Dimanche 15 janvier 2012 Propos recueillis par Bruno Béziat |
Au chevet du monde arabe
Akram Belkaïd, journaliste et essayiste, se montre optimiste à long terme après les révolutions arabes, malgré une période d'incertitude qui peut durer
Akram Belkaïd : « Ces peuples ont dit que c'en était fini de leur humiliation ». (photo dr)
Le journaliste Akram Belkaïd n'est pas du genre à faire des concessions. Dans son dernier livre, paru en septembre, il dresse un portrait très éloigné des idées reçues d'un monde qu'il connaît bien pour en être originaire, un monde en plein bouleversement.
« Sud Ouest Dimanche ». Avez-vous été surpris par la rapidité de la diffusion de ces révolutions dans le monde arabe ?
Akram Belkaïd. J'ai été surpris et pris de court. D'abord de la façon dont tout a démarré en Tunisie, et ce qui s'est passé ensuite avec la chute assez rapide de Ben Ali, puis de la manière dont les événements se sont propagés dans le monde arabe - cette explosion de revendications, l'irruption des peuples dans l'arène. Elle devait certainement avoir lieu un jour ou l'autre. Mais je n'avais pas imaginé pouvoir vivre une année aussi intense, avec autant d'événements qui se sont enchaînés.
Le Printemps arabe est une succession de révolutions, de la Tunisie à la Libye en passant par l'Égypte et d'autres… Mais ont-elles un lien ?
J'y vois un lien : le fait que les régimes arabes n'étaient en rien démocratiques. Aucun n'a pris en compte l'attente des peuples pour avoir davantage de droits et de libertés. Ces peuples ont dit à leur manière, avec leurs arguments, que c'en était fini de leur humiliation.
Vous parlez de l'humiliation des peuples. Ce n'est pas le seul moteur de ces révolutions…
La révolte contre l'humiliation subie par les peuples n'en est effectivement pas l'unique cause. La faillite socio-économique de ces régimes l'explique également. Lorsque les Tunisiens se soulèvent, c'est aussi parce qu'ils ont du mal à faire face à l'augmentation du coût de la vie. Rappelez-vous le jeune marchand tunisien qui s'est immolé par le feu.
Pourtant, certains pays comme la Libye, le Bahrein ou l'Algérie disposent de la richesse des ressources pétrolières et donc subissent moins de pauvreté que la Tunisie ou l'Égypte…
Lorsque l'on regarde la situation de plus près, y compris en Libye ou dans les monarchies pétrolières, on voit qu'une partie de la jeunesse est hors circuit, ne profite pas de ces richesses. Certains ont ouvert les vannes financières et acheté la tranquillité sociale, mais une forme de précarité et de mécontentement perdure. On peut s'attendre à des surprises, y compris en Arabie saoudite, où une grande partie de la jeunesse est éduquée mais au chômage, où la pauvreté existe, où vous pouvez voir des bidonvilles à la lisière des grandes villes.
L'Algérie est également un cas particulier, la guerre civile y a laissé des traces…
Effectivement. Il y a vingt ans, les islamistes remportaient l'élection. Et tout cela s'est terminé par une guerre civile sanglante qui a duré des années. Les Algériens savent bien ce qu'est une transition politique ratée, dont les conséquences peuvent être terribles, des milliards de dollars de destructions, des dizaines de milliers de morts… Ils y regarderont à deux fois avant de s'aventurer dans une nouvelle transition. En augmentant les salaires, le régime a désamorcé le début de la contestation. Beaucoup d'Algériens ont dû se dire qu'ils avaient tout à perdre, mais les problèmes fondamentaux et structuraux de l'Algérie sont loin d'être réglés.
En revanche, le Maroc a donné un exemple de transition politique réussie après quelques manifestations…
Il existe là aussi une spécificité marocaine, puisque le roi bénéficie d'une légitimité, ce qui n'était pas le cas de Ben Ali en Tunisie. Mohammed VI a incontestablement désamorcé ce qui pouvait être une lame de fond contre le pouvoir et la monarchie, en modifiant la Constitution, en acceptant de gouverner avec les islamistes. Cette monarchie a une grande capacité à neutraliser ses opposants, à les coopter. La situation reste tout de même difficile, avec de fortes disparités et d'importants écarts de revenus. Le pays n'est pas à l'abri de nouvelles révoltes populaires.
