SlateAfrique, jeudi 10 janvier 2013
Le chroniqueur Akram Belkaïd invite les Tunisiens à ne pas tomber dans le défaitisme. Car, selon lui, ce n'était pas mieux avant.
Une foule près de la mosquée Al Fatah à Tunis le 2 novembre 2012. Reuters/Anis Mili
l'auteur
Deux ans bientôt depuis la chute de Ben Ali, de sa femme et de son clan… Et puis, quoi? Certains disent même pourquoi faire?
La déception est là, patente, désespérant la société tunisienne, apportant avec elle le constat auquel beaucoup pensent sans le dire clairement: n’était-ce pas mieux avant?
On le sait, les peuples sont versatiles. Ils oublient la peine et la douleur d’hier, dès lors que ce qu’ils vivent au quotidien leur paraît plus dur ou ne correspondant pas à ce qu’ils espéraient. Alors oui, il faut le dire et le répéter. Non, ce n’était pas mieux avant!
On connaît l’anecdote: au diplomate français qui lui demandait s’il pensait que la révolution française avait changé le cours de l’Histoire mondiale, le leader chinois Zhou Enlai aurait répondu qu’il était «encore trop tôt pour le dire».
C’est certain, le temps des événements historiques et celui des humains n’est pas le même. Mais, allez expliquer cela à celui ou celle dont la vie n’a pas changé. A celui ou celle dont les enfants, qu’ils soient diplômés ou non, sont toujours au chômage. Allez dire à celle qui commence à être importunée parce qu’elle ne porte pas le voile qu’elle vit les inévitables turbulences que provoque la chute d’une dictature.
Allez dire à ce couple poursuivi pour un baiser en public que tout cela finira bien par passer…
Une société civile en ébulition
La Tunisie est partagée, traversée par des sentiments contradictoires comme le relève si bien l’universitaire Kmar Bendana dans un texte récent.
Appréhension, colère, indignation mais aussi tentations de faire ami-ami avec ceux qui se comportent déjà comme les nouveaux maîtres de la Tunisie, renaissance à peine masquée des mafieux d’hier qui s’associent déjà avec les mafieux de demain…
Est-ce que tout cela aurait pu être évité? Pas sûr. Toujours est-il que la Tunisie découvre qu’elle a une société civile, certes à peine naissante, mais, dynamique, déterminée, qui se bat, pied à pied.
Combats syndicaux, journalistes, ouvriers, étudiants et simples citoyens en lutte. Ce serait mentir et obscurcir à dessein le tableau que de dire que tout cela n’existe pas. On en parle peu, c’est tout. Les médias locaux un peu plus que leurs homologues occidentaux, si influents mais ô combien paresseux.
Entre des barbus qui s’excitent et des initiatives pour défendre un patrimoine artistique ou revendiquer une liberté chèrement acquise, on sait quel est le choix censé faire de l’audimat.
C’est de la Tunisie qui se bat, qui n’entend pas accepter que les islamistes d’Ennahda prennent la place, et les habitudes, de Ben Ali et sa clique, qu’il faut aussi parler. Qu’il faut aider. Mais où est donc passé l’enthousiasme des premiers temps ?
Ne parlons pas des Tunisiens, ils ont leurs problèmes. Mais du reste du monde. De cette Europe qui, désireuse de faire oublier ses accointances et ses lâchetés passées, avait tant promis en février 2011…
Elle repose sur des réalités sociales que personne ne peut nier. Mais cela ne doit pas empêcher de se battre. De faire de la politique au quotidien, d’œuvrer pour éduquer les masses (ah, que cette expression est devenue galvaudée alors qu’elle garde tout son sens), de défendre le progrès.
En un mot, de militer. Face aux tenants du discours religieux et de l’absolutisme, les choses ne seront pas faciles. De toutes les façons, il n’existe pas de simplicité en matière de mode d’évolution d’un pays et de sa société.
