Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 8 janvier 2012

La chronique du blédard : L'attente, ce mal algérien

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Il y a déjà plus de vingt ans, j'ai publié un article intitulé « l'Attente ». J'y décrivais ce mal chronique et endémique dont étaient victimes les Algériennes et les Algériens. Il s'agissait, non pas de la mouche-kila, jeu de mots délicieux qu'il m'arrive encore d'employer, mais de la condamnation collective à des attentes aussi récurrentes que vaines. Nous étions à la fin des années 1980. J'avais en tête l'exemple de ces multiples Congrès du FLN, quand c'était encore un parti unique, et des fausses promesses que des experts en fuites et rumeurs savaient entretenir. Que de fois ai-je entendu ce fameux « c'est sûr, il paraît que ça va changer après le Comité central »…. L'un des meilleurs exemples en la matière est celui de 1986. 

Que d'attentes et d'espérances. On disait alors que des membres de la société civile, des démocrates et même des berbéristes allaient faire leur entrée dans le cœur du parti unique. On ajoutait que cela préfigurait la démocratie et le multipartisme et que le FLN se préparait à éclater en plusieurs tendances et courants. On connaît la suite. Système verrouillé, opposants jetés en prison et jugés par la Cour de sûreté de Médéa. Deux ans plus tard, éclataient les émeutes d'Octobre 1988 qui allaient déboucher sur une transition dont on sait comment elle a (très mal) tourné. Et dire qu'aujourd'hui, on en est encore à se demander si les islamistes pourraient l'emporter à la faveur d'un scrutin libre et honnête… 

Deux décennies plus tard, rien n'a changé ou presque et l'Algérie attend encore.  Oh, bien sûr, elle n'est pas immobile cette Algérie. Elle bouge, elle change, elle s'équipe, elle consomme, elle investit cette Algérie qui semble vouloir effacer à jamais l'ère de Boumediene, celle de la frugalité et de la pénurie organisée, toutes deux érigées comme philosophie politique. Fini le précieux bon pour une voiture ou une télévision, Terminé les longues queues dans des magasins miséreux. Désormais, les étals sont fournis, les librairies regorgent de livres hier interdits, le métro d'Alger est enfin fonctionnel, le parc automobile n'a rien à voir avec les tacots brinquebalants et rapiécés des années 1980. Oui, mais encore… 

L'Algérie attend. Elle veut du meilleur. Elle veut vivre mieux, ne plus sentir cette masse qui leste son estomac et oppresse sa poitrine. En un mot, elle veut être heureuse. Elle ne veut plus être ce pays où tout le monde a l'air malheureux, y compris ceux qui le dirigent ! Certes, à l'heure des turbulences arabes, l'Algérie connaît trop bien le système qui la dirige, ce qui explique pourquoi elle ne semble pas vouloir d'une nouvelle aventure qui mènerait à de terribles violences. Mais l'Algérie attend. Un geste, une ouverture, un changement. Un vrai changement qui libèrerait les énergies, qui donnerait aux Algériennes et aux Algériens plus de confiance en l'avenir et le sentiment de ne plus être en marge du monde et de son évolution. 

Alors, une nouvelle fois, on dit à ce pays, on dit à ce peuple que le prochain rendez-vous va être décisif, qu'il faut qu'il s'y prépare. On prépare un théâtre, on remaquille les acteurs et on leur fournit un nouveau texte, en réalité à peine différent du précédent. Oyé, Oyé, les élections approchent. Préparez-vous. Le grand moment va arriver. Comme l'a dit Obama aux naïfs qui l'ont cru, « change is coming ». Instruits par l'expérience, brûlés vif par d'anciennes déceptions, on se dit alors que tout cela n'est que nouvelle comédie. Que les élections de 2012 ne changeront rien. Qu'elles inventeront un nouveau vide aux nouvelles formes. Qu'elles enverront à la Chambre des députés des ignorants capables d'affirmer haut et fort que c'est l'ONU qui octroie le Prix Nobel de la Paix ou que les Américains n'ont jamais marché sur la lune. 

Et, malgré cela, il y a une espérance. Une attente. Une petite voix qui dit que, cette fois, peut-être... Sait-on jamais. Un miracle. Un éclair de lucidité dans la tête des décideurs qui auraient enfin compris qu'accepter le changement c'est aussi penser à l'avenir de leurs propres enfants, du moins un avenir en Algérie… On décrit souvent les Algériens comme étant l'un des peuples les plus violents de la terre, l'un des plus colériques et le moins enclin à subir ce qui ne lui plaît pas. C'est faux. Ce qui s'est passé depuis l'indépendance montre que c'est l'inverse qui est vrai. Les Algériens sont des patients, au sens clinique du terme. Ils attendent, se disant que leur sort est entre les mains de médecins aux compétences incertaines. 

Savoir que le peuple est disposé à attendre tel ou tel rendez-vous, notamment électoral, est l'une des forces du système. Ce dernier a bien compris qu'il lui faut canaliser cette attente et même l'organiser. Voilà pourquoi on lit et entend tant de choses à propos des prochaines élections. La pré-agitation qui entoure ce scrutin (le MSP qui se retire de l'alliance présidentielle, quelle nouvelle « bouleversifiante »…) ne sert en réalité qu'à entretenir l'illusion d'un enjeu crucial alors que le système reste bel et bien verrouillé. 

En ce début d'année, on parle beaucoup de la fameuse prédiction des Mayas selon laquelle l'humanité devrait disparaître le 21 décembre 2012. La lecture récente d'un article consacré à José Argüles, historien de l'art et spécialiste de la cosmologie maya, m'a appris qu'en réalité ce n'est pas de la fin du monde qu'il s'agit mais plutôt de l'achèvement d'un cycle de l'humanité. En clair, ce serait une rupture qui provoquerait « la fin du système matérialiste actuel »(*). Au train où vont les choses en Algérie et en pariant que les élections annoncées risquent fort d'être un non-événement, on se demande si les Algériennes et les Algériens ne vont pas se mettre, eux aussi, à attendre le 21 décembre 2012 en espérant que ce sera la grande date où le système politique de leur pays va enfin changer… 

(*) L'homme qui ne verra pas la fin du monde, Courrier international, 22 décembre 2011.  

Le Quotidien d'Oran, jeudi 5 janvier 2011
Akram Belkaïd, Paris

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