Le Quotidien d’Oran,
jeudi 2 octobre 2014
Akram Belkaïd,
Paris
Tableau 1. Il
est sept heures quarante-cinq du matin. C’est l’instant critique ou l’on va
basculer du statut « dans les temps » à celui de « en
retard ». Une main tenant le sac poubelle de la veille, l’autre sa
serviette, la troisième son trousseau de clés et son téléphone, on se répète
mentalement la check-list établie depuis des lustres pour plus ou moins bien
commencer la journée. Et c’est au moment où l’on va claquer la porte que l’on
entend une petite voix, mal assurée car devinant l’orage qui va certainement
éclater, dire : attend, je crois que j’ai oublié mon carnet de
correspondance. Lequel carnet est l’indispensable sésame pour entrer dans le
lieu où est dispensé le précieux savoir. On laisse alors tout choir, y compris
le téléphone qui, de lui-même, a décidé de tester les lois de la gravité et la
résistance de sa coque déjà fêlée. Le sac poubelle en profite pour se déchirer
tandis que la voisine, que l’on voulait prendre de vitesse pour l’ascenseur,
vient de sortir de chez elle. Dans les dix bonnes minutes qui vont suivre, on
va attendre que soit retrouvé ce (bip) de carnet. Il ne le sera pas et c’est
donc avec la perspective d’être doublement collée (retard et entrée sans
carnet) que l’adolescente prendra le chemin du collège.
Tableau 2. Il
est sept heures cinquante. Les bonnes résolutions de début d’année en matière
de ponctualité se sont évaporées avec les derniers jours d’été. Là, c’est le
statut « courir » qui s’illumine en lettres rouges. Pas le temps de
s’occuper de la poubelle ni de rien d’autre. Ça y est, c’est bon. On va prendre
l’ascenseur avant la voisine. C’est là, vous l’aurez compris, qu’une petite
voix, mal assurée car devinant la tempête qui va éclater, dit : tu as signé
la feuille ? La feuille ? Mais quelle feuille ? interroge-t-on
en réprimant un hurlement, le même qu’on pousse quand le marteau rate le clou
et écrase le pouce (ou l’index ou les deux). Bah, la Charte de l’école,
poursuit la voix du pré-ado qui précise : je t’en ai parlé hier mais tu
m’as dit plus tard. Et, la même voix, un peu plus culpabilisante,
d’ajouter : il y a aussi l’autorisation pour la sortie au musée. On prend
une longue inspiration. Que faire d’autre si ce n’est d’encaisser ? Un
genou posé à terre, on signe donc les dits documents en attendant l’ascenseur
qui joue à l’omnibus. C’est certain, cette fois encore, il y aura retards et
colles…
Tableau 3. Il
est sept heures trente-cinq. La colère homérique de la veille a eu ses petits
effets. La mauvaise troupe est prête à se mettre en route. Instruit par
l’histoire, on demande tout de même s’il n’y a rien à signer et si rien n’a été
oublié. Réponses négatives. On se prépare à sortir quand, une petite voix,
celle du pré-ado, se fait entendre. Heu, attends, je crois que je devais
imprimer les quatre pages pour la techno. Dans ce genre de circonstances, la
raison et l’intelligence commandent le pragmatisme. Il ne sert à rien de
demander en hurlant pourquoi cela n’a pas été fait la veille en lieu et place
du visionnage d’un énième épisode de Clone Wars. Il ne sert à rien de promettre
une punition qui, de toutes les façons, la détente du week-end venue, sera
annulée. Il ne sert à rien non plus, époque et peur du 119 (numéro d’urgence
pour les enfants maltraités, ndc) obligent, d’envoyer un aller-retour sur les
joues du concerné. Courrons donc à l’imprimante qui, cela coule de source, met
du temps à chauffer et qui, au final, multiplie les messages d’erreurs.
Bourrage papier, manque d’encre, tout cela arrive toujours à ces moments de
rush et de cavalcade. L’objet finit par se mettre en marche. On jette un coup
d’œil aux quatre pages. Technologie des transports. Ah oui, c’est vrai. Au
collège, en sixième, alors que les élèves ne maîtrisent toujours pas la règle
de trois (dada du chroniqueur pour ceux qui le lisent régulièrement), on leur
apprend le fonctionnement du cardan (terme que, néanmoins, tous les conducteurs
algériens soumis aux dégâts des nids-de-poule connaissent…). Bref, imprimons et
courrons en râlant.
Tableau
4 ; Il est sept heures cinquante-cinq. Il pleut à l’extérieur. Pendant la
nuit, un orage a provoqué une coupure de courant et le réveil n’a donc pas
sonné. La faute à pas de chance. Course contre la montre. Vite, vite, vite
d’autant qu’il y a des contrôles de prévu ce matin. Pas de check-list, pas de
dernière vérification. Même pas question de prendre le petit-déjeuner. Une
barre chocolatée fera l’affaire, et tant pis pour les règles d’usage de la
nutrition et du dogme des cinq fruits et légumes quotidiens. On referme la
porte derrière soi mais là, un sixième sens – le même que celui de Dr Justice
(personnage que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître) – nous
avertit de l’imminence d’une tuile. On interroge. Vous n’avez rien
oublié ? Si, dit la voix de la collégienne. Quoi donc ? demande-t-on
en se mordant les lèvres. Il me faut des tickets de métro. Et pourquoi
donc ? Tu as perdu ton pass navigo ? Non, répond la candide, mais tu
as oublié de renouveler l’abonnement. Je t’en ai parlé la semaine dernière. Là
aussi, on encaisse. On réfléchit vite. Heureusement, le marchand de journaux du
coin vend des tickets et renouvelle même les abonnements. Allez soldat, on se
détend. Quoi ? Comment ? L’ascenseur est de nouveau en panne. Ce
n’est pas grave. Allez, vite, on se dépêche. Qu’est-ce qui peut bien arriver
d’autre ? Ah oui, c’est vrai. Une grève des bus…
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