Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 2 octobre 2018

La chronique du blédard : La rentrée, ce cauchemar…

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Le Quotiden d’Oran, jeudi 13 septembre 2018
Akram Belkaïd, Paris

Je n’ai jamais compris comment des gens pouvaient aimer cette période. Terminé le temps des pieds nus, des claquettes (à la plage) ou des espadrilles. On met des chaussures et on reprend le chemin de l’école. Au primaire, il faut changer d’instituteur et, comme par hasard, ce qui arrive souvent c’est que les nouveaux sont plus sévères que les précédents. Une année pour s’y faire avant de changer encore. La rentrée… Deux cauchemars majeurs pour l’élève du primaire : couvrir ses livres de manière correcte (avec le petit triangle qu’il faut bien découper, sans l’arracher, avant de le glisser sous la reliure…) et l’achat des fournitures scolaires. Des grappes de gamins déchainés tendant leur liste, des libraires-papetiers dépassés dans la fournaise de leur réduit ou heureux d’exister quelques jours avant de retomber dans le plus complet des anonymats (sauf pour ceux qui vendaient Pif, France Football et L’Automobile Magazine sous le comptoir). Maintenant, pour certains, on reçoit la liste des fournitures en juillet mais cela ne change rien à l’affaire. Il faut écumer les rayonnages et se délester de son poids non-négligeable de flousse.

Au collège et au lycée, c’est la même chose. Les profs sont plus nombreux, il faut s’habituer aux changements de classe et aux conséquences de la perversité (certes, le mot est un peu trop fort) de certains chefs d’établissements qui, d’une année à l’autre, adorent mélanger les effectifs. Les copains sont dans une autre classe. On aimerait changer et les rejoindre. Oui, mais voilà, l’administration a d’autres interventions à encaisser et, de toutes les façons, la question que les parents posent avant toute chose c’est : « qui sont tes profs ? ». Règle implacable : on ne change pas de classe pour retrouver ses complices de chahut. Quant à évoquer la nécessité d’être toujours proche d’un cœur que l’on souhaite conquérir (dans nos rêves), ce n’est même pas la peine d’aborder ce sujet.

La rentrée, donc. Je hais, et le mot n’est pas très fort, cette période où il faut encaisser les bonnes résolutions des ultra-bronzés bien allants, motivés et déterminés. « Oui, bonjour, je vous rappelle à propos de notre projet évoqué en juin dernier. On fait le point demain ? ». Heu… C’tadjire, pour moi l’été on se repose, on profite de la saison où la procrastination est non seulement autorisée mais exigée par les conventions internationales. Allez, rendez-vous en octobre. Là, on ne pourra pas se défiler : le bleu du ciel aura viré au gris, les visages bronzés auront pâli et la liste des bonnes résolutions aura été remisées aux premiers jours de janvier. La rentrée… Passons vite sur la feuille d’impôts (ah oui, ça se paye le fait de vivre dans un pays où quelques administrations fonctionnent encore…) et restons dans le domaine scolaire.

Car les parents retournent eux-aussi à l’école. La fameuse réunion de rentrée… Celle où on vous parle comme à un demeuré ou à un ancien cancre. Celle où on s’attend à entendre « prenez une feuille ». Celle où on entend ce genre de phrases : Votre enfant doit couvrir ses livres (le pauvre… ). Je serai intraitable sur la tenue du cahier (tiens, retour au CP…). Avec moi, pas d’absence sans certificat médical (ça, c’est le prof de sport qui en a assez qu’on utilise ses heures pour aller chez le dentiste ou l’orthophoniste). Je suis obligée de faire tout le programme (ça veut dire que la moitié de la classe sera vite larguée en mathématiques). Les programmes ont encore changé mais on n’a pas reçu les nouveaux manuels (ça, c’est la faute du « mammouth », comprendre le ministère). Je ne veux pas de cahier 21-27 mais 23-42 et pour le classeur, des feuilles blanches et bleues (et pour les chaussettes ?). Et puis, il y a cette terreur que, l’air de rien, on répand et installe y compris devant les parents de sixième. Le bac, oui, le bac. Non, mieux, l’après-bac. On en parle, en passant, on en fait l’objectif ultime, la toile de fond. Car, l’essentiel réside dans quelques mots. Le monde de l’école est sélection. Un jour, on en parlera même devant les parents des gamins et gamines en maternelle. Il n’en restera que quelques-uns parmi l’élite…

Pendant cette réunion, il faut s’arranger pour s’asseoir à côté de la fenêtre, s’il y en a une, et retrouver les réflexes d’antan. Regarder à l’extérieur, ce monde qui fascinait, c’est-à-dire ce monde du « ce qui se passe dehors quand je m’emmerde à suivre un cours auquel je ne comprends rien ». Au Collège des Crêtes à Alger, j’avais une vue imparable sur des jardins en terrasse. Plus tard, à l’Enita, du côté de Bordj-El-Bahri, ex-Cap Matifou, c’étaient des champs qui s’étendaient à l’infini avant que, année après année, le béton ne vienne y faire ses habituels dégâts.

La rentrée… La réunion… Deux heures de temps. Le soir. Un début de semaine. Voilà, c’est fini. Se lever sans attendre l’ultime consigne, le dernier « ah, j’oubliais, il faut aussi acheter… ». On se demande s’il ne faudrait pas saluer l’enseignant principal qui clôt la rencontre mais il y a déjà foule autour de lui. Les mêmes parents qui ont étiré la séance avec leurs habituelles questions coconnes – la plupart tournant autour de leur adorable progéniture – veulent encore se faire remarquer. Quant à nous, on dévale déjà l’escalier avec cette crainte qui tenaille l’estomac : et si on nous empêchait de sortir ?
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