Vous évoquez l'islam avec le Maroc. Ces victoires des islamistes après les révolutions arabes vous ont-elles surpris ?
Autant j'ai été surpris par la soudaineté du Printemps arabe, autant ces résultats électoraux m'ont semblé logiques. Les islamistes ont récupéré la mise parce que la nature a horreur du vide. Les partis en place n'étaient plus crédibles. Les islamistes étaient les seuls opposants à disposer d'une logistique, d'une assise politique, de lieux pour s'exprimer (les mosquées) avec un discours simple, d'un réseau d'aide sociale. On confond souvent démocratie et organisation des élections. Les autres partis d'opposition n'ont pas eu le temps de s'organiser, alors les peuples sont allés vers les islamistes.
Ce vote islamiste n'est-il pas aussi lié, selon vous, à une volonté des peuples arabes de retrouver une identité fondée sur la religion ?
Oui, cela a certainement compté, dans le sens où ils ont profité du grand désarroi identitaire du monde arabe, où les peuples ne savent plus qui ils sont. Le retard par rapport à l'Occident dans beaucoup de domaines est mal vécu. La question est de savoir comment faire pour œuvrer à un renouveau fondé sur quelque chose, c'est tout l'enjeu des mois et des années à venir.
Vous pensez que l'on doit différencier les islamistes ?
Certainement. Si vous regardez l'exemple de la Turquie, avec un courant de démocrates musulmans qui s'apparente finalement à la démocratie chrétienne - dont je rappelle que les discours prononcés à l'origine du mouvement, en Europe, heurteraient certainement aujourd'hui. On ne sera véritablement certain qu'il peut y avoir une cohabitation entre islam et démocratie que s'il émerge un élan théologique moderniste, une relecture du Coran. L'islam attend encore sa réforme, son Vatican II, en quelque sorte. La véritable bataille se situe là, sur cette émergence d'une nouvelle manière de pratiquer et de lire les textes.
Vous êtes plutôt pessimiste ?
Je ne suis pas pessimiste sur le long terme. Je pense que nous allons avoir une période d'incertitude qui risque de durer, des turbulences importantes, éventuellement des régressions démocratiques. Mais les intelligences et les richesses existent dans ces 20 pays. Le monde arabe attend un second déclic. Le principal écueil au développement de ces pays est la nature de ces régimes. Les phénomènes de corruption, de clientélisme, de régionalisme freinent les initiatives individuelles. Le levier démocratique doit permettre le développement.
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« Sud Ouest Dimanche ». Avez-vous été surpris par la rapidité de la diffusion de ces révolutions dans le monde arabe ?
Akram Belkaïd. J'ai été surpris et pris de court. D'abord de la façon dont tout a démarré en Tunisie, et ce qui s'est passé ensuite avec la chute assez rapide de Ben Ali, puis de la manière dont les événements se sont propagés dans le monde arabe - cette explosion de revendications, l'irruption des peuples dans l'arène. Elle devait certainement avoir lieu un jour ou l'autre. Mais je n'avais pas imaginé pouvoir vivre une année aussi intense, avec autant d'événements qui se sont enchaînés.
Le Printemps arabe est une succession de révolutions, de la Tunisie à la Libye en passant par l'Égypte et d'autres… Mais ont-elles un lien ?
J'y vois un lien : le fait que les régimes arabes n'étaient en rien démocratiques. Aucun n'a pris en compte l'attente des peuples pour avoir davantage de droits et de libertés. Ces peuples ont dit à leur manière, avec leurs arguments, que c'en était fini de leur humiliation.
Vous parlez de l'humiliation des peuples. Ce n'est pas le seul moteur de ces révolutions…
La révolte contre l'humiliation subie par les peuples n'en est effectivement pas l'unique cause. La faillite socio-économique de ces régimes l'explique également. Lorsque les Tunisiens se soulèvent, c'est aussi parce qu'ils ont du mal à faire face à l'augmentation du coût de la vie. Rappelez-vous le jeune marchand tunisien qui s'est immolé par le feu.
