Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 décembre 2015
Akram Belkaïd, Paris
Faisons un pari et imaginons ce que seront les titres de la presse française
dans dix-sept mois, c’est à dire au printemps 2017. Ce genre d’exercice est
toujours risqué et il est fort possible que l’on se couvre de ridicule (à
condition, tout de même, qu’un lecteur impitoyable se souvienne de l’écrit et
le diffuse en temps voulu sur les réseaux sociaux…). Mais à dire vrai, il y a de fortes chances pour que le sujet
principal des médias soit l’élection présidentielle. Et avec elle, le score,
non, pardon, le gros score, non pardon encore, l’énorme score que peut réaliser
Marine Le Pen au premier tour de ce scrutin. Car c’est là le seul enseignement à
tirer du résultat des élections régionales de ces deux derniers dimanches.
Certes, on peut gloser sans fin sur la « réaction républicaine »
des électeurs de gauche qui ont voté pour la droite afin de faire barrage au
Front national (donner sa voix au « motocrate » Estrosi, vous
imaginez ?). On peut aussi rappeler que Nicolas Sarkozy, fidèle à ce qu’il
est, n’a eu que faire de ce « front républicain » et que la seule
chose qui lui importe c’est de gagner en 2017. Et cela quitte à suivre la même
stratégie qu’en 2007, c’est-à-dire s’extrême-droitiser pour piquer ses électeurs
aux FN (il lui faudra trouver autre chose que la création d’un ministère de l’identité
nationale...).
Mais, la vraie information de ce scrutin, celle que l’on tire de l’analyse
des suffrages et de la manière dont ils évoluent depuis bientôt quinze ans, c’est
que Marine Le Pen a désormais de fortes chance d’être non seulement qualifiée
pour le second tour de l’élection présidentielle mais aussi d’arriver en tête
des suffrages au premier round. En clair, elle ferait mieux que son père en
2002 (16,86% des voix contre 19,88% pour Jacques Chirac et 16,18% pour Lionel
Jospin dont on est sans nouvelles depuis). La question est donc, qui sera l’heureux
adversaire de la fille. Pourquoi heureux ? Tout simplement parce qu’il
sera élu à coup sûr grâce au fameux « sursaut républicain ».
Marine Le Pen au second tour, ce sera encore « le choc », « la
terrible sentence des urnes », la « nécessité de l’union face à
la catastrophe », autant de phrases entendues au soir du premier tour des
régionales et que l’on resservira à satiété à l’électeur désemparé. Le « sursaut
républicain » donc… Comme en 2002, les électeurs de gauche voteront pour
un candidat de droite au second tour s’il est face à Le Pen. Et si c’est un
candidat de gauche qui est dans cette position, les électeurs de droite seront
certainement moins nombreux à lui donner leur voix mais cela suffira à faire
barrage au FN. Et tout le monde poussera un ouf de soulagement en attendant la
prochaine catastrophe et en ne faisant pas grand-chose pour l’éviter.
Car il faut bien comprendre que l’unique préoccupation de la classe
politique, toutes couleurs confondues, est désormais la présidentielle. Tout va
tendre vers cet objectif. Les déclarations, les propositions, les contre-propositions,
les initiatives, les déclarations, les petites phrases et autres bons mots (ou
supposés tels), tout cela devra être décodé sous le prisme du premier tour. Les
grandes manœuvres ont déjà commencé. Les Verts disent qu’ils veulent bien s’allier
aux socialistes (pour quitter ensuite le pouvoir quand, une fois élus, ces mêmes
socialistes leur montreront qu’ils sont les seuls maîtres à bord…). La droite
et le centre jouent la partition du vieux couple qui en a vu d’autres et que
rien ne saurait diviser… Quant à Nicolas Sarkozy, il veut flinguer ses
opposants internes avant des primaires qui, dit-on, l’inquiètent beaucoup.
Si Marine Le Pen est quasiment assurée de passer le premier tour, c’est
parce que le personnel politique français n’est guère à la hauteur des enjeux
et que son horizon ne dépasse pas la réélection de François Hollande, pour les
uns et la victoire de la droite pour les autres (on notera bien que ce n’est
pas, ou que ce n’est plus, la revanche de Sarkozy qui compte). Comme l’ont
montré les régionales, la hausse du Front national rend finalement service aux
socialistes car cela affaiblit la droite dite modérée. Au-delà des déclarations
et promesses bien gentilles à propos de la lutte contre le chômage (pourquoi
avoir attendu autant de temps ?) c’est donc la préservation de ce cocktail
instable qui va façonner (figer ?) la politique gouvernementale. Pas de
vraies mesures de gauche, pas de relance budgétaire, pas de politique de la
demande, pas de lutte réelle (et non déclamatoire) contre les inégalités sociales
et les discriminations : pour Hollande et Valls (bien obligé de suivre même
s’il pense déjà à 2022), il s’agit de laisser l’eau frémissante à la même température.
On ne modifie pas une recette qui rapporte.
Le problème dans l’affaire, c’est que le plus important de tout ça ce n’est
ni le premier ni le second tour de l’élection présidentielle de 2017. Le danger
et ce qui demeure incertain, c’est le score que réaliseront les candidats
frontistes aux législatives qui suivront quelques semaines plus tard. Voilà la
vraie rupture. Combien seront-ils à entrer au Palais Bourbon ? Deux, comme
en 2012 ? Ou bien alors une soixantaine comme l’avancent déjà certains
commentateurs ou bien encore plus d’une centaine selon des projections qui
circulent dans les salles de rédaction parisiennes ? Cent députés pour le
FN, ce n’est certes pas le pouvoir mais c’est une minorité de blocage qui
risque de faire beaucoup de dégâts et d’influer sur nombre de lois. Tic-tac, le
compte à rebours pour 2017 a commencé…
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1 commentaire:
Le sursaut républicain n'est pas assuré . Si la classe politique ne se renouvelle pas en France mais réellement pas des élites qui sortent des mêmes écoles droite ou gauche, nous allons à la catastrophe
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