Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 28 janvier 2013

Les Algériens et le legs de Houari Boumediène

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C’est un morceau de discours trouvé sur le site chouf-chouf. Cela se passe en 1973 lors d’un discours de Houari Boumediene, alors président du Conseil de la Révolution et, de fait, président de la RADP, comprendre la République algérienne démocratique et populaire (les formalistes préciseront qu’il n’a été élu Président de la République au suffrage universel qu’en décembre 1976 avec 99,5% des voix…). Dans cet extrait vidéo, le numéro un algérien explique à ses compatriotes pourquoi lui – ou les autorités algériennes, ce qui revenait au même – a décidé de leur interdire de se rendre en France pour travailler. Cela tant que « les conditions de sécurité » ne seraient pas réunies. Pour mémoire, c’était l’époque où les Algériens de France, notamment ceux qui vivaient dans le sud de l’Hexagone, subissaient des actes racistes, souvent mortels. C’était aussi la période où des soldats perdus de l’ex-OAS commentaient des attentats contre des intérêts algériens notamment des consulats. Cela avait provoqué de graves tensions diplomatiques entre les deux pays, Alger accusant Paris de ne pas lutter suffisamment contre ces actes malveillants. Des tensions qui ne devaient s’atténuer (et encore) qu’après la visite du président Giscard d’Estaing en Algérie (lui aussi, comme François Hollande bien plus tard, avait reçu un cheval en cadeau).

« Préférez manger la terre de votre pays plutôt que d’aller en France (pour y travailler) »… La phrase prononcée plusieurs fois est restée dans les mémoires. Comme on le voit et on l’entend sur les images, à peine prononcée, cette envolée énergique, presque goguenarde déclenche les hourras. Aujourd’hui encore, c’est le genre de discours qui fait bomber les torses algériens et pleurer sur une grandeur perdue. La belle époque de l’Algérie non-alignée, phare du tiers-monde et, pour quelques années encore, la « Mecque » des mouvements révolutionnaires.
 
Pourtant, les choses changent. J’ai partagé cet extrait sur Facebook, obtenant des réactions mitigées pour ne pas dire hostiles. Un peu de nostalgie, bien sûr, mais aussi des critiques virulentes vis-à-vis d’un discours qui, au final, ne faisait que manipuler les Algériens en leur parlant de grandeur et de dignité alors que, justement, ils en étaient déjà privés. Propos d’un internaute : « La relecture a posteriori est un exercice périlleux, mais Houari a une part de responsabilité non négligeable dans le drame actuel. Personnellement je trouve qu'à part flatter notre égo, il n'a pas construit grand-chose ». Un autre est encore plus sévère : « démagogie à l’état brut », juge-t-il.
 
Plus de trente ans après la disparition de Boumediene, il est indéniable que les mentalités algériennes ont changé. Terrorisme, faillite économique, exode massif et permanent des hommes comme des capitaux, l’Algérie n’est pas ce que l’on peut appeler une réussite. Et la responsabilité de Boumediene et de son régime est ouvertement évoquée. Rares sont ceux qui le défendent ou qui lui trouvent des circonstances atténuantes. Mais il faudrait aller plus loin. Peut-être est-il temps de se pencher sur cette période et de ce qu’elle a préparé comme difficultés pour l’Algérie et son peuple. On dira que c’est toute l’histoire du pays qui pose problème. Certes, mais les années 1970’s – celles où tout était encore possible - restent encore sacralisée en comparaison de ce qui a suivi voire même de ce qui a précédé. On dira aussi, c’est un argument qui revient de manière récurrente, que Boumediene avait au moins un projet de société (fut-il bon ou mauvais) en comparaison de ses piètres successeurs. Peut-être, mais il est plus que temps de revisiter cette période de manière plus critique, moins passionnée. Réforme agraire, choix socialiste, industries industrialisantes, nationalisations (y compris celle des hydrocarbures). Est-ce que tout cela était pertinent ? Justifié ? L’histoire aurait-elle pu être différente ? Y avait-il adhésion au projet de Boumediene ? Quels étaient les débats au sein du pouvoir ? Autant de questions qui méritent travaux et recherches.

Liens :

- Pour visionner l’extrait : cliquer ici

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