Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 septembre
Akram Belkaïd, Paris
Tu vois, c’est une mesure
prophylactique efficace et je la conseille à tout le monde : je n’écoute
pas les informations pendant le week-end. Je fais tout pour éviter d’être
contrarié ou d’être entraîné dans ce délire permanent. Pas de journaux, pas de
réseaux sociaux où les gens partagent tout et n’importe quoi, pas de télévision
aux heures où je risque de tomber sur un talk-show débile avec toujours les mêmes
questions et toujours les mêmes figures enfarinées. Non, c’est le black-out
organisé. Je coupe tout. Je me ballade, je regarde des dvd, je fais mes courses
mais je refuse de me laisser intoxiquer par les médias. Au début, c’était
difficile, surtout quand il faut résister à l’envie de lire ses courriels ou
ses messages privés sur Facebook.
Le week-end dernier, j’ai fait un sans-faute.
Aucune information, même pas sportive, n’est venue m’ennuyer. Tu imagines ma contrariété
lundi matin quand je suis arrivé au bureau. En règle générale, ça se passe
toujours autour de la machine à café. Le moment où tu cherches à te donner du
courage en te disant qu’il reste cinq jours avant le prochain week-end… Tu
penses… C’est là qu’un collègue m’a dit ceci : « c’est quand même pas
bien ce que vous avez fait aux Femen.
Pourquoi est-ce que personne de chez vous
ne proteste contre cette brutalité ».
Dans ce genre de circonstances, j’ai aussi appris
à gérer. Avant, je cherchais à comprendre. Je posais des questions et puis,
bien sûr, j’argumentais, je me disais que c’était important d’essayer de
rassurer les gens. Maintenant, je fuis. Je refuse la bagarre, parce que c’est
une bagarre. Je prétexte un truc urgent à terminer et je m’éclipse. Bon, c’est
certain que l’évitement est moins simple sur le plateau, surtout quand tu es
entouré par dix collègues qui te regardent tous en attendant la réponse à la
vingtième question du genre « mais toi, tu penses quoi du voile ? ».
Mais, là aussi, j’ai ma technique. C’est le moment où, comme par hasard, je
m’affaire sur mon téléphone portable, comme les joueurs de foot quand ils
descendent du bus et qu’ils ne veulent pas répondre aux questions des médias…
Impossible d’avoir la paix. Il n’y a pas une
semaine qui passe sans qu’on soit confronté à une polémique. La situation au
Proche-Orient, les tentatives d’attentat, les repas à la cantine, les réfugiés…
A chaque fois, même si tu ne sais rien, même si tu estimes que ça ne te regarde
pas, tu te retrouves à devoir te justifier. A essayer d’expliquer des choses à
des gens plein de certitudes qui, de toutes les façons, te reposeront la même
question la semaine d’après. L’islam, le djihad, le ramadan, le voile, le porc,
les décapitations, ça tourne en boucle. Est-ce que c’est de la peur, est-ce que
c’est de l’obsession, est-ce que ça leur
donne le sentiment d’être supérieur ? Franchement, je n’en sais rien mais
ce qui est certain, c’est que khlass,
c’est fini, je n’en peux plus.
Bon, tu te doutes bien que je me suis précipité
sur Google news pour en savoir plus. Quelle histoire… Je n’ai aucune sympathie
pour les Femen. Elles m’insupportent avec leur côté radical et donneur de
leçons. Je n’aime pas la manière avec laquelle elles manipulent les faits pour
avoir absolument raison. Et je me demande à quoi sert leur action. Qu’est-ce
qu’elles veulent vraiment ? Qu’est-ce qu’elles croient ? Que les
salafistes et tous les intégristes vont changer d’avis et de mentalité parce
qu’ils auront vu une paire de seins ? C’est quoi leurs happenings si
ce n’est une manière de chercher la castagne ? Une manière d’opposer un
radicalisme à un autre radicalisme ? J’ai regardé la vidéo. Au début, ça
m’a fait rire. L’expression des deux imams quand les Femen se découvrent vaut
le détour… Mais ensuite, je ne peux ni excuser ni cautionner. On voit des excités
leur mettre des coups de pieds. Ça ne se fait pas. C’est indigne et minable. Et
ça donne raison aux Femen et à tous les islamophobes qui pullulent en France et
ailleurs. Tu vois, normalement, si ces gens-là étaient un tant soit peu
intelligents, ils auraient laissé les filles faire le show avant de leur
demander gentiment, et sans violence, de quitter la tribune.
Je te jure que je n’avais jamais entendu parler de
ces deux imams pas plus que je savais qu’un salon de la femme musulmane
existait. Au boulot ou avec des amis, je me retrouve à expliquer que, non, je
ne vais pas à ce genre de manifestation. Que non, je n’écoute pas en boucle ce
zozo qui t’explique que les anges maudissent toute la nuit la femme qui se
refuse à son mari. Savant à deux sous… Entre
eux et Chalghoumi, on n’est pas sorti d’affaire. Je n’ai rien à voir avec ce
genre de délire mais il faut tout le temps le répéter. C’est tellement évident
que je me sens insulté quand on m’interpelle là-dessus.
Ça ne va pas s’arranger, c’est certain. Des
polémiques, il va y en avoir d’autres. Les médias, les politiques soufflent sur
les braises et ensuite ils jurent qu’il ne faut pas faire d’amalgame et que les
musulmans « modérés » ne sont pas visés. Musulman modéré, c’est
quoi ? J’aimerais qu’on m’explique. Non, en fait, j’aimerais surtout qu’on
me laisse tranquille. Si je le pouvais, je m’appellerais Marcel Dupont. Comme
ça, tranquille. Pas de débat sur le voile et les Femen. Mais bon… Mon visage
dit bien que je ne peux pas m’appeler comme ça, que je suis un musulman
d’apparence… Tu sais quoi, je vais vivre avec la cire dans les oreilles. Ou
mieux, je vais me balader en permanence avec une pancarte vissée dans le crâne.
Elle dira ceci : « je suis un gentil musulman et je suis d’accord
avec vous tous ». Comme ça, yakhtiwni,
ils me laisseront en paix.
_
2 commentaires:
Bonjour,
La réaction violente et lâche du jeune homme islamiste sur les Femen à terre, désarmées, les torses nues, est vraiment choquante. Les femmes ont toujours été l'obsession des islamistes et user de violence envers elles un réflexe pour eux.
Ces messieurs si dignes qui discouraient sûrement sur la place privilégiée qu'ils consacrent à la femme musulmane dans la société idéale à laquelle ils aspirent, auraient mieux fait de prendre cette intrusion à la rigolade et prendre le temps d'admirer ces poitrines exhibées revendicatrices avec humour. Mais la réaction fut bête et méchante et confirme le vrai visage des islamistes.
Karima
La violence de la réaction est à la hauteur sans aucun doute de la panique de ce jeune devant la sexualité féminine. On n'est pas sorties de l'auberge...
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