Le penseur et philosophe britannique Isaiah Berlin a ainsi expliqué que des idéaux nobles tels que la justice, la paix ou la liberté sont très souvent inconciliables entre eux. En clair, cela signifie qu’aucun ne peut triompher de manière absolue sans remettre en cause les autres. C’est donc une question d’équilibre à trouver. Cela concerne la politique mais aussi l’art de (bien gouverner) et le vouloir vivre ensemble.
Pour l’heure, les observateurs mais aussi les sujets observés (Les Tunisiens) penchent vers la négative. Intimidations, violences, tendance évidente au népotisme, voilà ce que charrie avec elle l’actualité tunisienne. Mais, il y a autre chose.
Pour résumer les propos d’un franco-tunisien installé à Paris mais très en prise avec son pays d’origine, «ce qui frappe le plus, c’est la médiocrité du débat politique».
Médiocrité, le terme ne plaira pas mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Le gouvernement sous influence nahdhaouie, avant un hypothétique remaniement, n’impressionne guère et semble ignorer l’urgence des réformes économiques et sociales.
Quant aux députés de la Constituante, ils ont réussi à se mettre à dos une bonne partie de l’opinion publique. Débats qui s’éternisent, élections qui sont d’autant repoussées et pendant ce temps-là les indemnités tombent, sonnantes et trébuchantes…
La Tunisie ne va pas bien. Elle méritait mieux mais rien n’est encore perdu. La médiocrité de ses dirigeants du moment est certainement une menace.
Mais, en pariant sur l’intelligence des Tunisiens et leur volonté de changement, c’est peut-être aussi un motif d’espérance en vue des prochains rendez-vous électoraux.
Akram Belkaïd
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La déception est là, patente, désespérant la société tunisienne, apportant avec elle le constat auquel beaucoup pensent sans le dire clairement: n’était-ce pas mieux avant?
On le sait, les peuples sont versatiles. Ils oublient la peine et la douleur d’hier, dès lors que ce qu’ils vivent au quotidien leur paraît plus dur ou ne correspondant pas à ce qu’ils espéraient. Alors oui, il faut le dire et le répéter. Non, ce n’était pas mieux avant!
Les lendemains de la révolution
La Tunisie de Ben Ali, terre de peurs, de délations et d’affairisme déprédateur, fonçait droit dans le mur. Quelques années supplémentaires de règne et ce pays aurait connu un tout autre scénario. Plus terrible, plus sanglant. Le problème, c’est que les révolutions se jaugent trop souvent à l’aune de ses lendemains.On connaît l’anecdote: au diplomate français qui lui demandait s’il pensait que la révolution française avait changé le cours de l’Histoire mondiale, le leader chinois Zhou Enlai aurait répondu qu’il était «encore trop tôt pour le dire».
C’est certain, le temps des événements historiques et celui des humains n’est pas le même. Mais, allez expliquer cela à celui ou celle dont la vie n’a pas changé. A celui ou celle dont les enfants, qu’ils soient diplômés ou non, sont toujours au chômage. Allez dire à celle qui commence à être importunée parce qu’elle ne porte pas le voile qu’elle vit les inévitables turbulences que provoque la chute d’une dictature.
Allez dire à ce couple poursuivi pour un baiser en public que tout cela finira bien par passer…
Une société civile en ébulition
La Tunisie est partagée, traversée par des sentiments contradictoires comme le relève si bien l’universitaire Kmar Bendana dans un texte récent.
Appréhension, colère, indignation mais aussi tentations de faire ami-ami avec ceux qui se comportent déjà comme les nouveaux maîtres de la Tunisie, renaissance à peine masquée des mafieux d’hier qui s’associent déjà avec les mafieux de demain…
Est-ce que tout cela aurait pu être évité? Pas sûr. Toujours est-il que la Tunisie découvre qu’elle a une société civile, certes à peine naissante, mais, dynamique, déterminée, qui se bat, pied à pied.
