’a bien vu après les printemps de 2011. A chacun son ONG locale… A chacun son projet à financer : droits des femmes, genre, liberté de la presse, vie associative, gestion municipale…

On connaît d’ailleurs l’effet pervers de cet empressement occidental à l’égard de ces initiatives que les plus optimistes qualifieront de briques nécessaires pour établir un État de droit. D’abord, certaines d’entre elles n’ont que peu d’ancrage dans le réel et leur naissance relève plus d’une démarche opportuniste. Ensuite, les pouvoirs en place ne tolèrent ces organisations que si elles n’empiètent pas sur le domaine politique. Au Liban, relève Dot-Pouillard, des candidats de listes citoyennes ont dû composer avec un verrouillage de la carte électorale et faire face à des intimidations sans oublier leur incapacité financière à assumer les importantes dépenses de campagnes, notamment les spots télévisés. La question des ressources est posée partout dans le monde arabe où des liens avec des donateurs étrangers exposent à des représailles. Ainsi, en Égypte, comme en Arabie saoudite ou même en Algérie, il quasiment interdit à toute démarche citoyenne d’agir avec l’appui – surtout financier – d’ONG étrangères aussi connues et honorables soient-elles.

Dans un contexte de reflux des libertés et des droits démocratiques dans un monde arabe en bien piteux état, reposer la question de la définition même de la société civile et de son rôle dans un éventuel changement est nécessaire à toute réflexion sur cette région du monde. L’idée, simpliste il faut bien en convenir, que cette société civile prendrait le pas sur des systèmes politiques défaillants mais accrochés au pouvoir a vécu. Non, les sociétés civiles n’ont pas réussi à transformer la tentative de 2011. L’exemple le plus frappant est celui de l’Égypte où la répression menée par le bikbachi Sissi est bien plus large (elle ne concerne pas que les Frères musulmans) et bien plus dévastatrices (car bien plus féroce que sous Moubarak) qu’on ne le croit.

Le cas libanais nous apprend aussi que les réseaux sociaux n’ont eu guère d’influence face aux télévisions. Là aussi, cela oblige à relativiser certaines idées reçues. Une campagne de mobilisation peut naître sur Internet. Elle peut pousser les citoyens à se réunir pour protester contre les montagnes d’immondices qui entourent Beyrouth ou pour lancer un mot d’ordre efficace de boycottage des consommateurs contre des produits jugés trop onéreux comme c’est le cas au Maroc. Mais comment faire pour transformer tout cela en mouvement politique cohérent et efficace ? On aura beau dire, beau faire, cela passera toujours par la création d’un parti politique aux orientations clairement définies. Ce qui renvoie à la case départ de l’inévitable confrontation avec le pouvoir en place.



(*) Les élections libanaises au prisme des conflits régionaux, orientxxi.info, 22 mai 2018.


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