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Le
Quotidien d’Oran, jeudi 7 janvier 2016
Akram
Belkaïd, Paris
Il est
impossible, ces derniers temps, d’échapper au « débat » concernant
les intentions du gouvernement français en matière de déchéance de nationalité
pour les auteurs d’actes terroristes (débat polémique bien utile pour faire
oublier le reste…). Dans un premier temps, le président François Hollande,
marqué de près par son Premier ministre Manuel Valls, envisageait de
restreindre cette mesure aux seuls binationaux au prétexte (fallacieux) que la
France ne saurait créer des apatrides et cela eu égard à ses engagements
internationaux.
On
connaît le tollé que ce projet a déclenché au sein de la gauche ainsi que
l’émotion qu’il a provoqué au sein des communautés d’origine étrangère et plus
particulièrement maghrébine. Commençons d’ailleurs par une précision
fondamentale. Etre contre le fait que cette mesure ne vise que les terroristes
binationaux, comprendre les franco-maghrébins ou les franco-sahéliens car c’est
bien de ces deux catégories qu’il s’agit, ne signifie en aucun cas que l’on
fasse preuve de la moindre indulgence ou compréhension à l’égard du terrorisme.
C’est simplement une question de principe. Car, de deux choses l’une, soit la
France continue d’affirmer que ses citoyens sont tous égaux en droits et
devoirs soit elle entérine l’idée qu’il existe au moins deux sinon plusieurs
catégories de citoyenneté.
On sait
que la bataille de l’intégration n’est pas simple à mener. Pour diverses
raisons, la marginalisation sociale n’étant pas la moindre, des pans entiers de
la population ont déjà du mal à se considérer comme français (et une récente
enquête de l’Ined vient de montrer l’ampleur de la discrimination qu’ils
subissent). Comment alors « faire nation » si l’on explique demain à
un jeune franco-algérien que ses amis français « de souche » seraient
moins punis que lui s’ils venaient à basculer dans le terrorisme puisqu’ils
conserveraient leur nationalité ? Qu’est-ce donc que cet égalité entre
citoyens si elle ne répond pas à l’exigence suivante : même devoirs, mêmes
droits et, en cas de crime, même peine ? Comment faire en sorte que l’idée
d’une différence de statut, laquelle serait institutionnalisée, ne soit pas
intériorisée par une jeunesse en proie à de nombreux doutes identitaires ?
Il est
des pays où la règle du jeu est claire. Dans les monarchies du Golfe, la
naturalisation est un fait rare et la notion d’intégration de populations d’origine
étrangère n’existe pas. Indiens, Pakistanais, Syriens, Egyptiens, Palestiniens
ou Tunisiens savent qu’ils n’obtiendront jamais la nationalité du pays qu’ils
bâtissent et dans lequel ils sont parfois installés depuis deux ou trois
générations. Il arrive qu’elle soit tout de même accordée à quelques rares élus
mais ces derniers n’ignorent pas qu’elle restera toujours en suspens, étant
susceptible d’être retirée à tout moment notamment pour des raisons politiques.
Naturalisé saoudien ou émirati, un syrien sait par exemple qu’il doit filer
doux – comme ne pas se mêler de politique - pour ne pas être renvoyé dans son
pays d’origine…
La
France s’enorgueillit d’être aux antipodes de ces systèmes censitaires et ségrégationnistes.
Mais concevoir une peine réservée à une partie bien précise de sa population,
et cela quelle que soit la gravité du crime commis, n’est pas digne d’elle.
C’est aussi créer un dangereux précédent. Aujourd’hui, c’est la déchéance de
nationalité pour les binationaux auteurs d’un crime terroriste. Et
demain ? La peine de mort ? Et puisque l’on est dans cette logique,
pourquoi ne pas d’ores et déjà appliquer des peines différenciées selon les
origines ?
En
réalité, ce projet d’exclusion en dit long sur un impensé post-colonial qui
déshonore l’éthique républicaine. Car, ce qui le fonde, c’est qu’aux
originaires du sud ou de l’est de la Méditerranée, il est implicitement signifié
que la nationalité française est un privilège qui leur a été octroyé. Et que ce
privilège doit se mériter d’une génération à l’autre comme si les compteurs
étaient à chaque fois remis à zéro. Il
faut bien écouter les déclarations politiques des partisans de ce projet. Ce
qui se dessine en arrière-plan de leurs discours, c’est une exigence
d’exemplarité voire de reconnaissance et de gratitude. Ce n’est pas « vous
êtes français, vous êtes comme tout le monde ». Non, c’est « vous
êtes français, continuez à le mériter sinon… »
A cela
s’ajoute un autre non-dit, très présent au sein de la droite mais que l’on
retrouve aussi à gauche, notamment au sein du parti dit socialiste. Le point de
départ, c’est le fait que cette population d’origine étrangère soit française,
notamment grâce au droit du sol. Le présent chroniqueur peut en témoigner :
rappeler que Merah ou les frères Kouachi étaient d’abord des ressortissants
français et que, finalement, c’est la France et non pas l’Algérie (laquelle a
refusé d’accueillir la sépulture du premier, une sorte de déchéance
post-mortem), qui en a fait ce qu’ils sont devenus, fait grincer des dents et
provoque parfois ce cri du cœur : « ils n’auraient jamais dû être
français ». Que des musulmans, des arabes ou des noirs soient français,
c’est finalement cela qui continue de poser problème. On croyait cette question
dépassée, on ne fait qu’y revenir en raison notamment de l’actualité.
En 2017,
le président François Hollande qui avait promis le droit de vote aux étrangers
paiera certainement le prix électoral de cette concession (ou de cet emprunt) à
la droite et à l’extrême-droite (pour le Front national, ce projet n’est qu’un
premier pas vers d’autres motifs de déchéance de nationalité). Cela explique
pourquoi quelques options ont été esquissées ici et là, notamment la
généralisation du retrait de nationalité à tous les auteurs de crimes
terroristes, qu’ils soient ou non binationaux. En effet, on a enfin demandé
leur avis à des juristes qui ont rappelé que la France n’a ratifié aucun des
textes qui l’empêcheraient de le faire (il est intéressant de noter que plusieurs
voix se sont fait entendre à droite pour critiquer un projet qui leur
paraissait acceptable tant qu’il ne concernait que les seuls binationaux…).
Une
odeur d’œuf pourri règne actuellement au sein de la classe politique française.
Les apprenti-sorciers s’en donnent à cœur joie et les expérimentations
législatives qui se profilent – y compris en matière de sécurité – n’incitent
guère à l’optimisme.
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