Le Quotidien d’Oran, jeudi 27 septembre 2018
Akram Belkaïd, Paris
Suivre les réseaux sociaux, et notamment
Twitter, est de plus en plus dérangeant… et souvent inquiétant. Il ne s’agit
pas simplement du suivi de l’actualité internationale qui, elle, s’inscrit dans
une longue tendance faite d’affrontements, de guerres, de conflits larvés, de
rivalités commerciales ou de menaces en tous genres en provenance de telle ou
telle puissance ou supposée telle. En bientôt trente ans de journalisme, je
n’ai pas souvenir d’un fil de dépêches internationales qui incite à l’optimisme
quant à l’avenir de la planète et de l’humanité, bien au contraire. Mais on arrive
à vivre avec (à condition de ne pas travailler longtemps dans un quotidien)
car, après tout, il s’agit-là de l’Histoire qui ne cesse d’être en marche
(aucune allusion à un pseudo mouvement politique que l’on reconnaîtra
facilement…).
Les réseaux sociaux ont apporté autre chose.
Ils universalisent la polémique et les débats à deux sous. Toutes les algarades
possibles bénéficient d’une immense caisse de résonnance. De la plus grave à la
plus étrange, la plus inattendue. En quelques clics, on peut se battre contre
tout le monde et se faire des ennemis dont on ne soupçonnait même pas
l’existence quelques secondes avant qu’ils ne se manifestent sur votre écran.
Il suffit d’émettre un jugement abrupt sur une question donnée et c’est la
foire aux avis, aux emportements indignés, aux mises en causes frontales. C’est
encore plus affirmé si, tel un parasite, on se greffe au compte d’une célébrité
et que l’on y cherche la castagne. Il ne s’agit plus de réseaux sociaux mais d’arènes
de désocialisation. Twitter et ses homologues facilitent (encouragent) des
empoignades générales qui, par le passé, restaient circonscrites à des milieux
plus ou moins hermétiques : un café du commerce, un lieu professionnel, un
laboratoire de recherche universitaire, une amicale de retraités, etc. Maintenant,
tout déborde, tout fuse.
Il y a plus de dix ans, avec la montée en
puissance d’internet, la chancelière allemande Angela Merkel avait benoîtement
posé la question de la possibilité, pour les États, d’appuyer sur un bouton
« off » et « d’arrêter » internet si nécessaire. Outre des
ricanements et des commentaires bien sentis, l’affaire avait provoqué quelques
indignations à propos de la défense de la liberté d’expression et de la lutte
contre la censure. Aujourd’hui, on peut se demander s’il ne serait pas sain de
décréter plusieurs journées mondiales du « sans réseaux ». Des pauses
bienvenues pour certains afin que tout le monde se calme un peu, prenne le
temps de faire autre chose que d’insulter son prochain ou encore de le
« stalker » (verbe très à la mode en ce moment qui signifie harceler)
ou enfin de l’épier en permanence, lui et ses contacts…
On me dira que tout cela est du virtuel, que
les gens ne sont pas obligés de se connecter et qu’ils peuvent à tout moment
décrocher. C’est ce que je pensais mais je n’y crois plus. L’addiction aux
réseaux sociaux, et plus particulièrement à Twitter, est une réalité. Combien
ai-je vu de gens annoncer leur départ définitif - en raison de campagnes de
harcèlement menées contre eux par leurs détracteurs – qui finissent par
revenir. Certaines personnalités médiatiques ont même expliqué que les
confrontations sur ce réseau leur ont valu une vraie et bonne dépression. Mais
elles sont toujours présentes, le twouite aussi prompt et facile qu’avant.
A-t-on besoin de Twitter pour exister ou pour se faire une
réputation ? La question est d’époque dans un contexte de frénésie
égotique généralisée.
Mais à quoi cela sert-il vraiment ? Quand
une chaîne à péage ne diffuse pas le match vedette ou a du mal à faire face à
ses engagements, on est content d’avoir Twitter pour se défouler. C’est bien
plus facile que jadis où l’on n’avait pas forcément le numéro de téléphone de
l’entreprise et encore moins l’envie et le temps de coucher sa colère sur du
papier timbré. Maintenant, chaque matin le « trend » (tendance) nous
indique l’indignation du jour, celle que la suivante du lendemain remplacera
sans peine et ainsi de suite. La presse de bas niveau y trouve matière à faire
du clic en tenant la chronique de ce qui passionne, indigne ou exaspère les
twittos. Tout cela contribue à alimenter un fracas général qui exacerbe les
tensions et entretient l’illusion que de choses fondamentales se règlent via
les réseaux.
Twitter et ses batailles rangées représentent
une photographie binaire. Sur un sujet donné, deux camps s’affrontent en
boucle, se repassant les mêmes arguments, les mêmes accusations. Les indécis,
ceux qui veulent se faire une idée, n’ont qu’une seule option, celle de passer
leur chemin. L’illusion du « clicktivisme » peut faire croire que des
batailles idéologiques essentielles sont menées. Certes, il est essentiel de
réaffirmer une position et un engagement. Mais il est difficile de savoir si la
répartition des forces telle qu’elle se dessine sur les réseaux correspond à la
réalité.
Prenons la question de l’expression xénophobe
et raciste. Si l’on doit se fier aux échanges, aux attaques violentes contre
des militantes et des militants engagés pour la cause antiraciste, alors on
peut en tirer la conclusion que l’heure est grave car le nombre et le niveau de
virulence et d’activisme sont clairement à l’avantage des vilains. Mais, d’un
autre côté, il suffit de se déconnecter pour que le bruit de la merdolâtre
vert-de-gris disparaisse. Reste donc cette question à laquelle j’ai encore du
mal à répondre. Est-ce que, oui ou non, ce qui se passe sur Twitter est
inquiétant ? Ce qui est certain, c’est que ce réseau a contribué à libérer
la parole xénophobe et raciste. Il a offert une occasion idéale de
désinhibition. En cela, c’est déjà grave.
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