Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 février 2018
Akram Belkaïd, Paris
Grand bruit pour cette affaire et moult commentaires salaces…
Selon le site internet en langue anglaise du quotidien turc Hurriyet Daily
News, S. M., un bijoutier algérien de 67 ans a été hospitalisé puis arrêté par
la police d’Istanbul pour avoir tenté de faire passer, sans la déclarer, la
somme de 144.200 euros dans son canal anal (*). Le magot consistait en des
billets roulés de 500 euros et de 100 euros. Dans l’incapacité de se libérer de
ces liasses, l’infortuné fortuné a atterri aux urgences d’un hôpital privé où
les chirurgiens qui l’ont opéré ont signalé son cas à la police. La justice
turque a décidé la confiscation de l’argent et le bijoutier a pu rentrer en
Algérie.
Selon Hurriyet, ce dernier a expliqué aux policiers que
l’importance de la somme serait due à la nécessité pour lui d’effectuer de gros
achats d’or et de textile pour ses affaires en Algérie. Au-delà des plaisanteries
sans fin que l’on peut faire sur sa déconvenue, on peut d’ores et déjà relever
que la méthode employée rappelle surtout celle de trafiquants de drogue ou de
pierres précieuses. C’est peut-être dû au fait que le procédé de la
« veste marocaine », comprendre une veste dont la doublure intérieure
est entièrement tapissée de billets de banques (méthode des trafiquants de kif
désireux de blanchir leurs euros au Maroc), est désormais facilement détectable
dans la majorité des aéroports.
En réalité, c’est d’abord et surtout pour contrevenir à la
législation algérienne que le bijoutier a usé de ce subterfuge. En effet, cette
dernière interdit sans aucune ambiguïté l’exportation d’une telle somme en
cash. On se souvient d’ailleurs que c’est à cause de l’interpellation de
certains de ses cadres porteurs de valises de liquide que l’empire Khalifa a
commencé à se craqueler. S’il était arrivé à Istanbul avec ses 144 200 euros
dans les poches, notre bijoutier aurait certainement attiré l’attention mais
une simple déclaration lui aurait permis d’être en règle avec la législation
turque. A titre de comparaison, et pour celles et ceux que cela intéresse, un
Algérien qui arrive sur le territoire français n’est obligé de déclarer les
devises qu’il a sur lui que si le montant est supérieur ou égal à 10 000 euros.
Cette histoire est un fait divers emblématique car il dit
beaucoup de choses de la réalité algérienne. Dans d’autres pays du monde, un
commerçant, possédant des euros, ne se serait jamais déplacé avec autant de
liquide pour des achats destinés à alimenter un commerce légal (de l’or pour sa
bijouterie et du textile pour ses magasins, dans le cas présent). La Turquie
est un pays développé sur le plan des infrastructures bancaires et financières.
Que l’on soit sur la côte ou dans l’Anatolie profonde, on peut tout payer par
carte bancaire. Tourisme oblige, il existe partout des distributeurs et des
points de retrait automatique. Mais quelle banque algérienne permet aujourd’hui
à un commerçant de faire ses affaires dans le monde grâce à une simple carte de
crédit ?
On peut estimer que l’importance des montants, la fréquence
de ses achats (évoqués par l’intéressé devant la police turque) peut aussi
justifier l’ouverture d’un crédit documentaire ou d’un simple transfert interbancaire.
Autre question, quelle banque algérienne propose aujourd’hui à ses clients
d’avoir réellement accès (oublions la pub) à un réseau mondial ou, soyons moins
exigeant, régional ? On va s’empresser de dire que c’est la faute à une
législation qui n’a toujours pas été remaniée. Que la réforme bancaire est un
serpent de mer parmi tant d’autres qui hantent le cimetière des projets de
changements structurels du pays. Et c’est vrai. Le wanetoutrisme triomphant peut bien dire ce qu’il veut, l’Algérie
n’est pas un « hub » financier.
On pourra faire tous les discours que l’on souhaite sur la
diversification économique et la nécessité de sortir de la dépendance aux
hydrocarbures, rien ne sera possible sans que banques et législation
financières ne soient sérieusement toilettées. Il ne s’agit pas de décréter le
grand soir néolibéral avec la suppression de toutes les règlementations. Il ne
s’agit pas non plus de plaider pour une convertibilité totale du pauvre dinar.
Mais on peut, par exemple, libéraliser de manière graduelle le marché des
changes à l’intérieur du pays. On peut aussi faire en sorte que les
transactions avec l’étranger, mêmes si elles sont limitées par des seuils, ne
soient pas synonymes de complications permanentes et de nécessité de recourir à
des procédés illégaux.
Beaucoup d’argent en liquide circule en Algérie. Une part
non-négligeable de ces flux est libellée en euros. Dans la majorité des
transactions, l’Etat n’a guère sa part. La régularisation d’un marché gris, que
tout le monde utilise, améliorera les recettes fiscales du pays. Bien sûr, il
est certain que des questions délicates se posent à commencer par celle de
l’origine des fonds et de leur blanchiment. C’est d’ailleurs un mystère. D’où
viennent ces millions d’euros qui circulent dans le marché parallèle ? De
la diaspora ? En partie, oui. Mais le reste ? Clarifier les règles du
jeu pour ce qui est de la monnaie, c’est ouvrir la voie pour assainir
l’économie. C’est ce qu’a fait la (presque) défunte loi sur la monnaie et le
crédit d’il y a déjà trente ans. Il est temps que l’Algérie se dote d’un texte d’un
calibre comparable.
(*) « Algerian jeweler hospitalized in Istanbul after
smuggling 290 banknotes in anal canal », 6 février 2018.
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