Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 octobre 2017
Akram Belkaïd, Paris
Dans la structure complexe, et parfois opaque, des
institutions algériennes, la diplomatie occupe depuis longtemps une place à
part et, pouvait-on dire jusqu’il y a peu, une place de choix. Déjà, durant la
Guerre d’indépendance, ce fut l’un des principaux moteurs de la Révolution,
peut-être même le plus efficace en raison de sa capacité à internationaliser la
cause algérienne et à mobiliser des soutiens conséquents sur tous les
continents. Par la suite, elle fut à la hauteur de l’ambition de faire de l’Algérie
un acteur autonome et singulier sur la scène internationale. Au-delà de ses
compétences, ce corps de métier avait l’obsession de se distancier à tout prix
des passions populaires et de veiller à véhiculer la meilleure image possible
du pays. Une volonté, parfois exagérée, de garder la tête froide dans les
moments les plus chauds et, surtout, de ne pas céder à notre inclinaison
berbéro-arabo-méditerranéenne (l’Afrique subsaharienne, elle n’a rien à voir
avec cela) de donner libre-cours à un tempérament impétueux où l’invective et
le gnon prennent le pas sur la raison et le dialogue.
Autrement dit, ce qui a longtemps caractérisé cette
diplomatie, c’est une retenue, certes parfois sourcilleuse mais toujours sobre.
Un souci évident de faire sérieux, sévère, limite revêche, et d’être toujours
prompt à chapitrer l’agité qui userait d’un langage trop direct ou susceptible
de paraître inconvenant. Cette ligne de conduite a façonné la fameuse période d’âge d’or de la diplomatie algérienne
(1962-1981 *) auquel les temps actuels, et ce qu’ils génèrent comme accablement
et nostalgie pour un passé magnifié, ne cessent de nous renvoyer.
Il est vrai que lorsqu’on agit pour faire du pays l’un des
leaders du tiers-monde ou que l’on promeut un nouvel ordre économique international,
on peut user d’une « diplomatie à arêtes vives » mais l’on ne s’abaisse pas à
insulter telle ou telle nation. Reste que les temps changent, les ambitions
internationales de l’Algérie ont été révisées à leur niveau le plus
insignifiant et s’en prendre de manière triviale à nos voisins est ce que vient
de commettre Abdelkader Messahel, le ministre des Affaires étrangères. Prenant
la parole lors de l’université d’été du Forum des chefs d’entreprises (on est
prié de réprimer tout sourire), ce responsable s’est livré à quelques
malencontreuses divagations à propos de l’Egypte, la Libye, la Tunisie et, bien
entendu, le Maroc accusé, entre autres, de blanchir, via ses banques, l’argent
du haschisch en Afrique.
Voilà donc où nous en sommes… La construction maghrébine est
déjà bien mal en point, utopique disent même certains, mais cela ne semble pas
être assez. Pour occuper les deux peuples et les distraire des vrais problèmes
politiques et économiques, faut-il provoquer un conflit entre l’Algérie et le
Maroc ? Car tous les ingrédients sont réunis depuis longtemps mais l’on pensait
que la retenue diplomatique jouerait le rôle de pare-feu. De part et d’autre de
la frontière, il y a des pyromanes qui adorent jeter de l’huile sur le feu (on
notera, que cette fois, ce n’est pas un obscur nervi du Makhzen qui décroche la
palme du propos inconsidéré). Comme partout dans le monde, les réseaux sociaux
sont devenus de formidables caisses de résonnance pour celles et ceux qui
véhiculent les pires discours de division. Et contrairement à ce qui peut
s’écrire ou se dire, le contentieux du Sahara n’explique pas tout.
Au fil des années, les jeunesses algérienne et marocaine ont
été peu à peu conditionnées à se détester, à se défier. On ne leur sert que
l’affrontement comme perspective. D’habitude, le football sert de catalyseur à
ces mauvaises passions mais, dans le cas présent et pour ce qui concerne
l’Algérie, le wanetoutrisme fait très bien son boulot. Ce nationalisme
mortifère enlève toute lucidité et désigne à la vindicte populaire toute
personne appelant à la retenue à l’intelligence et, osons ce mot galvaudé, à la
fraternité.
Algériens et Marocains peuvent perdre leur temps en mettant
en exergue les tares de l’autre. Chacun peut aussi faire preuve de mauvaise foi
en réfutant les (rares) réussites du voisin. Ainsi, que M. Messahel le veuille
ou non, les banques marocaines ont un degré de professionnalisme et de
technicité inexistant en Algérie. Et il est vrai que l’Afrique subsaharienne
est un terrain de croissance pour nombre d’entreprises du royaume, on pense
notamment aux télécoms et à l’immobilier. De même, TangerMed n’est pas une
simple zone-franche où quelques Marocains trouvent un emploi. C’est un beau
pari industriel et logistique ou, du moins, c’est une tentative concrète de
penser une politique économique de développement régional à l’aune du XXIème
siècle.
Mais, à dire vrai, faire un tableau comparatif entre les
deux pays n’est guère utile. Car si l’on prend un peu de hauteur, la bisbille
algéro-marocaine ressemble surtout à une rivalité entre cancres. Sur les
réseaux sociaux, il a été beaucoup été question du classement « Doing business
» de la Banque mondiale où les trois pays maghrébins sont en queue de
classement, l’Algérie étant le pays le moins bien noté. Oublions cette
classification d’essence néolibérale et intéressons-nous à d’autres
considérations. Prenons, par exemple, le classement de 2016 en fonction de
l’Indice de développement humain (Idh). Cet indicateur conçu par le Programme
des Nations Unies pour le développement (PNUD) est basé sur trois éléments
principaux : l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation et le
niveau de vie. Là aussi, en 2016, comme pour les éditions précédentes,
l’Algérie (83°) comme le Maroc (123°) (ou la Tunisie, 97°) ne brillent guère.
Dès lors, on comprend, si besoin est, que c’est la nécessité de faire oublier
cet échec, cette incapacité à améliorer la vie des Algériens (ou des Marocains)
qui explique maintes manœuvres dilatoires et chauvines.
(*) Ardavan Amir-Aslani, «
L’Âge d’or de la diplomatie algérienne », Editions du moment, Paris,
septembre 2015, 237 pages, 19,95 euros.
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1 commentaire:
Renvoyer le Maroc et l'Algérie dos à dos et rappeler à cette dernière ce que pourrait être une politique étrangère sensée en s'appuyant sur le passé pas si lointain , voila une chronique salutaire
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