Combats syndicaux, journalistes, ouvriers, étudiants et simples citoyens en lutte. Ce serait mentir et obscurcir à dessein le tableau que de dire que tout cela n’existe pas. On en parle peu, c’est tout. Les médias locaux un peu plus que leurs homologues occidentaux, si influents mais ô combien paresseux.
Entre des barbus qui s’excitent et des initiatives pour défendre un patrimoine artistique ou revendiquer une liberté chèrement acquise, on sait quel est le choix censé faire de l’audimat.
C’est de la Tunisie qui se bat, qui n’entend pas accepter que les islamistes d’Ennahda prennent la place, et les habitudes, de Ben Ali et sa clique, qu’il faut aussi parler. Qu’il faut aider. Mais où est donc passé l’enthousiasme des premiers temps ?
Ne parlons pas des Tunisiens, ils ont leurs problèmes. Mais du reste du monde. De cette Europe qui, désireuse de faire oublier ses accointances et ses lâchetés passées, avait tant promis en février 2011…
Un mot: militer!
Ce ne sera pas un long fleuve tranquille. Il est des épreuves que les peuples arabes ne pourront pas éviter et qu’ils ne font que retarder. La tentation islamiste risque fort d’être un passage obligé. Ce n’est pas une invention ou un simple complot organisé par quelques émirs bedonnants ou séniles du Golfe.Elle repose sur des réalités sociales que personne ne peut nier. Mais cela ne doit pas empêcher de se battre. De faire de la politique au quotidien, d’œuvrer pour éduquer les masses (ah, que cette expression est devenue galvaudée alors qu’elle garde tout son sens), de défendre le progrès.
En un mot, de militer. Face aux tenants du discours religieux et de l’absolutisme, les choses ne seront pas faciles. De toutes les façons, il n’existe pas de simplicité en matière de mode d’évolution d’un pays et de sa société.
Le penseur et philosophe britannique Isaiah Berlin a ainsi expliqué que des idéaux nobles tels que la justice, la paix ou la liberté sont très souvent inconciliables entre eux. En clair, cela signifie qu’aucun ne peut triompher de manière absolue sans remettre en cause les autres. C’est donc une question d’équilibre à trouver. Cela concerne la politique mais aussi l’art de (bien gouverner) et le vouloir vivre ensemble.
La Tunisie méritait mieux
Comme l’Egypte, la Tunisie est un laboratoire. Le thème principal de l’expérimentation du moment étant de savoir si l’islamisme est soluble dans la démocratie ou, pour être plus précis, si l’islamisme est susceptible de mener à un système politique garantissant le droit aux droits fondamentaux.Pour l’heure, les observateurs mais aussi les sujets observés (Les Tunisiens) penchent vers la négative. Intimidations, violences, tendance évidente au népotisme, voilà ce que charrie avec elle l’actualité tunisienne. Mais, il y a autre chose.
Pour résumer les propos d’un franco-tunisien installé à Paris mais très en prise avec son pays d’origine, «ce qui frappe le plus, c’est la médiocrité du débat politique».
Médiocrité, le terme ne plaira pas mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Le gouvernement sous influence nahdhaouie, avant un hypothétique remaniement, n’impressionne guère et semble ignorer l’urgence des réformes économiques et sociales.
Quant aux députés de la Constituante, ils ont réussi à se mettre à dos une bonne partie de l’opinion publique. Débats qui s’éternisent, élections qui sont d’autant repoussées et pendant ce temps-là les indemnités tombent, sonnantes et trébuchantes…
La Tunisie ne va pas bien. Elle méritait mieux mais rien n’est encore perdu. La médiocrité de ses dirigeants du moment est certainement une menace.
Mais, en pariant sur l’intelligence des Tunisiens et leur volonté de changement, c’est peut-être aussi un motif d’espérance en vue des prochains rendez-vous électoraux.
Akram Belkaïd
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