Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 septembre 2018
Akram Belkaïd, Paris
Ils sont nombreux les amateurs de football et
de Champions League à s’être retrouvés floués cette semaine. Pas de match pour
eux faute d’abonnement adéquat et de bonne connaissance des offres disponibles
sur le net. Mardi soir, mon compteur de recherche m’indiquait une bonne
centaine d’articles sur où et comment regarder la rencontre (pour les seuls
téléspectateurs habitant en France). Un vrai maquis ! Et un vrai scandale.
Il fut un temps où le football était la propriété de deux chaînes rivales. D’un
côté, Canalplus (payante) et, de l’autre, TF1 (gratuite). Et puis est arrivé le
Qatar avec sa chaîne Bein (filiale d’Al-Jazeera). Pour qui voulait ne rien
rater de la Coupe du monde, des compétions européennes ou même de la Coupe
d’Afrique des Nations, il fallait donc payer un autre abonnement. Et désormais,
il y a RMC sport ou SFR, je ne sais plus, ce qui signifie qu’il faut encore
débourser plus de pèze. Quand on aime, on ne compte pas…
Reprenons la formule : Il fut un temps…
Il fut un temps, donc, où le football était rare mais gratuit. Les grandes
compétitions étaient pour tout le monde. Certes, la plupart des matchs
échappaient au radar. On en entendait parler, on lisait les articles de L’Équipe, on se faisait peu à peu une
idée sans voir les joueurs chaque semaine. L’imagination faisait le reste. Et
puis, petit à petit, les chaînes à péage ont fait leur apparition. Les droits
de télévision ont commencé à augmenter et, avec eux, la concurrence féroce
entre distributeurs bien décidés à rafler tous les contrats de diffusion. Le
football, aujourd’hui, est omniprésent, sur les écrans. En se débrouillant
bien, on peut suivre tous les championnats européens ou presque y compris le
belge (il faut vraiment n’avoir rien d’autre à faire…).
J’ai évoqué un scandale, voici de quoi il
s’agit : sachant que les droits sont mis aux enchères, comment peut-on accepter
que celui qui rafle la mise puisse ensuite revendre ou partager ces mêmes droits ?
C’est la meilleure manière d’inciter à la surenchère puisque celui qui décroche
la timbale en poussant au maximum son offre peut ensuite faire ses affaires
avec la concurrence. C’est ce qui s’est passé cette année pour les droits concernant
la retransmission des compétitions européennes. Et ne parlons même pas de la
notion de gratuité due aux téléspectateurs. Cette dernière est désormais
assimilée à un archaïsme qui ne mérite même plus qu’on le défende. Déjà, se
profile la Coupe du monde 2022 (au Qatar, oui, n’en déplaise aux Saoudiens…) et
le fait qu’il faudra vraisemblablement payer pour suivre la majorité des
rencontres (sauf à disposer d’un décodeur pirate dont la diffusion explose au
nord de la Méditerranée).
Soyons certains que tout ceci aura des conséquences
à moyen terme. Trop de foot payant tuera le foot. Déjà, le fait même qu’il y
ait une inflation croissante de compétitions et de rencontres incite au
pessimisme. Indigestion garantie. Trop de matchs, trop de joueurs qui vont et
viennent d’un club à l’autre. Trop d’images, de résumés, d’émissions de bla-bla
avec d’anciens joueurs bourrins reconvertis en consultants exigeants. Cela
commence déjà à être indigeste. Et les combinaisons financières, les
changements de diffuseurs d’une année à l’autre, tout cela va générer la colère
ou la lassitude des spectateurs, à commencer par ceux qui n’ont pas vraiment la
passion (ou les moyens) et ceux qui vont renouer avec l’agréable habitude de
suivre le football de loin en loin, grâce à la presse écrite, aux résumés diffusés
sur internet et, surtout, à la radio.
Il y a quelque chose de magique à suivre ce
sport à la radio. Bien sûr, il faut que le reporter soit bon, que sa voix
accroche l’attention. Certains ont un vrai talent. Ils nous permettent de
« voir » le match, de le vivre comme si l’on était à quelques mètres
de la pelouse. Mardi soir, pour suivre le départ en force du Barça, la radio
m’a fait revenir plusieurs années en arrière comme à l’époque des multiplex de
la radio Chaine III ou de France Inter. A l’époque, le foot, c’était aussi un
timbre, une excitation, des jingles et le bruit de fond du public. Tout cela
est peut-être voué à disparaître car nombre de clubs et de distributeurs
cherchent désormais à faire payer des droits de diffusion aux radios. Ces dernières
résistent en clamant leur mission d’information. La bataille est loin d’être
terminée. Cela paraissait inconcevable il y a quelques années mais cela se
rapproche petit à petit. Le capitalisme et la loi du profit frappent partout et
en permanence…
L’inflation autour des droits de
retransmission a aussi des conséquences sur les horaires de diffusion. Des
télévisions asiatiques déboursent des sommes de plus en plus importantes pour
diffuser les matchs des championnats anglais ou espagnol mais exigent des
horaires adaptés. Résultat, un « classico » Barça – Real de Madrid se
jouera de plus en plus souvent à midi. Mais il n’y a pas que ça. Un fait majeur
résume bien la situation. En Angleterre, le championnat n’a plus besoin de
spectateurs dans les stades pour être rentable. Les clubs sont riches et l’argent
qui rentre grâce aux droits leur est amplement suffisant sans compter la vente
et l’achat – termes propres à des bestiaux – de jeunes joueurs ou de stars.
Résultat, ces clubs n’ont que faire des exigences des supporters et ont
tendance à transformer leurs stades en immenses centres commerciaux pour
touristes. La réalité est là : le football est en train de s’autodétruire.
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