Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 août 2015
Akram
Belkaïd, Paris
La
question tourne désormais en boucle : quelles vont être les conséquences
de la chute des cours du pétrole ? Pour les pays importateurs de brut,
notamment ceux d’Afrique subsaharienne, c’est une bonne nouvelle en ces temps
de turbulences boursières et financières mondiales car cela signifie une baisse
substantielle de leur facture énergétique. Mais pour certains exportateurs, les
risques sont nombreux et l’inquiétude quant à leur stabilité sociale et
politique est justifiée. Il y a cinq ans, le présent chroniqueur a imaginé
l’acronyme VILAIN pour désigner les pays exportateurs d’hydrocarbures
incapables de diversifier leur économie – et leur système politique (*).
Venezuela, Irak, Libye, Algérie (ou/et Angola), Iran et Nigéria : tous ont
pour point commun un modèle économique en panne où la manne pétrolière (et
gazière) alimente à plus de 90% les recettes extérieures du pays.
A
l’époque, l’idée était d’opposer cet acronyme à celui des BRIC (Brésil, Russie,
Inde et Chine), autrement dit les pays émergents les plus dynamiques, et à
celui des CIVETS (Colombie, Indonésie,
Vietnam, l’Egypte, Turquie et Afrique du Sud), soit des « pré-BRIC »
susceptible de rivaliser avec la Chine et le Brésil à l’horizon 2020-2030. On
connaît aujourd’hui les limites auxquelles sont confrontés ces pays. Exception
faite de la Chine, laquelle est tout de même soumise à de sérieuses difficultés
structurelles, les autres émergents n’ont pas confirmé l’hypothèse selon
laquelle ils finiraient par prendre le relais des pays développés. Ils n’ont pas
pu aussi se « découpler » d’eux, c’est-à-dire évoluer indépendamment
de la conjoncture des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon.
Si
la pertinence des acronymes BRIC et CIVETS mérite d’être questionnée, il n’en
va pas de même pour les VILAIN. Après une décennie marquée par un hausse
quasi-constante des cours du pétrole et par des revenus se chiffrant en
centaines de milliards de pétrodollars, aucun de ces pays n’a réalisé la
moindre réforme fondamentale visant diversifier son économie. C’est donc le
retour à la case 1986 ou 1996, périodes où le prix du baril était au plus bas
et où les pays concernés peinaient à boucler leurs budgets et à rembourser leur
dette extérieure. Depuis 2000 et le retour à une tendance haussière du marché
pétrolier, quinze années précieuses ont donc été perdues, l’ivresse de la
richesse immédiate ayant empêché toute tentative de changer des modèles
économiques peu efficaces. C’est le cas de l’Algérie qui, faute d’autres types
d’exportations, va bientôt devoir piocher dans ses réserves de change si elle
entend simplement maintenir ses dépenses, notamment sociales et alimentaires, à
leur niveau actuel.
Pour
autant, il faut bien s’entendre sur ce qu’il aurait été souhaitable de faire au
cours de ces dernières années et ce sur quoi il est encore possible d’agir. La
chute du baril de pétrole, les turbulences politiques et sociales qui ne vont
pas manquer de suivre, sont trop souvent l’occasion de ressortir les vieilles
lubies néolibérales. Il faut ainsi s’attendre à des attaques frontales contre
les systèmes divers de subventions ou encore contre les dépenses sociales qui,
comme cela a été le cas au Venezuela, ont tout de même contribué à sortir des
millions de personnes de la pauvreté. Et, le danger, c’est que ce discours va
faire mouche auprès des gouvernants surtout si le Fonds monétaire international
(FMI) est appelé à la rescousse pour aider à boucler les fins de mois comme ce
fut le cas en Algérie en 1994.
Dans
un contexte d’abondance financière, les VILAIN auraient pu faire en sorte que
la manne pétrolière serve surtout à l’investissement public, au maintien des
dépenses sociales et à la préparation de l’après-pétrole. Ainsi, l’Algérie
a-t-elle manqué une chance historique en ne se transformant pas en puissance
industrielle spécialisée dans les énergies renouvelables notamment la solaire.
Cela vaut aussi pour l’Iran ou pour le Nigéria, ces deux pays étant confrontés
à d’importants problèmes de pénurie d’électricité. De même, le fait que
l’Algérie n’ait pas profité de ces dix dernières années d’aisance financière pour
créer un fonds souverain, demeure totalement incompréhensible. On ne prépare
pas l’après-pétrole en stockant des Bons du Trésor américain ou, pour le dire
autrement, en permettant à l’Amérique de continuer à vivre au dessus de ses
moyens.
En bref,
la réforme au temps du pétrole cher aurait dû signifier le renforcement de
l’Etat-providence pour les plus démunis avec, en parallèle, des mesures réelles
de diversification de l’économie (c’est là, par exemple, que la libéralisation
des législations aurait été justifiée notamment en matière de création d’entreprise).
Au lieu de cela, les VILAIN (on mettra de côté la Libye qui fait face
actuellement à d’autres problèmes bien plus importants) vont certainement
tailler dans les dépenses sociales et relâcher les rennes de la supervision
économique au profit du sacro-saint marché. On sait sur quoi cela peut
déboucher. Grèves, émeutes, paupérisation, résurgences de mouvements armés. Le
pire est possible et c’est pourquoi on ne peut absolument pas se réjouir de la
baisse des prix du pétrole au prétexte que cela va ouvrir la voie à des
réformes. Certes, il y en aura mais elles risquent d’être mauvaises car ce
genre de retournement de tendance frappe toujours les plus défavorisés et peut
même faire imploser une société entière.
Dans
les mois qui viennent, les dirigeants des pays mono-exportateurs de pétrole
devraient d’abord oublier la certitude qui fonde leur immobilisme, autrement
dit le fait qu’ils sont persuadés que tout est affaire de cycles et que le prix
du baril finira bien par remonter (et qu’en attendant, il s’agit juste de tenir
le coup…). Ensuite, il leur faudrait admettre que libérer l’initiative
économique – en ne la garantissant pas uniquement aux seules clientèles du
pouvoir – est la meilleure manière de créer des richesses et des emplois. Cela
sans pour autant que l’Etat renonce à son rôle de régulateur, d’investisseur,
d’épargnant et de protecteur des plus modestes. L’équation est difficile et sa
résolution ne peut faire l’économie d’une ouverture politique. Mais ceci est
déjà un autre sujet…
(*)
Après les BRIC, les CIVETS et les VILAIN,
Le Quotidien d’Oran, mercredi 15 septembre 2010
1 commentaire:
Passionnant et pertinent article, ici.
Merci Akram.
Avec mes salutations.
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