C’est un morceau de discours trouvé sur le site
chouf-chouf. Cela se passe en 1973 lors d’un discours de Houari Boumediene,
alors président du Conseil de la Révolution et, de fait, président de la RADP,
comprendre la République algérienne démocratique et populaire (les formalistes
préciseront qu’il n’a été élu Président de la République au suffrage universel
qu’en décembre 1976 avec 99,5% des voix…). Dans cet extrait vidéo, le numéro un
algérien explique à ses compatriotes pourquoi lui – ou les autorités
algériennes, ce qui revenait au même – a décidé de leur interdire de se rendre
en France pour travailler. Cela tant que « les conditions de sécurité »
ne seraient pas réunies. Pour mémoire, c’était l’époque où les Algériens de France,
notamment ceux qui vivaient dans le sud de l’Hexagone, subissaient des actes
racistes, souvent mortels. C’était aussi la période où des soldats perdus de l’ex-OAS
commentaient des attentats contre des intérêts algériens notamment des
consulats. Cela avait provoqué de graves tensions diplomatiques entre les deux
pays, Alger accusant Paris de ne pas lutter suffisamment contre ces actes
malveillants. Des tensions qui ne devaient s’atténuer (et encore) qu’après la
visite du président Giscard d’Estaing en Algérie (lui aussi, comme François
Hollande bien plus tard, avait reçu un cheval en cadeau).
« Préférez manger la terre de votre pays plutôt que
d’aller en France (pour y travailler) »… La phrase prononcée plusieurs
fois est restée dans les mémoires. Comme on le voit et on l’entend sur les
images, à peine prononcée, cette envolée énergique, presque goguenarde déclenche
les hourras. Aujourd’hui encore, c’est le genre de discours qui fait bomber les
torses algériens et pleurer sur une grandeur perdue. La belle époque de l’Algérie
non-alignée, phare du tiers-monde et, pour quelques années encore, la « Mecque »
des mouvements révolutionnaires.
Pourtant, les choses changent. J’ai partagé cet extrait
sur Facebook, obtenant des réactions mitigées pour ne pas dire hostiles. Un peu
de nostalgie, bien sûr, mais aussi des critiques virulentes vis-à-vis d’un
discours qui, au final, ne faisait que manipuler les Algériens en leur parlant
de grandeur et de dignité alors que, justement, ils en étaient déjà privés. Propos
d’un internaute : « La relecture a posteriori est un exercice
périlleux, mais Houari a une part de responsabilité non négligeable dans le
drame actuel. Personnellement je trouve qu'à part flatter notre égo, il n'a pas
construit grand-chose ». Un autre est encore plus sévère : « démagogie
à l’état brut », juge-t-il.
Plus de trente ans après la disparition de Boumediene, il
est indéniable que les mentalités algériennes ont changé. Terrorisme, faillite
économique, exode massif et permanent des hommes comme des capitaux, l’Algérie
n’est pas ce que l’on peut appeler une réussite. Et la responsabilité de
Boumediene et de son régime est ouvertement évoquée. Rares sont ceux qui le
défendent ou qui lui trouvent des circonstances atténuantes. Mais il faudrait
aller plus loin. Peut-être est-il temps de se pencher sur cette période et de
ce qu’elle a préparé comme difficultés pour l’Algérie et son peuple. On dira
que c’est toute l’histoire du pays qui pose problème. Certes, mais les années
1970’s – celles où tout était encore possible - restent encore sacralisée en
comparaison de ce qui a suivi voire même de ce qui a précédé. On dira aussi, c’est
un argument qui revient de manière récurrente, que Boumediene avait au moins un
projet de société (fut-il bon ou mauvais) en comparaison de ses piètres
successeurs. Peut-être, mais il est plus que temps de revisiter cette période
de manière plus critique, moins passionnée. Réforme agraire, choix socialiste,
industries industrialisantes, nationalisations (y compris celle des
hydrocarbures). Est-ce que tout cela était pertinent ? Justifié ? L’histoire
aurait-elle pu être différente ? Y avait-il adhésion au projet de
Boumediene ? Quels étaient les débats au sein du pouvoir ? Autant de
questions qui méritent travaux et recherches.
Liens :
- Pour visionner l’extrait : cliquer
ici
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