Le Quotidien d’Oran, jeudi 19 septembre 2019
Akram Belkaïd, Paris
La nouvelle date de l’élection présidentielle
a donc été fixée au 12 décembre prochain (tiens, décembre, mois d’un lointain
vote de sinistre mémoire…). Des dizaines de milliers d’Algériennes et
d’Algériens ont beau manifester chaque semaine pour dire leur opposition à un
tel scrutin, le régime n’en démord pas. Comme en témoignent les discours
répétés du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, toute autre solution serait,
selon lui, dangereuse pour le pays. On ne va pas ici refaire le énième
plaidoyer pour une période de transition et une réforme profonde des
institutions. Les masques sont tombés depuis longtemps. Nous ne sommes pas dans
une situation de dialogue et de confrontations d’idées. Comme cela toujours été
le cas, le pouvoir a décidé seul et met en musique une stratégie dédiée à faire
accepter son choix fusse par la force et la contrainte.
On nous parle beaucoup de démocratie en ce
moment. Les partisans d’une transition, qu’ils soient ou non jugés membres de
« la horde » ou de « la bande » sont accusés de ne pas la
vouloir pour le pays et de se cacher derrière leurs revendications
« irréalisables » pour maintenir le statu quo. Ah bon ? Voilà un
bien étrange jugement. En fait, le pouvoir n’a jamais craint les contradictions
y compris les plus criantes. Il parle de démocratie et de liberté, mais des
femmes et des hommes sont arrêtés pour leurs opinions (article 36 de la Constitution : La liberté de conscience et la liberté
d'opinion sont inviolables). Certains ont été interpellés avec des méthodes
dignes de la police politique des années 1960 et 1970, cueillis de nuit à leur
domicile ou embarqués dans la rue comme de vulgaires criminels. La méthode
n’est pas innocente. C’est un « message » pour les autres. C’est une
manière d’instiller la peur, de créer le doute pour éroder la détermination de
gens qui ne font rien d’autre que de revendiquer une Algérie nouvelle.
En se gardant de tout sentiment de colère, on
peut observer à loisir toutes les danses du ventre et autres manœuvres de
soumission qui accompagnent l’annonce de la tenue du scrutin présidentiel. Tout
est bon pour nous expliquer que cette élection, fut-elle imparfaite, est la clé
de tous les problèmes. Prenons par exemple les propos de la juriste Fatiha
Benabou. « Si les Algériens ne veulent
pas d’un pouvoir militaire, dit-elle, ils
doivent aller voter pour élire un président civil. La loi électorale a changé
et il ne reste qu’à mettre en place un climat propice pour l’élection d’un
nouveau président avant d’aller vers la révision de la constitution » (1).
On aimerait bien que cette dame qu’on a connue plus mordante à l’égard du
système nous explique ce que signifie l’expression « climat propice ». Est-ce la fin des manifestations du
Hirak ou est-ce la libération des détenus d’opinion ? Mystère.
Le postulat plus ou moins explicite de ce
raisonnement est que l’élection présidentielle sera équitable (on ne rigole
pas, s’il vous plaît !) et qu’il n’y aura pas de candidat privilégié par
le système, ou tout simplement choisi à l’avance par les, ou plutôt
« le » décideur. Nous n’en
sommes qu’aux frémissements mais il ne faut pas être naïf pour noter qu’une
bulle Ali Benflis est en train de naître. Tandis que des courtisans s’agitent
ici et là pour attirer l’attention du chef d’état-major et décrocher le
précieux adoubement, l’ancien directeur de campagne et premier ministre
d’Abdelaziz Bouteflika et désormais président du parti Talai’ el Hourriyet est
déjà en campagne, plaidant, lui aussi, pour la tenue du scrutin afin de sortir
de la crise. Nombre de ses sympathisants commencent d’ailleurs à diffuser des
arguments. Il nous faudrait, selon eux, accepter cette solution imparfaite en
pariant sur l’avenir. Une fois élu, Ali Benflis serait l’homme « de la
rupture » en réformant le système. On le sait, les promesses n’engagent
que celles et ceux qui y croient. Et, encore une fois, le peuple algérien est
appelé à espérer en l’homme providentiel.
Le mythe de l’enfant du sérail qui rénove le
système a la peau dure mais n’est pas Gorbatchev qui veut. Il est possible que
Benflis, ou tout autre candidat, puisse, une fois élu, améliorer l’état du
pays. Cela ne sera guère difficile vu la situation catastrophique où l’ont mené
deux décennies de règne du clan Bouteflika. Mais cette amélioration se fera à
la marge, un peu – toutes proportions gardées – comme lorsque Chadli Bendjedid
a succédé à Houari Boumediene. Un mieux, léger, avant que les choses n’empirent
de nouveau en raison de l’incapacité du pouvoir à lâcher prise.
Pourquoi la transition née des sanglants
événements de 1988 a-t-elle dérapé ? Deux raisons essentielles viennent à
l’esprit. Il y a bien sûr ce scrutin fatal du 26 décembre 1991 et le coup
d’État qui a suivi. Mais la raison profonde vient du fait qu’on a laissé le
système mener seul la transition. Sans faire table rase du passé et des
institutions, le mieux pour l’Algérie aurait été que le personnel politique de
l’époque se retire ou, tout du moins, se livre à un mea culpa. Ce ne fut pas le
cas. Aujourd’hui, une erreur comparable se prépare. Ceux qui promettent le
changement aux Algériens sont ceux qui, d’une manière ou d’une autre, l’ont
empêché durant des décennies. On ne se refait pas.
(1) TSA, 14 septembre 2019.