Le Quotidien d’Oran, 19 novembre 2015
Akram
Belkaïd, Paris
A
première vue, la mise en place c’une grande et unique coalition internationale
contre le groupe Etat islamique (EI ou Daech) est une décision qui s’impose.
Semant la mort un peu partout y compris au Maghreb et en France, minant
l’intégralité territoriale de l’Irak et de la Syrie, multipliant les actes de
sauvagerie et d’abomination, cette organisation criminelle et terroriste doit effectivement
être mise hors d’état de nuire. Une fois énoncée cette urgence, il convient de
s’attarder sur la faisabilité de cet objectif stratégique pour la paix au
Proche-Orient.
D’abord,
ce constat. Ni l’armée syrienne, ni l’armée irakienne ne sont capables de
vaincre Daech. On sait que la première, du moins ce qu’il en reste, évite
soigneusement de se confronter avec le groupe Etat islamique, préférant montrer
son savoir-faire dans le bombardement des populations civiles. De son côté, la
seconde restera dans les annales de l’histoire militaire après sa honteuse débâcle
de l’été 2014 où, non seulement elle a fuit face aux troupes de Daech – en
abandonnant la population de Mossoul à son sort – mais où elle a aussi laissé
des tonnes d’armements lourds et légers. Cela veut dire qu’envoyer une énième
cohorte de conseillers et de formateurs pour aider ces armées ne servira à
rien. A ce jour, seuls les Kurdes et quelques groupes armés de l’opposition
syrienne se battent au sol contre l’EI. Cela peut suffire à contenir ses
troupes mais cela ne peut mener à sa défaite.
Il
faudra donc, tôt ou tard, l’intervention d’une tierce armée sur le champ de
bataille. Question, quelle sera cette armée ? Quel est le pays qui est
prêt à engager ses troupes dans une bataille qui sera tout sauf une promenade
de santé ? Ni le Liban ni la Jordanie ne sont capable de le faire car
leurs armées sont trop faibles. De son
côté, l’Egypte a fort à faire chez elle sachant que ses dirigeants ont encore
en mémoire le souvenir très mitigé de l’intervention militaire égyptienne au
Yémen pendant les années 1960. L’Iran, dont les gardiens de la révolution
participent déjà aux combats en soutien à l’armée de Bachar al-Assad, a les
moyens de vaincre militairement Daech. Mais rien ne dit que les autres
puissances régionales accepteront son implication. La Turquie et l’Arabie
Saoudite (et Israël) ne peuvent voir celui qu’il considère comme leur ennemi
direct prendre autant d’importance.
La
Turquie, elle, a aussi la capacité militaire de détruire Daech. Encore
faudrait-il que ses dirigeants le veuillent. Ce n’est un secret pour personne,
Ankara a joué avec le feu en laissant passer sur son sol les djihadistes et les
recrues de l’EI. Elle n’est jamais intervenue militairement, y compris après
les récents attentats commis sur son sol, contre une organisation qui entend pourtant
instaurer le Califat et qui ne cesse de qualifier le président Tayyip Recep
Erdogan d’ennemi à la solde de l’Otan et des Américains. Cette neutralité
alimente soupçons et critiques. Certes, elle peut s’expliquer par le fait que
les autorités turques craignent l’apparition d’un phénomène djihadiste sur leur
sol. Mais il est impossible de nier qu’il existait, jusqu’à il y a plusieurs
mois, un pacte de non-agression plus ou moins implicite.
Reste
enfin l’Arabie saoudite dont la préoccupation majeure semble être aujourd’hui
de continuer à bombarder le Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la planète
et dont le triste sort ne semble émouvoir personne. Et quand on voit l’incapacité
saoudienne à réduire la rébellion houthiste on est en droit de se demander si
son intervention éventuelle contre l’EI servirait à quelque chose. A cela
s’ajoute le fait que Riyad, qui reste obnubilé par le danger iranien, s’est
toujours gardé de critiquer ouvertement cette organisation qui a d’ailleurs
bénéficié de financements en provenance des pays du Golfe. On sait que les deux
parties partagent la même vision d’un islam rigoriste et qu’il n’y a guère de
différences entre elles dans la conception de la justice, du sort des femmes.
Il
faudra donc beaucoup d’efforts et de tractations pour que les trois puissances
régionales que sont l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie, se joignent à une
coalition contre l’EI. Et il en faudra encore plus pour les persuader de mener
cette action militaire seuls, sans l’apport de troupes occidentales. C’est bien
connu, à Paris comme à Washington, le discours est le même : pas question
d’envoyer des troupes au sol car c’est aux pays de la région d’intervenir.
En
réalité, personne n’est dupe. N’importe quel observateur de ce qui se déroule
en Syrie sait qu’il faudra tôt ou tard une intervention occidentale terrestre voire
russo-occidentale pour défaire le « Califat de Raqqa ». Et là aussi les obstacles sont nombreux pour
mettre en place une telle coalition. Quid du régime de Bachar al-Assad ?
Les Occidentaux, adeptes du fameux « ni-ni » (ni-Assad, ni-Daech)
veulent son départ, les Russes le refusent. Les négociations en cours à Vienne
tentent de lever ce blocage mais on devine que toute intervention militaire
contre l’EI est vouée à l’échec si d’aventure rien n’est préparé pour la suite
sur le plan politique.
Enfin,
il est évident que la chute, encore très hypothétique du groupe Etat islamique
– lequel dispose d’importantes ressources financières, on doit aussi le
rappeler - ne résoudra aucun des problèmes liés au djihadisme et à la
radicalisation de la jeunesse musulmane où qu’elle soit. Mais ceci est déjà un
autre problème.
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