Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 octobre 2018
Akram Belkaïd, Paris
L’écologie sauvera-t-elle la planète ? Soyons plus
précis quant à cette interrogation : l’écologie sauvera-t-elle notre
civilisation ? Ce mois d’octobre 2018 est d’une inquiétante douceur pour
qui vit au nord de la Méditerranée. On peut ne pas s’en plaindre mais il est
impossible d’ignorer que parmi les nouvelles négatives, les dégâts infligés à
la population par des phénomènes météorologiques extrêmes semblent incessants.
Chaque jour ou presque, il est question d’inondations, de tornades, de typhons,
d’ouragans avec, à chaque fois, des bilans macabres et les mêmes polémiques à
propos de la lenteur des secours et des conséquences d’une urbanisation anarchique.
Les guerres, les crises géopolitiques comme celles qui
affectent le Proche-Orient, la montée des populismes et de l’extrême-droite en
Europe et ailleurs (le Brésil étant le dernier exemple en date) tendent à nous
faire relativiser ce qui se passe sur le front de la nature. Les grandes
questions liées au réchauffement climatique sont souvent vues comme des sujets
où, finalement, il est impossible de faire quoi que ce soit. Mais ce qui tout
autant préoccupant, c’est à quel point nos pays du Sud, l’Algérie en
particulier, semblent se désintéresser du sujet. Bien sûr, il y a un nombre
important de nos concitoyens qui travaillent sur ces thèmes, qui ont une
expertise certaine. Mais ils ne sont guère audibles.
Certes, nous avons raison de jauger de l’évolution du monde
sous l’angle de l’affrontement d’intérêts, sur la persistance d’ambitions
hégémoniques et impérialistes. L’idée avancée dans les années 1990 par le
politiste Francis Fukuyama pour qui l’Histoire était terminé du fait de la
chute de l’ex-Union soviétique n’était qu’une aimable provocation. La bagarre
est toujours là. Mais la nouveauté, c’est qu’elle se déroule désormais sur un
terrain mouvant ou, si l’on préfère une autre image, à l’intérieur d’une maison
qui brûle ou encore sur le pont d’un navire qui menace de couler.
La difficulté avec l’écologie, c’est que la psychologie de
l’être humain le pousse à ne guère écouter les Cassandre. Et le problème avec
les Cassandre, c’est qu’elles ne sont pas toujours précises dans leurs
prédictions. Le 22 avril 1970, le « Jour de la Terre », fut
l’occasion pour plusieurs spécialistes (économistes, géographes, climatologues)
de faire connaître leurs prévisions apocalyptiques. A l’époque, déjà, alors que
le concept de réchauffement climatique était peu connu, on avançait le message
du « il ne reste pas beaucoup de
temps pour faire quelque chose. » Près de cinq décennies plus tard, la
Terre est toujours là et l’humanité avec elle. C’est ce qui donne du grain à
moudre aux climato-sceptiques et à celles et ceux qui affirment qu’il n’y a pas
lieu de s’inquiéter parce que la technologie saura toujours résoudre les
problèmes.
En réalité, les prévisions alarmistes en matière
d’environnement finissent toujours par se réaliser même si c’est avec un temps
de décalage. Les phénomènes extrêmes violents prédits en 1970 sont désormais
une réalité. Certes, on peut dire qu’ils ont toujours existé mais la différence
c’est qu’ils font bien plus de dégâts. En novembre prochain, on se souviendra
des inondations de 2001 qui firent plus de 300 morts et 100 disparus à Alger et
plus particulièrement dans le quartier de Bab-el-Oued. Officiellement, les
leçons de ce drame ont été tirées en termes de mise en place de schéma de
prévention et d’organisation de secours. C’est très certainement vrai même si Alger
continue régulièrement à être prise par les eaux. Les catastrophes climatiques
restent appréhendées sous le sceau de la fatalité voire du caractère
imprévisible des éléments. Or, nous savons que le Maghreb, et l’Algérie de
manière plus particulière, fait partie de ces zones qui vont payer le prix fort
en matière de conséquences du réchauffement climatique. Il est temps d’intégrer
cela dans notre logiciel mental.
Autrement dit, et au-delà même des considérations
habituelles, et justifiées, sur la politique, sur la nature du pouvoir algérien
ou encore sur le plaidoyer pour une refondation du pays, il est important
d’inclure dans notre réflexion tous les éléments liés à l’écologie et au
développement durable. Il ne s’agit pas juste de repenser un mode de vie. Et il
s’agit encore moins de « green washing », c’est-à-dire d’employer à
tort et à travers ces mots pour se donner bonne conscience ou faire semblant
d’être à la pointe des réflexions. C’est une question d’idées politiques et donc
d’idéologie. Les courants politiques algériens, quelles que soient leur nature,
ont su par le passé s’emparer de doctrines venues d’ailleurs. Il est étonnant
de voir à quel point l’écologie continue à être considérée comme un élément
exogène superflu, une chose réservée à d’autres tant les urgences et les
immédiatetés algériennes seraient nombreuses et prioritaires.
L’écologie, la défense de l’environnement, la lutte contre
l’anarchie urbaine, la promotion de mode de production moins intensifs, tout
cela devrait faire partie de nos discussions et de nos échanges au quotidien au
même titre que tel ou tel conflit ou encore telle ou telle péripétie de la
« vie politique » algérienne. A défaut d’y arriver, lorsqu’il sera
enfin possible de prendre des décisions pour le bien de l’Algérie, nous
risquons fort de manquer de l’expertise mais aussi du bagage idéologique
nécessaires pour le faire.
_
1 commentaire:
Bonsoir,
C'est la première fois que je lis (en français car, malheureusement, je ne suis pas arabophone) sous la plume d'un journaliste maghrébin le questionnement autour de "comment envisager la politique à l'heure du changement climatique ?"
Bravo à vous mais avez-vous quelques relais au Maghreb ?
En Tunisie, Moncef Marzouki essaie de faire entendre cette voix, pour l'instant sans grand retour mais le temps presse puisque des scientifiques (pessimistes) ont récemment pronostiqué que la région MENA risque de devenir inhabitable dans les 5 à 10 ans à venir...
Bien à vous.
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