Le
Quotidien d’Oran, jeudi 28 novembre 2019
Akram
Belkaïd, Paris
C’est
une constante dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Le pouvoir algérien
est toujours soucieux de formalisme. Quelles que soient les circonstances, il
faut que les apparences de la légalité et de la conformité constitutionnelle
soient absolument respectées même si personne n’est dupe, à l’intérieur comme à
l’extérieur du pays. L’élection présidentielle du 12 décembre prochain en est
l’illustration parfaite. D’un côté, un mouvement de contestation massive qui ne
faiblit pas et, de l’autre, une campagne électorale qui prend des allures de
farce tragico-comique. Un spectacle de marionnettes où l’on rit autant des
autres que de soi. Le « douze-douze », est déjà jour de garagouzes,
un théâtre de marionnettes. Des candidats qui pleurent, qui ânonnent des
programmes creux, des meetings tenus sous haute protection policière et devant
des travées vides, un impétrant à qui la foule en colère crie
« dégage », « qaw… » et qui fait semblant d’être acclamé par
elle en envoyant des baisers à ses contempteurs. Tout cela n’est pas sérieux
mais le général-major Ahmed Gaïd Salah a été clair à plusieurs reprises :
pas d’autre issue à la crise que ce scrutin du douze-douze.
Il
y a de fortes chances pour que le pouvoir aille jusqu’au bout de sa logique.
Même si le Hirak arrive à perturber la « campagne électorale », même
si l’instance « indépendante » des élections relève des irrégularités
et un biais favorable de l’administration et de l’État profond en faveur de
l’un des candidats – à choisir entre l’un des deux anciens premiers ministres
en lice – le processus électoral sera maintenu. Le jour du vote, il y aura bien
le boycottage des électeurs, le blocage de nombreux bureaux de vote,
l’organisation de manifestations, - certaines auront peut-être eu lieu la
veille, jour anniversaire du soulèvement pacifique du 11 décembre 1960 -, et
même de vraisemblables incidents entre hirakistes et « partisans » du
scrutin. Tout cela n’aura que peu de chances de déboucher sur un report de l’élection.
Qu’importe pour le système que le futur président ne soit élu qu’avec, au
mieux, 10% de participation réelle. Un petit coup d’informatique, et elle sera
officiellement déclarée à 40% voire plus. Quand on est habitué à tricher, on ne
compte pas. Dans cette affaire, il n’y aura ni scrupules ni peur du ridicule.
Ce
qu’il faut bien comprendre, c’est que la tenue de cette élection de la honte ne
signifiera pas la défaite du Hirak. Car l’objectif fondamental du mouvement
populaire n’est pas d’empêcher le scrutin à n’importe quel prix. La réticence
des Algériennes et des Algériens à opter pour des modes d’actions plus
radicaux, mais toujours pacifiques à l’image de la grève générale, démontre
bien une certaine maturité qui entend préserver la longévité du mouvement. Dans
l’état d’esprit du pouvoir et des cachiristes, pardon des cachetonneurs, qui
sévissent sur les réseaux sociaux, la tenue de l’élection devrait déboucher sur
l’arrêt des manifestations. En réalité, le douze-douze est bien moins important
que ce qui se déroulera le lendemain, vendredi 13 décembre 2019. Que se
passera-t-il ce jour-là ? Avec ou sans « président » élu, il est
fort probable que des centaines de milliers d’Algériens sortiront une nouvelle
fois dans la rue pour signifier que le combat pour une autre Algérie ne
s’arrête pas et que le nouveau locataire de la Casa Mouradia devra compter avec le Hirak. Le pouvoir le sait et
voilà pourquoi il pourrait envisager d’interdire les manifestations au
lendemain du scrutin.
Sans
faire injure aux qualités personnelles des concernés, nous savons tous que
c’est le bon vouloir du chef d’état-major qui est derrière leur participation
au scrutin. L’un d’eux sera élu. Lequel ? On verra bien. Une chose est
certaine, sa légitimité politique sera proche de zéro. Cela, rien ne pourra le
gommer, y compris les déclarations fallacieuses auxquelles nous sommes habitués
après chaque scrutin. L’intéressé aura alors deux options. La première
consistera à faire comme si de rien n’était, à rester dans l’ombre de son
parrain tout en cherchant – c’est la logique même du système depuis l’élection
de Chadli Bendjedid en 1979 – à s’en émanciper au fil du temps. C’est une
option probable qui rend la persistance du Hirak fondamentale.
La
seconde option, quant à elle, serait une ouverture concédée au Hirak. La
libération des détenus d’opinions, l’organisation d’une conférence nationale
pour définir un vrai programme politique de sortie de crise mais aussi de
développement du pays. Il est possible que le régime accepte quelques
concessions sur la question des libertés individuelles mais il ne faut pas se
faire d’illusions. La mentalité des dirigeants algériens est connue : le dra3, la force du bras et rien d’autre.
Autrement dit, le Hirak doit accepter l’idée, certainement décourageante, de
s’inscrire dans le temps long. Mais pour cela, il y a une urgence, qui va
au-delà du fait de savoir si le douze-douze sera ou non jour de scrutin. Il est
vraiment temps que des initiatives politiques viennent enfin relayer le Hirak.