Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 25 octobre 2014

La chronique du blédard : Un niqab à l’opéra

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 octobre 2014
Akram Belkaïd, Paris

Au départ, il y a cette nouvelle entendue de bon matin sur France Inter. Récemment, une femme habillée d’un niqab a été priée de se découvrir le visage ou de quitter les lieux alors qu’elle assistait à une représentation de La Traviata à l’Opéra Bastille. J’ai tendu l’oreille pour écouter la suite mais l’info s’est arrêtée là. Un petit fait divers, certes atypique, avait réussi à se glisser entre les ravages du virus Ebola en Afrique de l’ouest et les tractations autour de la composition de la nouvelle Commission européenne. Grandeur du journalisme contemporain. Elles n’étaient pas dix, elles n’étaient pas cent ou mille à porter le niqab et à vouloir pleurer le triste sort de Violetta (la courtisane, pas l’héroïne de la série pour ados, ma chère Jahane) mais une seule. Une seule personne, un seul voile intégral et cela a suffi pour provoquer un barouf d’enfer dans tous les médias y compris ceux qui se comptent parmi les plus respectables.

Je fais souvent le constat que la question du voile relève d’une véritable obsession française. Mais je m’interroge désormais sur la responsabilité des médias dans ce genre d’excitation générale qui contribue à alimenter les passions les plus détestables. Un niqab à l’Opéra… Bon, d’accord, ça peut intriguer mais et alors ? Le même jour, cent faits divers ont eu lieu à Paris. Pourquoi le voile et pas la bagarre entre un automobiliste et un piéton rue des Pyrénées ? Pourquoi le niqab et passer sous silence diverses réunions œcuméniques et de dialogue interreligieux qui ont eu lieu récemment ? On dira que c’est « l’actu coco », qu’une femme en voile intégral qui se fait virer en pleine représentation (comment diable a-t-elle pu entrer et s’installer ? Pourquoi ne pas l’avoir tout simplement empêchée d’accéder à la salle ?) ça fait tendre l’oreille, ça empêche de zapper et puis, surtout, si le concurrent d’à-côté en a parlé, il faut donc l’imiter. Et puis le voile, hou… Ayons tous peur…

En même temps, et comme toujours, cet engouement nous apprend des choses. Mais rappelons d’abord un point important. La loi est la loi et cette dernière interdit d’être en public le visage caché ; Qu’il s’agisse d’un niqab ou d’un casque, la règle est la même. On peut être contre cette loi qui interdit le voile intégral dans les espaces publics, on peut la critiquer mais cela ne dispense pas de la respecter. En clair, toute cette affaire ne relève de rien d’autre que du simple rappel à la loi voire de l’amende qui va avec (150 euros ou obligation de suivre un stage de citoyenneté). Une fois que l’on a dit ça, il faut relever un autre point. Le plus souvent, la femme entièrement voilée est présentée dans un contexte inquiétant ou dérangeant : il s’agit d’une banlieue ou de milieux où l’islamisme militant serait des plus actifs, des milieux où les femmes n’auraient aucun droit, aucune liberté si ce n’est d’obéir à leurs maris, pères ou frères. A l’inverse, on parle rarement des femmes du Golfe qui continuent de déambuler tranquillement avenue des Champs Elysée sans que personne ne s’offusque de leur niqab.

Dans le cas qui nous intéresse, la « niqabée » était à l’Opéra pour suivre La Traviata. Est-ce ce paradoxe apparent qui a intéressé les médias ? Si l’on se conforme à la perception générale, une femme qui porte le niqab ne peut aimer l’opéra et encore moins s’y rendre. Tout cela pour dire que sur le plan journalistique, cette information diffusée à tout-va aurait mérité de l’être si elle avait été plus complète. Qui est cette femme ? D’où vient-elle ? Aime-t-elle vraiment l’Opéra ? Depuis quand ? Que pense-t-elle de cette histoire de courtisane elle qui, apparemment, s’en tient à une lecture des plus rigoristes du Coran ? Etait-elle accompagnée ? Comment a-t-elle ressenti le fait qu’on lui demande de quitter la salle ? Un fait divers n’a d’intérêt journalistique – un confrère me parlait d’intérêt « socio-journalistique » - que pour ce qu’il permet de découvrir à propos de la société ou du milieu dans lequel il a eu lieu. Quitte à nous saturer avec cette histoire, j’aurais aussi aimé entendre le témoignage des choristes qui se seraient eux-mêmes plaints de la présence de celle que les internautes ont –facilement – surnommée « le fantôme de l’Opéra ». Qu’est-ce qui les dérangeait ? Le fait de ne pas voir les traits de la personne sous le voile ? De ne pas surprendre ses émotions ? Sous le niqab, il y a un être humain. Cela, on a trop souvent tendance à l’oublier tant il est vrai que ce vêtement heurte et pas simplement les Occidentaux. Le présent chroniqueur se souvient encore de sa stupéfaction lorsqu’il en a vu pour la première fois dans les rues d’Alger au début des années 1980. Mais, quelle que soit la prévention que l’on peut éprouver, voire l’hostilité ou le dégoût, il nécessaire de ne jamais déshumaniser les concernées et cela même si ces dernières tendent à le faire elles-mêmes en revêtant cet accoutrement.

Post-scriptum qui n’a rien à voir, ou presque : Nombre de personnes en France ont salué l’octroi du Prix Nobel de la Paix à la jeune Malala Yousafzaï pour son combat dédié au droit à l’éducation mais rares ont été celles qui ont relevé qu’avec son hidjab elle n’aurait pas le droit d’aller à l’école en France…
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