Le Quotidien d’Oran, jeudi 13 octobre 2016
Akram Belkaïd, Paris
Allons enfants de la gauche, pour Alain
Juppé, aux primaires de la droite, il nous faut absolument voter ! Voici,
en forçant (juste) un peu le trait, le mot d’ordre tel qu’il circule en ce
moment à gauche. Enfin, pas dans toute la gauche mais chez beaucoup de gens de
gauche parmi lesquels les ineffables bobos-écolos-véganos-vélos. La motivation
d’un tel acte, contre nature, écrivons-le tout de suite, réside dans la volonté
de faire barrage à Nicolas Sarkozy qui, on ne peut l’ignorer, entend reprendre
son ancien bureau au Palais de l’Elysée au mois de mai prochain. Calcul
simple : on vote pour Juppé aux primaires de la droite pour stopper l’hargneux
et inconséquent revanchard. Et ensuite ? Ensuite, on… Bah, ensuite, on
verra…
Les vétérans de cette chronique peuvent
témoigner de l’aversion que son auteur porte à Nicolas Sarkozy. Elle ne date
pas d’hier. Elle l’a porté à se colleter avec certains de ses amis (lesquels
font partie des lecteurs de la première heure, coucou Karim !) qui
pensaient que ministre de l’intérieur en 2005 avait la carrure présidentielle pour
changer la France et la réveiller de son long sommeil entamé dès le deuxième
mandat de François Mitterrand (le désormais épistolier célébré sans décence
aucune par le tout-Paris germanopratin). On sait ce qu’il advint et il est
inutile de revenir sur les péripéties hexagonales de 2007 à 2012.
Certes, assister à la réélection de celui
dont on sait aujourd’hui qu’il n’a ni principes ni scrupules (citons simplement
l’invraisemblable histoire des fausses factures destinées à masquer le
dépassement de ses dépenses de campagne) est susceptible d’endolorir nombre de
fondements mais, soyons sérieux. Voter Juppé ? Au nom de quelle éthique
politique ? Un matin, on ne cesse de regretter la confusion des programmes
politiques, la convergence néolibérale entre parti socialiste et ex-UMP et il
faudrait ensuite participer aux primaires de « les républicains » (ah
que c’est moche, quand c’est écrit ainsi) au nom d’une combinazione politique ?
Passons sur l’obligation de lâcher deux euros
par tour de scrutin (20 et 27 novembre), il faudra signer un papier où il est
écrit, noir sur blanc, la mention suivante : « Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre
et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la
France ». En clair, on devra se parjurer pour la « bonne cause ».
Parce que signer ce papelard équivaudra à dire : Je ne suis pas de droite
mais je vote aux primaires de la droite pour choisir son candidat dont, en tant
que partisan de la gauche, je souhaiterai tout de même la défaite à la
présidentielle. Chouiya tordu comme
raisonnement, non ? Reconnaissons néanmoins qu’il existe un débat byzantin
autour de la phrase qui vient d’être citée. Nombre de celles et ceux (de
gauche) qui vont voter Juppé aux primaires LR insistent, pour se justifier et
s’amender, sur les termes « valeurs républicaines ». Autrement dit,
pour eux, il ne s’agit pas d’affirmer que l’on partage « toutes » les
valeurs de la droite (et du centre… dont on se demande pourquoi il est cité
ici, mais passons) mais juste les dites républicaines…
On m’explique ainsi que ces valeurs
républicaines sont le socle commun à la droite et à la gauche. Je vous demande
pardon ? Ah oui, je corrige : disons donc, le socle commun à la
droite, à la gauche et… au centre. Admettons de bon cœur que cette intersection
existe. Mais cela signifierait que la primaire de la droite (et du centre) n’est
organisée que pour désigner le candidat le plus républicain de cette honorable
famille politique. Ce n’est pourtant pas ce que disent les programmes des uns
et des autres. C’est une compétition pour désigner le candidat de la droite (et
du centre), un point c’est tout. Le Juppé qui, en 1995, a voulu réformer les
régimes spéciaux des retraites est le même que celui de 2016, quelques zestes
d’écologie en plus. On peut respecter l’homme, lui reconnaître une belle
réussite dans la métamorphose de la ville de Bordeaux dont il est le maire mais
cela ne justifie pas que l’on prenne des libertés avec l’éthique et la morale.
En clair, aux gens de droite (et du centre), et à eux seuls, les primaires de
la droite (et du centre).
Il faut néanmoins saluer l’exploit de celui
ou celle qui a conçu cette phrase. L’insertion de la mention « valeurs
républicaines » est une belle trouvaille pour attirer et balayer les
scrupules des électeurs de gauche et il semble que les sarkozystes n’ont pas vu
le piège. On peut aussi se permettre quelques considérations moqueuses à propos
de la deuxième partie de la phrase. « Je m’engage pour
l’alternance… ». De quelle alternance parle-t-on ? Considérant que la
France est actuellement dirigée par un président de centre-gauche (soyons
indulgents), cela signifie donc que l’on souhaite l’élection d’un président de
droite parce que, disons-le tout de suite, aucun des candidats à la primaire LR
ne peut être considéré comme de centre-droit, Juppé compris. En réalité, s’il y
a bien une constante dans la politique française, c’est que la droite reste la
droite et que les gens de gauche qui viendraient se mêler à ses affaires
risquent de faire beaucoup de tort à la démocratie.
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1 commentaire:
L'art de clarifier un raisonnement tordu... Jean Claude Michea, a déjà écrit sur la fausse alternance, et l'alibi républicain sur le Comptoir https://comptoir.org/2016/02/24/jean-claude-michea-ceux-den-bas-apparaissent-de-moins-en-moins-sensibles-a-lalternance-unique-2/
Merci
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