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Le
Quotidien d’Oran, jeudi 24 décembre 2015
Akram
Belkaïd, Paris
Voilà
un livre à mettre en toutes les mains en ces temps difficiles et incertains
(*). Cela se passe au milieu des années 1990. Omar Benlaala est un jeune parisien
aux marges de la délinquance. Sa scolarité est un échec, il traîne avec ses
amis du quartier et ne sait guère quoi faire de sa vie. Comme nombre d’entre
eux, son avenir semble tout tracé : prison ou hôpital pour toxicomanes ou
encore cimetière. Un jour, un ami lui propose de l’accompagner dans une mosquée
des hauteurs de la capitale française. «
Il y a du thé et des cacahuètes » lui dit-il en guise d’argument définitif.
Omar est convaincu, il va suivre le mouvement.
Premier
contact, donc, avec la mosquée. Et là, déjà, face aux gens agglutinés autour de
la théière, une certaine fascination pour l’apparence : « sur une dizaines de convives, la moitié porte la barbe et l’habit ‘’musulman’’
- un mixte entre la tunique héritée de l’arrière-pays pakistanais et la robe de
l’homme d’affaires saoudien : ça en jette bien plus que ma dégaine mille fois
vue et revue. L’image de Satan Petit Cœur me vient immédiatement à l’esprit. Ce
personnage de Dragon Ball – dessin animé culte pour ma génération – m’a
ensorcelé au point de devenir l’une des causes de ma précoce déscolarisation ».
C’est
d’ailleurs ce personnage qui va inspirer Omar quand il va commander « sa »
tenue de bon croyant. Lui qui, quelques semaines plus tôt usait et abusait des
substances interdites. Lui qui ne parle presque pas l’arabe, qui connaît à
peine les premiers versets du Coran – il s’entraîne ferme pour mémoriser la
Fatiha – le voilà paré de l’habit qui lui permet d’afficher sa réislamisation
car c’est bien de cela qu’il s’agit. Autre extrait : « L’adaptation aux normes musulmanes de virilité se fait sans heurt :
le turban vaut bien la casquette, et quel plaisir de glisser un bâton de khôl
entre les paupières avant chaque promenade ! (…) Sur la route, regards stupéfaits
et mines pantoises. Si, à l’heure où j’écris, les barbus en tenue
traditionnelle sont légion à Ménilmontant, au début des années 1990, ils étaient
aussi rares que la naissance d’une étoile dans le ciel de Paris. Moi, le
boutonneux de service, je devenais celui dont on parle, que l’on regarde, et j’adore
ça. Je teste, bien avant l’émergence des réseaux sociaux, l’effet pervers du
commentaire. »
En
lisant ces lignes, il est impossible de ne pas penser à toute cette jeunesse
française de culture ou de confession musulmanes dont l’affirmation identitaire
passe par l’habit. Qamis et barbes pour les uns, hidjab voire plus pour les
unes. Il y a quelques jours, dans une station de métro située dans les beaux
quartiers de l’ouest parisien, cinq ou six jeunes filles voilées sont montées
dans la rame. Silence gêné, regards inquiets ou hostiles les ont accueillies.
Une fausse indifférence, crispée, aussi. Elles en avaient conscience. Certaines
en rajoutaient dans le bruit et l’agitation. D’autres faisaient mine de ne pas
s’en émouvoir mais leurs regards en coin les trahissaient. « Ce ne sont que des adolescentes mais la plupart des gens ne le voient
pas. Ils se persuadent d’autre chose », m’a dit le confrère qui m’accompagnait.
Votant à la gauche de la gauche, islamophile et militant anticolonial de longue
date, il m’a avoué qu’il a mis longtemps à accepter la vision quotidienne du
voile. Je n’ai pas eu besoin qu’il me dise cela pour être convaincu que cette
affaire est loin d’être terminée et que le hidjab – ne parlons même pas du
reste – va continuer d’entretenir les (mauvaises) passions à l’image de ces
pauvres types qui, à Paris, ont agressé Latifa Ibn Zyaten, la mère de l’une des
victimes de Merah parce que, justement, elle porte le voile.
Omar
Benlaala a continué son apprentissage religieux. Il a mémorisé de nombreuses
sourates. Il a maîtrisé la langue arabe. Avec ses camarades prosélytes, il a
sillonné la région parisienne, se déplaçant de mosquées en salles de prières.
Puis, est venu le temps des voyages initiatiques à travers le monde. Le
Pakistan, l’Inde… D’autres pays musulmans. Dans ce périple, Omar a eu de la
chance. L’hydre djihadiste ne l’a pas capturé. Sa quête identitaire et
religieuse l’a mené plus vers les champs de la spiritualité. Puis ce fut le
retour à Paris et cette étrange combinaison : la barbe, toujours et encore,
autrement dit la persistance d’un lien avec le religieux, et… la défonce sur
les pistes de danse. On lit cela étonné. On relit. On se souvient des textes de
Fanon ou de Werth à propos de la danse, de son caractère exutoire, de ce qu’elle
dit des violences refoulées.
La
quête d’Omar l’a conduit vers l’apaisement et une pratique spirituelle plus
sereine. Tout cela est écrit avec talent et simplicité. Les mots choisis sont
justes, l’humour y est souvent présent sans pour autant que l’auteur ne tombe
dans le piège du style « wech-wech ». De temps à autre, des institutions
publiques font appel à Omar Benlaala pour qu’il raconte son parcours aux jeunes
des quartiers populaires. Il accepte de bon cœur, conscient des enjeux de notre
époque. On lui souhaite bonne route, on attend de le lire encore – il recueille
actuellement la parole et les souvenirs de ses parents immigrés algériens – et
le seul conseil que l’on puisse se permettre de lui adresser est de se méfier
des médias obnubilés par le djihadisme qui sévit en France, faune toujours à la
recherche d’un « bon musulman » utilisable à souhait pour donner du crédit au
discours islamophobe.
(*)
La barbe, Omar Benlaala, Seuil, coll.
Raconter la vie, 101 pages, 7,90 euros (voir aussi le site raconterlavie.fr).
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1 commentaire:
Belle chronique, lucide et mesurée, loin des clichés manichéens dont on nous abreuve .
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