Pourtant, certains pays comme la Libye, le Bahrein ou l'Algérie disposent de la richesse des ressources pétrolières et donc subissent moins de pauvreté que la Tunisie ou l'Égypte…
Lorsque l'on regarde la situation de plus près, y compris en Libye ou dans les monarchies pétrolières, on voit qu'une partie de la jeunesse est hors circuit, ne profite pas de ces richesses. Certains ont ouvert les vannes financières et acheté la tranquillité sociale, mais une forme de précarité et de mécontentement perdure. On peut s'attendre à des surprises, y compris en Arabie saoudite, où une grande partie de la jeunesse est éduquée mais au chômage, où la pauvreté existe, où vous pouvez voir des bidonvilles à la lisière des grandes villes.
L'Algérie est également un cas particulier, la guerre civile y a laissé des traces…
Effectivement. Il y a vingt ans, les islamistes remportaient l'élection. Et tout cela s'est terminé par une guerre civile sanglante qui a duré des années. Les Algériens savent bien ce qu'est une transition politique ratée, dont les conséquences peuvent être terribles, des milliards de dollars de destructions, des dizaines de milliers de morts… Ils y regarderont à deux fois avant de s'aventurer dans une nouvelle transition. En augmentant les salaires, le régime a désamorcé le début de la contestation. Beaucoup d'Algériens ont dû se dire qu'ils avaient tout à perdre, mais les problèmes fondamentaux et structuraux de l'Algérie sont loin d'être réglés.
En revanche, le Maroc a donné un exemple de transition politique réussie après quelques manifestations…
Il existe là aussi une spécificité marocaine, puisque le roi bénéficie d'une légitimité, ce qui n'était pas le cas de Ben Ali en Tunisie. Mohammed VI a incontestablement désamorcé ce qui pouvait être une lame de fond contre le pouvoir et la monarchie, en modifiant la Constitution, en acceptant de gouverner avec les islamistes. Cette monarchie a une grande capacité à neutraliser ses opposants, à les coopter. La situation reste tout de même difficile, avec de fortes disparités et d'importants écarts de revenus. Le pays n'est pas à l'abri de nouvelles révoltes populaires.
Vous évoquez l'islam avec le Maroc. Ces victoires des islamistes après les révolutions arabes vous ont-elles surpris ?
Autant j'ai été surpris par la soudaineté du Printemps arabe, autant ces résultats électoraux m'ont semblé logiques. Les islamistes ont récupéré la mise parce que la nature a horreur du vide. Les partis en place n'étaient plus crédibles. Les islamistes étaient les seuls opposants à disposer d'une logistique, d'une assise politique, de lieux pour s'exprimer (les mosquées) avec un discours simple, d'un réseau d'aide sociale. On confond souvent démocratie et organisation des élections. Les autres partis d'opposition n'ont pas eu le temps de s'organiser, alors les peuples sont allés vers les islamistes.
Ce vote islamiste n'est-il pas aussi lié, selon vous, à une volonté des peuples arabes de retrouver une identité fondée sur la religion ?
Oui, cela a certainement compté, dans le sens où ils ont profité du grand désarroi identitaire du monde arabe, où les peuples ne savent plus qui ils sont. Le retard par rapport à l'Occident dans beaucoup de domaines est mal vécu. La question est de savoir comment faire pour œuvrer à un renouveau fondé sur quelque chose, c'est tout l'enjeu des mois et des années à venir.
Vous pensez que l'on doit différencier les islamistes ?
Certainement. Si vous regardez l'exemple de la Turquie, avec un courant de démocrates musulmans qui s'apparente finalement à la démocratie chrétienne - dont je rappelle que les discours prononcés à l'origine du mouvement, en Europe, heurteraient certainement aujourd'hui. On ne sera véritablement certain qu'il peut y avoir une cohabitation entre islam et démocratie que s'il émerge un élan théologique moderniste, une relecture du Coran. L'islam attend encore sa réforme, son Vatican II, en quelque sorte. La véritable bataille se situe là, sur cette émergence d'une nouvelle manière de pratiquer et de lire les textes.
Vous êtes plutôt pessimiste ?
Je ne suis pas pessimiste sur le long terme. Je pense que nous allons avoir une période d'incertitude qui risque de durer, des turbulences importantes, éventuellement des régressions démocratiques. Mais les intelligences et les richesses existent dans ces 20 pays. Le monde arabe attend un second déclic. Le principal écueil au développement de ces pays est la nature de ces régimes. Les phénomènes de corruption, de clientélisme, de régionalisme freinent les initiatives individuelles. Le levier démocratique doit permettre le développement.
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