Ce n’est pas encore la révolte générale mais un mouvement de défiance est bel et bien amorcé. Depuis plusieurs mois, de nombreuses entreprises européennes mais aussi des villes, des régions et des collectivités locales ont annoncé leur intention de ne plus être notées par plusieurs agences de notation. C’est le cas de l’assureur français Groupama qui n’accepte de n’être noté que par l’agence Fitch et cela après avoir résilié son contrat avec Standard & Poor’s (S&P).
UN PROCESSUS QUI N’EST PAS OBLIGATOIRE
Cette défiance montante a plusieurs raisons qui rappellent des vérités un peu trop vite oubliées au cours de ces deux dernières décennies où la folie du crédit facile a gangréné l’économie mondiale. La première, c’est qu’il n’existe aucune loi obligeant tel ou tel emprunteur à être noté par une agence. Certes, c’est devenu une obligation de fait, la majorité des prêteurs refusant, de par leurs statuts, d’octroyer des crédits sans l’avis d’une ou deux agences. Mais, encore une fois, rien, en théorie, n’interdit à une entreprise de chercher des financements sans avoir à passer par S&P, Moody’s ou Fitch. La seconde vérité, c’est que le processus de notation a un coût (ce que l’on paye à l’agence pour se faire noter) et, qu’en temps de crise, cela peut s’apparenter à une double punition. En clair, cela revient à payer cher une agence pour ensuite se faire malmener par elle en cas de difficultés financières, fussent-elles temporaires.
Dans le même temps, il est patent qu’aucune leçon de fond n’a été tirée de la crise financière de 2008. On le sait, cette dernière est due, entre autres, à l’explosion de produits financiers basés sur la dette. Or, le plus souvent, ces produits étaient très bien notés par les agences. Ces dernières n’ont donc rien vu de la dangerosité des dérivés de crédits mais aussi de la fragilité du marché des repos (financement à court terme) alors qu’il était de leur responsabilité d’alerter les investisseurs. Plus grave encore, avec le recul de ces quatre dernières années, on se rend compte qu’ayant réalisé leurs erreurs sur le tard, ces agences ont aggravé la crise par des dégradations successives des ratings (Etats, entreprises et collectivités). Incapacité à discerner le risque, réactions intempestives et obsession du court terme, c’est peu dire que l’aura et la crédibilité des agences a été largement entamée.
Au plus fort de la crise, les Etats avaient promis de légiférer pour obliger les agences à plus de maturité et de responsabilité. Aux Etats-Unis, ces dernières peuvent toutefois se réfugier derrière la Constitution puisque le processus de notation est assimilé à l’émission d’une opinion que nul, pas même l’Etat, ne peut contraindre. Par contre, l’Union européenne avait promis un texte ambitieux qui devait faire date. Dans quelques jours, le Parlement européen doit ainsi voter un texte qui exclut les agences de notation des réglementations financières. Une disposition qui n’entrera en vigueur qu’en 2020 et qui ne résoudra pas la question de la création ou non d’une agence transeuropéenne dépendant de la Commission européenne voire de la Banque centrale européenne (BCE).
REPENSER LA PRATIQUE DU CREDIT
De façon générale, les agences de notation posent le problème des ressources internes des prêteurs. Au lieu de développer leurs propres expertises en matière de risques, la majorité des acteurs ont externalisé cette fonction, se reposant presque entièrement sur les agences. Or, il faut se demander si ces dernières ont vraiment la capacité et les moyens de tout suivre, surtout en ces temps de réduction des effectifs. Savoir par exemple que, dans l’une des trois grandes agences de notation, c’est un seul analyste qui suit et note les cinq pays d’Afrique du Nord a de quoi laisser songeur…
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