Le Quotidien d’Oran,
jeudi 23 octobre 2014
Akram Belkaïd,
Paris
Au départ, il y
a cette nouvelle entendue de bon matin sur France Inter. Récemment, une femme
habillée d’un niqab a été priée de se découvrir le visage ou de quitter les
lieux alors qu’elle assistait à une représentation de La Traviata à l’Opéra
Bastille. J’ai tendu l’oreille pour écouter la suite mais l’info s’est arrêtée
là. Un petit fait divers, certes atypique, avait réussi à se glisser entre les
ravages du virus Ebola en Afrique de l’ouest et les tractations autour de la
composition de la nouvelle Commission européenne. Grandeur du journalisme
contemporain. Elles n’étaient pas dix, elles n’étaient pas cent ou mille à
porter le niqab et à vouloir pleurer le triste sort de Violetta (la courtisane,
pas l’héroïne de la série pour ados, ma chère Jahane) mais une seule. Une seule
personne, un seul voile intégral et cela a suffi pour provoquer un barouf
d’enfer dans tous les médias y compris ceux qui se comptent parmi les plus
respectables.
Je fais souvent
le constat que la question du voile relève d’une véritable obsession française.
Mais je m’interroge désormais sur la responsabilité des médias dans ce genre d’excitation
générale qui contribue à alimenter les passions les plus détestables. Un niqab
à l’Opéra… Bon, d’accord, ça peut intriguer mais et alors ? Le même jour,
cent faits divers ont eu lieu à Paris. Pourquoi le voile et pas la bagarre
entre un automobiliste et un piéton rue des Pyrénées ? Pourquoi le niqab
et passer sous silence diverses réunions œcuméniques et de dialogue
interreligieux qui ont eu lieu récemment ? On dira que c’est « l’actu
coco », qu’une femme en voile intégral qui se fait virer en pleine
représentation (comment diable a-t-elle pu entrer et s’installer ?
Pourquoi ne pas l’avoir tout simplement empêchée d’accéder à la salle ?)
ça fait tendre l’oreille, ça empêche de zapper et puis, surtout, si le
concurrent d’à-côté en a parlé, il faut donc l’imiter. Et puis le voile, hou…
Ayons tous peur…
En même temps,
et comme toujours, cet engouement nous apprend des choses. Mais rappelons
d’abord un point important. La loi est la loi et cette dernière interdit d’être
en public le visage caché ; Qu’il s’agisse d’un niqab ou d’un casque, la
règle est la même. On peut être contre cette loi qui interdit le voile intégral
dans les espaces publics, on peut la critiquer mais cela ne dispense pas de la
respecter. En clair, toute cette affaire ne relève de rien d’autre que du
simple rappel à la loi voire de l’amende qui va avec (150 euros ou obligation
de suivre un stage de citoyenneté). Une fois que l’on a dit ça, il faut relever
un autre point. Le plus souvent, la femme entièrement voilée est présentée dans
un contexte inquiétant ou dérangeant : il s’agit d’une banlieue ou de
milieux où l’islamisme militant serait des plus actifs, des milieux où les
femmes n’auraient aucun droit, aucune liberté si ce n’est d’obéir à leurs
maris, pères ou frères. A l’inverse, on parle rarement des femmes du Golfe qui
continuent de déambuler tranquillement avenue des Champs Elysée sans que
personne ne s’offusque de leur niqab.
Dans le cas qui
nous intéresse, la « niqabée » était à l’Opéra pour suivre La
Traviata. Est-ce ce paradoxe apparent qui a intéressé les médias ? Si l’on
se conforme à la perception générale, une femme qui porte le niqab ne peut
aimer l’opéra et encore moins s’y rendre. Tout cela pour dire que sur le plan
journalistique, cette information diffusée à tout-va aurait mérité de l’être si
elle avait été plus complète. Qui est cette femme ? D’où vient-elle ?
Aime-t-elle vraiment l’Opéra ? Depuis quand ? Que pense-t-elle de
cette histoire de courtisane elle qui, apparemment, s’en tient à une lecture
des plus rigoristes du Coran ? Etait-elle accompagnée ? Comment
a-t-elle ressenti le fait qu’on lui demande de quitter la salle ? Un fait
divers n’a d’intérêt journalistique – un confrère me parlait d’intérêt
« socio-journalistique » - que pour ce qu’il permet de découvrir à
propos de la société ou du milieu dans lequel il a eu lieu. Quitte à nous
saturer avec cette histoire, j’aurais aussi aimé entendre le témoignage des
choristes qui se seraient eux-mêmes plaints de la présence de celle que les
internautes ont –facilement – surnommée « le fantôme de l’Opéra ».
Qu’est-ce qui les dérangeait ? Le fait de ne pas voir les traits de la
personne sous le voile ? De ne pas surprendre ses émotions ? Sous le
niqab, il y a un être humain. Cela, on a trop souvent tendance à l’oublier tant
il est vrai que ce vêtement heurte et pas simplement les Occidentaux. Le
présent chroniqueur se souvient encore de sa stupéfaction lorsqu’il en a vu
pour la première fois dans les rues d’Alger au début des années 1980. Mais,
quelle que soit la prévention que l’on peut éprouver, voire l’hostilité ou le
dégoût, il nécessaire de ne jamais déshumaniser les concernées et cela même si
ces dernières tendent à le faire elles-mêmes en revêtant cet accoutrement.
Post-scriptum
qui n’a rien à voir, ou presque : Nombre de personnes en France ont salué
l’octroi du Prix Nobel de la Paix à la jeune Malala Yousafzaï pour son combat
dédié au droit à l’éducation mais rares ont été celles qui ont relevé qu’avec
son hidjab elle n’aurait pas le droit d’aller à l’école en France…
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