Le
Quotidien d’Oran, jeudi 29 octobre 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Il
y a dix ans, Zyed et Bouna, deux enfants, mourraient électrocutés dans un
transformateur EDF à proximité de la ville de Clichy-sous-Bois en région
parisienne. Les circonstances de ce drame qui a provoqué plusieurs semaines d’émeutes
dans toute la France sont connues dans leurs grandes lignes. Des jeunes jouent
au football et rentrent chez eux pour la rupture du jeûne (c’était alors le
ramadan). Des policiers les coursent. Une fuite comme il s’en déroule souvent.
Comme il s’en passe encore aujourd’hui. Ces gamins n’avaient rien fait, rien
volé, rien cassé, rien outragé. Ils n’avaient commis aucun délit. Ils avaient
juste peur d’être contrôlés et de devoir passer plusieurs heures au
commissariat.
Il
est difficile de lutter contre l’amertume qu’engendre le souvenir d’octobre et
novembre 2005. Symbole parmi les symboles, on sait que la justice française a décidé
au printemps dernier de ne pas condamner les policiers accusés de
non-assistance à personne en danger. Certes, l’affaire, qui a mis dix ans à être
jugée ( !), est en appel mais comment ne pas échapper à ce sentiment de
malaise, à cette sensation que la mémoire des deux victimes n’a jamais cessé d’être
outragée. On se souvient que le ministre de l’intérieur de l’époque, un certain
Nicolas Sarkozy, avait pris quelques libertés avec la vérité en affirmant qu’il
n’y avait pas eu de course-poursuite puis en expliquant qu’un vol avait été
commis dans un proche chantier comme si cela justifiait le reste. On réalise
ainsi que cette affaire a toujours subi un déni officiel et cela mine les
familles des deux victimes même si elles font preuve d’une grande dignité.
On
se souvient aussi du climat lourd qui avait précédé les émeutes notamment après
les déclarations du même Sarkozy, candidat presque déclaré à l’élection présidentielle
de 2007, qualifiant la jeunesse des cités de « racaille » et
affirmant que la banlieue devait être nettoyée « au karcher ». Dans
un tel contexte, le choc des émeutes ne pouvait qu’être violent et il le fut.
On pensait qu’il allait être salutaire, il n’en fut rien. Les élites françaises,
notamment politiques, ne se sont pas réveillées. Elles n’ont pas compris que l’avenir
de la France et de sa cohésion sociale se jouait aussi dans les banlieues. Bien
sûr, il y a une pile de chiffres et de statistiques pour affirmer le contraire.
La politique de la ville, les tours détruites, les façades ravalées, on connaît
la chanson. Mais on passe sous silence les nouvelles constructions aux loyers
trop élevés et surtout cette persistance multiple. Persistance du chômage,
persistance des difficultés de transport, persistance des contrôles au faciès,
contrôles susceptibles d’être répétés plusieurs fois par jour, tutoiement désobligeant
en prime.
Des
promesses de changement, il y en a pourtant eu. Les émeutes de 2005 ont provoqué
des débats sur la diversité. On a vu apparaître ou réapparaître des expressions
comme « minorités visibles », « mixité sociale », « statistiques
ethniques », « cv anonymes » et même « discrimination
positive ». Le sort des jeunes diplômés issus des quartiers et incapables
de trouver ne serait-ce qu’un stage en entreprise a été maintes fois évoqué. Quelques
institutions éducatives, à l’image de Sciences-Po Paris, ont pris des mesures
courageuses pour s’ouvrir à des jeunes qui en étaient exclus faute d’acquis et
de bagages et culturels ou même faute de savoir que ces établissements
existaient.
Mais
l’élan s’est vite brisé et ce qui aurait dû constituer un grand projet national
s’est dilué dans les effets d’annonce, la désinvolture et les calculs électoraux
à court terme. L’idée qu’il existe en banlieue des forces vives capables de
dynamiser la France, son économie comme sa société mais qu’elles sont reléguées
et inexploitées n’est même plus discutée. Pire, elle est balayée d’une main par
une partie de la classe politique qui ne voit dans les cités que des terrains
propices à l’insécurité, au communautarisme, au djihadisme (la fameuse « cinquième
colonne » chère à Christian Estrosi) et à l’économie souterraine.
A
bien y regarder de près, on réalise, et cela a été écrit à plusieurs reprises
dans cette chronique, que les seuls « gagnants » après les émeutes de
2005 sont quelques membres des minorités visibles que les partis politiques se
sont dépêchés de mettre en avant pour se donner bonne conscience. Une aubaine
pour les concernés choisis non pas pour leurs compétences mais uniquement pour
leurs origines ou leur couleur de peau. Soyons plus précis. Les phrases qui précèdent
doivent être réécrites et mises au féminin. En effet, la classe politique française,
la droite comme la gauche, a fait quelques gestes vers les minorités visibles
mais en privilégiant le plus souvent les femmes. Comme Zyed et Bouna, le mâle d’origine
maghrébine ou subsaharienne demeure suspect. Quand la France du pouvoir accepte
de ne plus être monochrome, c’est vers les femmes qu’elle se tourne. Une manière
de ne pas choquer (de rassurer ?) l’électeur qui ne vote pas (encore)
Front national mais qui trouve qu’il y a déjà trop d’étrangers en France…
Dans
la persistance de la monochromie blanche, les médias sont aussi à blâmer.
Certaines rédactions se sont ouvertes et ont fini par comprendre qu’elles se
devaient de ressembler un peu à la société française mais la majorité restent blanches
et bien blanches. Mais ce n’est peut-être pas le plus regrettable. En effet, la
critique vaut surtout pour la manière dont est organisée la mise en scène de l’expertise.
Au cours des derniers jours, on a entendu beaucoup de personnes originaires de
la banlieue s’exprimer à propos des émeutes de 2005 et de leurs conséquences à
ce jour. Saluons donc le fait que l’on soit sorti du stade où les principaux
concernés n’avaient même pas à droit à la parole. Mais le vrai problème, c’est que
sont encore rares, très rares, les Français d’origine maghrébine ou
subsaharienne qui s’expriment sur d’autres sujets que la banlieue, l’islam, le
voile (c’est une catégorie à part), la délinquance, le Proche-Orient ou le
sport. A qui peut-on faire croire qu’il n’existe pas en 2015 de spécialiste d’origine
marocaine ou ivoirienne capable de donner son avis sur la littérature américaine,
la crise grecque ou le projet de traité de libre-échange
entre l’Europe et les Etats-Unis ? A leur façon, les médias français
continuent eux aussi de pratiquer une ségrégation qui ne fait que renforcer les
préjugés à l’égard des minorités dites visibles.
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1 commentaire:
Merci.
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