Le Quotiden d’Oran, jeudi 13 septembre 2018
Akram Belkaïd, Paris
Je n’ai jamais compris comment des gens
pouvaient aimer cette période. Terminé le temps des pieds nus, des claquettes
(à la plage) ou des espadrilles. On met des chaussures et on reprend le chemin
de l’école. Au primaire, il faut changer d’instituteur et, comme par hasard, ce
qui arrive souvent c’est que les nouveaux sont plus sévères que les précédents.
Une année pour s’y faire avant de changer encore. La rentrée… Deux cauchemars majeurs
pour l’élève du primaire : couvrir ses livres de manière correcte (avec le
petit triangle qu’il faut bien découper, sans l’arracher, avant de le glisser
sous la reliure…) et l’achat des fournitures scolaires. Des grappes de gamins
déchainés tendant leur liste, des libraires-papetiers dépassés dans la
fournaise de leur réduit ou heureux d’exister quelques jours avant de retomber
dans le plus complet des anonymats (sauf pour ceux qui vendaient Pif, France
Football et L’Automobile Magazine
sous le comptoir). Maintenant, pour certains, on reçoit la liste des
fournitures en juillet mais cela ne change rien à l’affaire. Il faut écumer les
rayonnages et se délester de son poids non-négligeable de flousse.
Au collège et au lycée, c’est la même chose.
Les profs sont plus nombreux, il faut s’habituer aux changements de classe et
aux conséquences de la perversité (certes, le mot est un peu trop fort) de
certains chefs d’établissements qui, d’une année à l’autre, adorent mélanger
les effectifs. Les copains sont dans une autre classe. On aimerait changer et
les rejoindre. Oui, mais voilà, l’administration a d’autres interventions à
encaisser et, de toutes les façons, la question que les parents posent avant
toute chose c’est : « qui sont tes profs ? ». Règle implacable
: on ne change pas de classe pour retrouver ses complices de chahut. Quant à
évoquer la nécessité d’être toujours proche d’un cœur que l’on souhaite
conquérir (dans nos rêves), ce n’est même pas la peine d’aborder ce sujet.
La rentrée, donc. Je hais, et le mot n’est pas
très fort, cette période où il faut encaisser les bonnes résolutions des
ultra-bronzés bien allants, motivés et déterminés. « Oui, bonjour, je vous
rappelle à propos de notre projet évoqué en juin dernier. On fait le point
demain ? ». Heu… C’tadjire,
pour moi l’été on se repose, on profite de la saison où la procrastination est
non seulement autorisée mais exigée par les conventions internationales. Allez,
rendez-vous en octobre. Là, on ne pourra pas se défiler : le bleu du ciel
aura viré au gris, les visages bronzés auront pâli et la liste des bonnes
résolutions aura été remisées aux premiers jours de janvier. La rentrée… Passons
vite sur la feuille d’impôts (ah oui, ça se paye le fait de vivre dans un pays
où quelques administrations fonctionnent encore…) et restons dans le domaine
scolaire.
Car les parents retournent eux-aussi à
l’école. La fameuse réunion de rentrée… Celle où on vous parle comme à un
demeuré ou à un ancien cancre. Celle où on s’attend à entendre « prenez
une feuille ». Celle où on entend ce genre de phrases : Votre enfant doit
couvrir ses livres (le pauvre… ). Je serai intraitable sur la tenue du
cahier (tiens, retour au CP…). Avec moi, pas d’absence sans certificat médical
(ça, c’est le prof de sport qui en a assez qu’on utilise ses heures pour aller
chez le dentiste ou l’orthophoniste). Je suis obligée de faire tout le
programme (ça veut dire que la moitié de la classe sera vite larguée en
mathématiques). Les programmes ont encore changé mais on n’a pas reçu les nouveaux
manuels (ça, c’est la faute du « mammouth », comprendre le
ministère). Je ne veux pas de cahier 21-27 mais 23-42 et pour le classeur, des
feuilles blanches et bleues (et pour les chaussettes ?). Et puis, il y a
cette terreur que, l’air de rien, on répand et installe y compris devant les
parents de sixième. Le bac, oui, le bac. Non, mieux, l’après-bac. On en parle,
en passant, on en fait l’objectif ultime, la toile de fond. Car, l’essentiel réside
dans quelques mots. Le monde de l’école est sélection. Un jour, on en parlera
même devant les parents des gamins et gamines en maternelle. Il n’en restera
que quelques-uns parmi l’élite…
Pendant cette réunion, il faut s’arranger pour
s’asseoir à côté de la fenêtre, s’il y en a une, et retrouver les réflexes d’antan.
Regarder à l’extérieur, ce monde qui fascinait, c’est-à-dire ce monde du
« ce qui se passe dehors quand je m’emmerde à suivre un cours auquel je ne
comprends rien ». Au Collège des Crêtes à Alger, j’avais une vue imparable
sur des jardins en terrasse. Plus tard, à l’Enita, du côté de Bordj-El-Bahri,
ex-Cap Matifou, c’étaient des champs qui s’étendaient à l’infini avant que,
année après année, le béton ne vienne y faire ses habituels dégâts.
La rentrée… La réunion… Deux heures de temps.
Le soir. Un début de semaine. Voilà, c’est fini. Se lever sans attendre l’ultime
consigne, le dernier « ah, j’oubliais, il faut aussi acheter… ». On
se demande s’il ne faudrait pas saluer l’enseignant principal qui clôt la
rencontre mais il y a déjà foule autour de lui. Les mêmes parents qui ont étiré
la séance avec leurs habituelles questions coconnes – la plupart tournant
autour de leur adorable progéniture – veulent encore se faire remarquer. Quant
à nous, on dévale déjà l’escalier avec cette crainte qui tenaille l’estomac :
et si on nous empêchait de sortir ?
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